Publié le 9 juin 2021 à 8h30 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Une large coalition intégrant toutes les sensibilités, et pour la première fois un parti arabe, devrait mettre un terme à deux ans d’instabilité politique en Israël.
Après un suspense digne des meilleurs films d’Hitchcock, de multiples rebondissements et juste avant l’expiration du délai légal, le chef de l’opposition israélienne, Yaïr Lapid, a pu annoncer qu’il avait réussi à former une coalition gouvernementale d’union nationale. S’il recevait l’aval de la Knesset -le Parlement israélien- cela mettrait un terme au règne sans partage du Premier Ministre actuel, Benjamin Netanyahou, et verrait pour la première fois dans l’histoire du pays, un parti arabe islamiste intégrer un gouvernement de l’État Juif. Cette configuration inédite suscite déjà nombre de commentaires, en Israël même, ainsi qu’à l’étranger.
En Israël tout change très vite. La crise sanitaire est déjà loin, et l’on peine à imaginer qu’il y a quelques jours encore le ciel des grandes villes de l’État Hébreu était constellé de roquettes du Hamas lancées depuis Gaza. Ce qui passionne désormais les Israéliens, c’est le nouveau feuilleton politico-judiciaire où le leader de l’opposition, le centriste Yaïr Lapid, a réussi à constituer une coalition gouvernementale alors que le Premier ministre Benjamin Netanyahou, en place depuis 12 ans et en délicatesse avec la justice, a échoué à le faire.
C’était pourtant ce dernier qui avait précipité les élections en ne voulant pas honorer son engagement de rotation avec son partenaire Benny Gantz du parti centriste Bleu Blanc. «Bibi» (surnom donné au Premier ministre) et son parti le Likoud affirment qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot et qu’ils feront tout pour que cette coalition ait une durée de vie des plus courtes. L’Iran et ses supplétifs du Hamas ou du Hezbollah ne sont pas en reste. Ayant déjà provoqué la dernière confrontation à Gaza pour éviter qu’un parti arabe israélien ne rejoigne le gouvernement, ils peuvent remettre l’ouvrage sur le métier afin de disloquer la coalition qu’ils n’ont pu empêcher car la coexistence pacifique entre juifs et arabes remet en cause toute leur politique.
Le Bloc du changement ou une coalition faite de bric et de broc ?
La nouvelle coalition est composée de formations issues de toutes les familles politiques -l’union nationale par temps de crise est une tradition en Israël- avec : trois partis de droite, (Israel Beiteinou d’Avigdor Lieberman, Yamina de Naftali Bennet, Nouvel Espoir de Gidon Saar), deux partis centristes (Yesh Atid de Yaïr Lapid, Bleu Blanc de Benny Gantz), deux partis de gauche (les Travaillistes de Merav Michaeli, Meretz de Nitzan Horowitz) et pour la première fois un parti arabe islamiste israélien (Ra’am de Mansour Abbas). Pour les uns, elle permettra à toutes les sensibilités de s’exprimer et est attendue par une majorité d’Israéliens, alors que pour les autres, il s’agit d’un rassemblement hétéroclite, à la viabilité limitée, ayant pour seul programme le «tout sauf Bibi». Pourtant, la plus part des membres de cette coalition, y compris le parti Ra’am, étaient jugés Bibi-compatibles, il y a peu de temps encore, par le principal intéressé.
Un agenda bien chargé
Du fait de la crise politique prolongée -avec 4 élections successives sans majorité stable- cela fait plus de deux ans qu’aucun budget de l’État n’est voté. Des projets essentiels, touchant aussi bien le social, les infrastructures que la Défense nationale, n’ont pu être mis en œuvre. Assurer le quotidien relevait d’un numéro d’équilibriste auquel il fallait rajouter la pandémie de Covid-19 et les menaces sécuritaires de l’Iran via Gaza, le Liban, la Syrie et sur les mers, sans oublier la course effrénée de la théocratie chiite vers la bombe. Le nouveau gouvernement, s’il est confirmé à la Knesset, aura donc fort à faire tant sur le plan intérieur, avec une société très divisée, qu’à l’international avec une administration américaine beaucoup moins favorable que la précédente et les avancées de la Chine au Moyen-Orient.
L’échec de l’Iran et du Hamas
Depuis sa création, la République islamique d’Iran instrumentalise la cause palestinienne pour faire avancer sa politique hégémonique et contester le leadership musulman à l’Arabie Saoudite. Les Mollahs de Téhéran et les islamistes de Gaza prônent la libération de «la Palestine du Jourdain jusqu’à la Méditerranée». Dans cette vision, les citoyens arabes israéliens sont des Palestiniens dont il faut délivrer la terre. La décision de Mansour Abbas, chef du parti arabe Ra’am, de rejoindre une coalition d’union nationale en Israël apporte un cinglant démenti aux aspirations du Hamas et de son suzerain perse.
Si les communautés arabe et druze sont largement représentées dans tous les secteurs de la société israélienne, avec des ministres, des députés, des juges, des officiers de haut rang de l’armée, des médecins ou des universitaires, il s’agit d’un événement sans précédent. Jusque-là, les partis arabes bien qu’étant israéliens, reprenaient la rhétorique palestinienne. C’est la première fois qu’un parti arabe qui plus est islamiste, accepte de jouer pleinement le jeu de la démocratie israélienne en participant à l’exercice du pouvoir pour défendre les intérêts de sa communauté et contribuer à l’avenir du pays. Si les accords d’Abraham avaient signifié la fin du conflit israélo-arabe, Mansour Abbas, donne le signal de la normalisation des relations des citoyens arabes israéliens avec l’État hébreu. Avec un parti arabe permettant d’assurer la stabilité politique on est décidément bien loin d’un pays d’apartheid.
Le cauchemar de la proportionnelle
Il est une autre tâche à laquelle les élus israéliens doivent s’atteler. C’est la réforme des institutions politiques. Dans le programme présenté par la nouvelle coalition, il est prévu de limiter à deux le nombre de mandats successifs d’un Premier ministre comme cela se pratique dans bon nombre de démocraties. Cela permettrait de renouveler le personnel politique et de faire monter en compétence de jeunes talents dont le pays ne manque pas. Mais il est un autre point sensible responsable de l’instabilité politique actuelle, celui du scrutin à la proportionnelle aux élections générales. Ce système donne un pouvoir exorbitant, hors de leur représentativité réelle, à de petites formations qui au gré de leurs intérêts propres font et défont les coalitions au détriment du collectif.
L’exemple israélien, devrait faire réfléchir les femmes et les hommes politiques qui, sous nos latitudes, plaident ardemment pour la proportionnelle. Ce système né d’un principe généreux voulant favoriser l’expression des différentes sensibilités, s’il est poussé à l’extrême, rendrait ingouvernable notre pays et mettrait en péril la démocratie.
[(Le Pr. Hagay Sobol est spécialiste du Moyen-Orient et des questions terroristes.)]
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