Publié le 6 août 2021 à 19h21 - Dernière mise à jour le 1 novembre 2022 à 14h53
C’est en quelque sorte un rituel. Au Festival de piano de La Roque d’Anthéron… Un génie du clavier chasse l’autre. Et il est souvent Russe de surcroît. En effet après Arcadi Volodos qui a enflammé samedi dernier le Parc Florans, c’était au tour de Boris Berezovsky d’avoir offert un concert tellurique et désormais…mythique. L’a-t-on vu dans le passé lui qui vient ici tous les ans à un tel niveau de perfection. « Pas sûr», ont répondu quelques estivaliers à l’issue du concert.
Palette de couleurs, inventivité, technique sans failles, poésie, légèreté et puissance, tout y était…s’enchaînant avec une facilité confondante, la marque en fait d’un don inné et d’un travail acharné. Colosse aux mains d’or, géant au sommet de son art, artiste des sons comme des formes, le pianiste, pour qui tout semble facile, joue puissamment sans frapper, et distille des trilles d’une grâce de tous les instants.
Au programme deux sonates de Beethoven, et des extraits des « Années de pèlerinage » deuxième année. Un choix plus qu’original en fait, car, alors qu’habituellement on donne en concert les sonates « Les Adieux», «La tempête», la «Pathétique», l’ «Appassionata», ou la redoutable «Hammerklavier», Himalaya de toutes les sonates du compositeur, Boris Berezovsky s’est attaché à présenter les deux premières sonates de Beethoven, dont la structure s’apparente à un chant.
Notons d’ailleurs à ce sujet que le thème du dernier mouvement de cette sonate inspira de toute évidence Gainsbourg sur «Poupée de cire poupée de son». Si l’interprétation de cette sonate dont le premier mouvement n’est pas sans rappeler les premières mesures du finale de la 25e symphonie de Mozart, est à ce point magique c’est parce que Berezovsky a évité deux écueils : celui de jouer Beethoven comme du Mozart, et d’interpréter l’ensemble comme c’est souvent le cas chez ses contemporains, avec un faste solennel très germanique. Et du coup le pianiste fait ressortir la finesse et l’humour du compositeur, chose pas si fréquente au demeurant.
Le piano de l’âme nous a fait ses confidences
Les doigts courent presque naturellement, sans efforts, sans pathos, ni rubato. Puis Berezovsky récidive avec Liszt, donné dans un mélange de maestria et d’intériorité. Des extraits de la deuxième année de Pèlerinage qui requièrent virtuosité et réflexion faite en amont. On croit alors avoir tout entendu ! Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Quatre rappels vont suivre. Défilent alors des compositeurs tels que Oscar Peterson avec Child is born dédié à René Martin dont c’était l’anniversaire, Art Tatum : Tigger rag, Youmans : Tea for two et le Londonderry Air (Oh Danny Boy). On se surprend à penser aux corrélations avec Liszt et on se dit que ce dernier s’il vivait aujourd’hui aurait peut-être bien écrit pour le jazz… Là encore, l’Empereur Boris lui qui peut tout jouer fut un médium des musiques choisies. Un géant nous a conquis . Le piano de l’âme nous a fait ses confidences. Un ange est passé… les cigales du Parc Florans le chantent encore.
Jean-Rémi BARLAND