Publié le 16 juin 2021 à 19h55 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
A peine confirmé, le nouveau gouvernement israélien sans Benjamin Netanyahou a déjà passé avec succès son premier test sécuritaire.
Quelques semaines après la dernière confrontation à Gaza et des affrontements intercommunautaires, la Knesset – le parlement israélien – vient de voter la confiance au nouveau gouvernement issu d’une large coalition, dont le parti Ra’am islamo-conservateur. Malgré sa majorité étroite, le «bloc du changement» a passé avec succès son premier test sécuritaire en organisant «la marche des drapeaux» à Jérusalem malgré les menaces du Hamas. Cette nouvelle donne politique changera-t-elle la perception de l’État Juif à l’étranger et auprès du leadership palestinien ?
Après un chahut indescriptible en début de séance, où des soutiens du Premier ministre sortant, Benjamin Netanyahou, ont tenté d’empêcher l’allocution de Naftali Bennet et Yaïr Lapid – le binôme à la tête du «gouvernement du changement » – le vote de confiance a pu se dérouler normalement à la Knesset. A l’appel de leur nom, les députés des différentes formations se sont exprimés publiquement. Au fur et à mesure, les traits des uns s’apaisaient alors que les autres se tendaient. Après l’annonce des résultats des plus serrés, 60 voix pour, 59 contre et une abstention, certains dansaient sur la Place Rabin de Tel Aviv, alors que d’autres, dépités, voulaient soutenir leur leader, désormais chef de l’opposition, affirmant n’avoir pas dit son dernier mot. Après deux ans d’instabilité politique et quatre élections, le nouveau gouvernement aura fort à faire et, en tout premier lieu, assurer sa propre survie face aux nombreux défis, en particulier sécuritaires, avec la très courte majorité dont il dispose.
Les missions du nouveau gouvernement
On doit à l’ancien Premier ministre Netanyahou, d’incontestables succès, tel que le développement économique et technologique qui font de l’État Hébreu une « start-up nation », sa gestion de la pandémie de Covid-19 ou diplomatiques comme les accords de normalisation israélo-arabes. Cependant, les affaires judiciaires à répétitions qui en plus d’affaiblir sa crédibilité, le détournaient de la gestion du pays, ainsi que l’hyperpersonnalisation et l’usure du pouvoir, après 12 ans de règne sans partage, ont profondément divisé la société israélienne.
La nouvelle coalition avec ses 8 partis politiques – trois de droite, deux du centre, deux à gauche et pour la première fois un parti arabe islamiste – aura la rude tâche de traduire dans les faits l’union nationale et de proposer rapidement un budget ce qui n’a pas été possible depuis plus de deux ans du fait de l’instabilité politique. Il s’agit d’une urgence absolue car des projets essentiels touchant le social, l’éducation, les infrastructures ou la sécurité nationale n’ont pu être mis en œuvre. Dans un contexte international des plus incertains, il faudra impérativement rééquilibrer les relations bipartisanes au Congrès américain et se rapprocher des alliés européens pour faire entendre sa voix au sujet de l’Iran qui n’a jamais été si proche d’obtenir l’arme nucléaire.
Faire de ses points faibles une force ?
Il faut d’abord admettre que ce n’est pas la coalition qui a défait Netanyahou, mais lui-même. Pour garder le pouvoir, il a une fois de trop précipité les élections afin de ne pas honorer son engagement de rotation avec Benny Gantz du parti centriste Bleu Blanc. Ensuite, Bibi (surnom de Benjamin Netanyahou) compte sur son parti, le Likoud, ayant le plus grand nombre d’élus, pour reconquérir le pouvoir en affaiblissant la nouvelle coalition dont la majorité ne repose que sur une seule voix. Si ses partenaires ne lui font pas payer le désastre politique dont il est responsable, il a démontré que c’était possible par deux fois dans le passé.
Enfin pour ses détracteurs, la plus grande faiblesse de cette « coalition hétéroclite » est la distance idéologique qui sépare ses différentes composantes. En effet, qu’ont de commun, Yamina de Naftali Bennet à droite de l’échiquier politique et le parti islamiste Ra’am de Mansour Abbas ? Cette association fragile peut se disloquer à tout instant sur de nombreux écueils de politique intérieure ou lors d’un conflit avec le Hamas ou l’Iran.
