Camp des Milles: ‘Le racisme et l’antisémitisme font sortir la démocratie de ses gonds’

Publié le 18 juillet 2021 à  22h29 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  19h20

Ce dimanche 18 juillet a été une journée particulièrement intense au Site-mémorial du Camp des Milles à l’occasion de la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et en hommage aux justes de France. Journée d’hommage mais aussi d’espoir pour l’ensemble des invités, représentants de l’État, élus locaux et nationaux, corps consulaire, déportés, résistants, anciens combattants, représentants des armées et des cultes, jeunes de l’Epide (Établissement pour l’insertion dans l’emploi) et du SNU (Service national universel) et simples citoyens, qui étaient tous rassemblés pour ce moment de transmission et d’éducation.

Le wagon du souvenir.  Wagon de la SNCF dans lequel, entre août et septembre 1942, 2 000 juifs - hommes, femmes et enfants - ont été envoyés au camp de concentration d'Auschwitz depuis le camp des Milles, alors situé en zone libre. ©Philippe Maillé
Le wagon du souvenir. Wagon de la SNCF dans lequel, entre août et septembre 1942, 2 000 juifs – hommes, femmes et enfants – ont été envoyés au camp de concentration d’Auschwitz depuis le camp des Milles, alors situé en zone libre. ©Philippe Maillé

La cérémonie a débuté par un temps mémoriel : une cérémonie de recueillement pour les victimes des crimes racistes et antisémites de l’État Français et en hommage aux Justes de France, à l’invitation de Bruno Cassette, Sous-préfet de l’arrondissement d’Aix-en-Provence et de Maryse Joissains, maire d’Aix-en-Provence. Elle s’est poursuivie par un temps d’échange entre trois témoins – Denise Toros-Marter, déportée à Auschwitz à 16 ans, Marcel Touros, enfant caché et Agathe Hébras, petite-fille du dernier témoin rescapé du massacre d’Oradour-sur-Glane et une dizaine de jeunes de l’Epide et du SNU qui ont choisi de réaliser une Mission d’intérêt général au Site-mémorial. Elle s’est conclue avec un temps culturel autour des « traces » laissées par les internés au camp des Milles entre 1939 et 1942 avec le plasticien Wilfried Isnard qui inaugurait par cet atelier avec les jeunes, son exposition «Matières à Réflexion» au Site-mémorial.

« Nous ne devrions pas être là »

«Nous ne devrions pas être là», a déclaré le Sous-Préfet Bruno Cassette, reprenant les mots du Préfet Stéphane Bouillon en 2016, durant une cérémonie au Camp des Milles car chacun aurait dû faire son devoir en n’obéissant pas aux instructions inhumaines du régime de Vichy. Les rafles des 16 et 17 juillet 1942 (Vel d’Hiv’ à Paris), et toutes celles qui ont suivi comme celles de la zone « libre » dont faisait partie le Camp des Milles, «demeurent une marque d’infamie dans notre histoire, une blessure à notre mémoire nationale» -message de la Ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens combattants, Geneviève Darrieussecq-. Et la Ministre déléguée de poursuivre en rendant hommage aux Justes de France, « il y eut des ténèbres, mais tant de lumières aussi ». Propos illustré par la lecture solennelle des noms des Justes ayant œuvré en faveur des internés du Camp des Milles. Ils rappellent qu’il est possible de résister aux extrémismes au nom des valeurs de justice, de fraternité et d’humanité.

Soulignons qu’entre août et septembre 1942, environ 2 000 hommes femmes et enfants juifs furent déportés du Camp des Milles vers Auschwitz, le plus jeune avait un an. Sous un soleil de plomb, les invités ont pu entendre les noms de la centaine d’enfants et d’adolescents déportés lus avec une grande émotion par Yannis, 16 ans, en SNU au Camp des Milles.

Pour Alain Chouraqui, Président de la Fondation du Camp des Milles -Mémoire et Education, cette journée était aussi l’occasion de rappeler que cette mémoire éclaire notre présent : «Tous les témoignages que nous avons entendus, ce qui s’est passé à Oradour, mais aussi ici, ne nous laissent aucun choix : nous devons être sans aucune faiblesse, nous devons être vigilants à l’égard de tous les grignotages, de tous les engrenages».

«C’est dans le rejet de l’Autre que se nourrit l’engrenage qui conduit de proche en proche au pire»

Après avoir dénoncé la persistance de l’antitziganisme et l’antisémitisme annonciateur des malheurs pour tous, Alain Chouraqui ajoutera: «S’il y a une journée nationale qui est consacrée aux crimes racistes et antisémites du régime de Vichy, cela n’est pas un hasard. C’est parce que la République a compris que c’est dans le rejet de l’Autre que se nourrit l’engrenage qui conduit de proche en proche au pire. Le racisme et l’antisémitisme sont un moteur qui fait sortir la démocratie de ses gonds. Il existe deux points de convergence entre le Camp des Milles et Oradour : nos lieux sont des lieux repères qui rappellent des vérités, aujourd’hui malmenées. Des vérités tangibles. Nous sommes aussi des lieux d’alerte sur les engrenages, les extrémismes identitaires. Le souci de l’identité est absolument naturel à l’Homme. C’est lorsque la question de l’identité domine le débat public, lorsque l’extrémisme s’empare du côté passionnel de la dimension identitaire, que le danger existe. Et il existe aujourd’hui».

Nous vous léguons notre Mémoire

Commémorer, mais aussi transmettre. «Nous vous léguons notre Mémoire, à charge pour vous de la transmettre de génération en génération, afin que nul n’oublie, afin que nul ne doute, afin que nul ne nie», a exhorté Denise Toros-Marter, déportée à Auschwitz à 16 ans, co-fondatrice du Site-mémorial, en lisant son poème en prose «Le Testament d’Auschwitz ».

Jacky Ayache représentant la communauté juive d’Aix-en-Provence et le consistoire central, rappelait aussi l’importance de la transmission de cette mémoire : «La Shoah a une portée universelle en ce qu’elle révèle la possibilité de l’anéantissement de l’humain dans l’Homme selon l’expression de Myriam Revault d’Allonnes. La Shoah a été un assassinat purement ethnique.». Et de conclure ainsi son intervention : «Je souhaite à la jeunesse un avenir plus beau que le XXe siècle qui a inventé le crime d’être né. Je souhaite à ceux qui naissent : la vie, le bonheur et la joie ».

une délégation d’Oradour-sur-Glane

Cette année, la Fondation recevait une délégation d’Oradour-sur-Glane, village martyr qui a connu la barbarie le 10 juin 1944. De ce massacre de tout un village perpétré par les SS, il ne reste plus aujourd’hui qu’un seul témoin Robert Hébras, 96 ans, dont la petite-fille, Agathe Hébras, a participé à la cérémonie au Camp des Milles ce 18 juillet.

Durant le temps d’hommage, le Maire d’Oradour-sur-Glane, Philippe Lacroix, a déclaré : «Comment ne pas penser à toutes les victimes de toutes ces tragédies, les vôtres, les nôtres et toutes celles et ceux qui ont perdu la vie victimes de l’intolérance et du fanatisme destructeur. Nos anciens qui ont vécu cette tragique époque doivent pouvoir le plus possible transmettre à leurs enfants, leurs petits-enfants le témoignage afin que l’on n’efface jamais ces pages douloureuses de notre histoire et rappeler sans cesse les valeurs qui doivent nous unir par-delà nos différences. Parmi ces valeurs, il y a le courage et cette volonté inéluctable de reconstruire, de se reconstruire comme l’ont fait ceux qui ont survécus et d’œuvrer pour la paix et l’amitié entre les peuples en Europe et partout dans le monde».

Trois témoignages devant des jeunes

Alain Chouraqui entouré de jeune de l'Epide © Camp des Milles
Alain Chouraqui entouré de jeune de l’Epide © Camp des Milles

Après la cérémonie, des jeunes de l’Établissement pour l’insertion dans l’emploi (Epide) et du Service National Universel (SNU), qui ont participé activement à la cérémonie, ont échangé avec trois témoins : Denise Toros-Marter, déportée à Auschwitz à 16 ans, Marcel Touros, enfant caché, Agathe Hébras petite-fille de Robert Hébras, l’un des sept rescapés du massacre d’Oradour-sur-Glane en 1944.
Leurs questions portaient autant sur l’histoire vécue que sur la transmission nécessaire pour le présent.

Créer pour résister

La Journée d’hommage a ensuite permis aux jeunes de visiter le Camp des Milles et de découvrir l’histoire des lieux et des personnes qui y furent internés. Parmi elles, de nombreux artistes et intellectuels, comme les peintres Max Ernst et Hans Bellmer. Ces derniers ont résisté à la déshumanisation programmée dont ils étaient l’objet en créant des œuvres, dont on retrouve des traces sur les murs de la tuilerie, aujourd’hui encore.

Dans la continuité de cette histoire singulière, la Fondation a proposé aux jeunes qui ont participé à la cérémonie du matin un atelier de création artistique en présence du plasticien Wilfried Isnard, dit Menhyr. Et du 19 juillet au 19 septembre 2021, le Site-mémorial propose au grand public de découvrir son exposition «Matières à Réflexion», des œuvres en lien avec des travaux réalisés avec des jeunes au Camp des Milles. Cette exposition sera enrichie durant l’été.
La rédaction

Plus d’info: campdesmilles.org

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