Mais à y regarder de plus près, les choses sont plus nuancées. En réalité, ce rassemblement savamment agencé repose sur une stratégie de premier plan où chacun a un rôle précis à jouer. Pour parler au peuple de droite, majoritaire dans la société israélienne, et tenir un discours de fermeté, il fallait un leader accepté comme tel, raison pour laquelle c’est Naftali Bennet qui a été choisi comme Premier ministre pour les deux premières années de la mandature. Il cédera ensuite sa place pour les deux années suivantes au centriste Yaïr Lapid. Ce dernier est le véritable architecte de la coalition. Il assumera le volet diplomatique en étant dans l’intervalle Ministre des affaires étrangères. Les partis de gauche qui font un retour inespéré au pouvoir donneront la note sociale à ce gouvernement. Quant au parti Ra’am, même s’il n’a pas revendiqué de portefeuille, il veillera à ce que le secteur arabe rattrape son retard en termes d’infrastructures et a fait de la lutte contre la criminalité dans cette communauté une de ses priorités.
C’est pourquoi, des députés d’un autre parti, la Liste arabe unie, se sont initialement abstenus de participer au scrutin jusqu’au moment où ils avaient acquis la certitude que le nouveau gouvernement serait confirmé. Dès lors, pour ménager la chèvre et le chou, ils ont voté contre. La nouvelle coalition bénéficie donc d’une majorité implicite moins étroite que le résultat ne le laisse paraître. On peut anticiper également que certains membres du Likoud voulant impulser une nouvelle dynamique ne s’opposeront pas systématiquement aux propositions de la nouvelle équipe dirigeante.
En définitive, sachant sa majorité très ténue, chaque formation de la « coalition du changement » a bien intégré les lignes rouges à ne pas dépasser sous peine d’implosion ce qui risquerait de mettre un terme prématuré à la carrière politique de ses membres. Un gouvernement qui connait ses limites est peut-être la plus grande vertu en politique et un gage de longévité.
Une embellie d’Israël à l’international ?
Si la majorité des dirigeants étrangers a fait un accueil très favorable à la nouvelle équipe, on ne doute pas également que les mêmes testeront la détermination du gouvernement israélien sur des dossiers sensibles tels que le nucléaire iranien ou le différend avec les Palestiniens. Benjamin Netanyahou avait réussi l’exploit d’avoir une ligne de communication directe avec les dirigeants des pays les plus puissants de la planète, les USA, la Russie et la Chine et de constituer une alliance stratégique avec les pays arabes sunnites pour contrer les visées hégémoniques perses, de l’Afrique au Moyen-Orient.
La «coalition du changement» est-elle à même de poursuivre cette politique voire d’étendre les accords de paix à d’autres pays musulmans ? On peut aisément imaginer pour les dossiers internationaux la même approche que pour la politique intérieure. Aux différents visages de la nouvelle coalition incomberont des missions spécifiques en fonction des sujets concernés.
La fin de l’apartheid imaginaire ?
Des ministres, des officiers supérieurs de l’armée, des juges, des avocats, des chefs d’entreprise, des médecins ou des universitaires arabes ou druses sont choses courantes en Israël. Mais c’est la première fois qu’un parti arabe qui plus est islamiste, intègre une coalition gouvernementale. Et par sa participation met fin à l’instabilité politique chronique du pays. En toute logique cela devrait sonner le glas des contre-vérités assenées contre l’État Juif depuis des lustres et en particuliers les accusations infondées d’apartheid.
Paradoxalement, les frères ennemis palestiniens de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et du Hamas à Gaza qui ne sont habituellement d’accord sur rien ont pour une fois parlé d’une seule voix en affirmant que : Même «si le départ de Netanyahou était une bonne chose, le nouveau gouvernement était pire encore» et «que cela ne changeait rien au projet du Hamas de libérer la Palestine du Jourdain à la Méditerranée».
Le mouvement islamiste a même menacé de reprendre immédiatement les hostilités si Israël maintenait la traditionnelle marche des drapeaux à Jérusalem. Le gouvernement n’a pas cédé, la coalition n’a pas cillé et le défilé s’est déroulé sans débordement. Ce premier test sécuritaire réussi inflige un revers cuisant à l’organisation terroriste au pouvoir à Gaza. Les Palestiniens méritent eux aussi un gouvernement du changement !
Le député et membre de la coalition Mansour Abbas, après le vote à la Knesset, a dit des mots très forts porteurs d’espoir qui devraient être largement diffusés de par le monde pour faire avancer la coexistence pacifique et la cause de la paix : «Nous appartenons à des religions et à des communautés différentes, mais il y a quelque chose qui relie tous les israéliens, c’est notre citoyenneté».
[(Le Pr. Hagay Sobol est spécialiste du Moyen-Orient et des questions terroristes.)]
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