Publié le 30 août 2021 à 20h50 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Quatorze ans. Quatorze ans c’est l’âge où l’on doit retrouver ses amis, angoisser de la rentrée qui arrive toujours trop vite, fantasmer sa nouvelle classe, imaginer demain. Pourtant, la semaine dernière, c’est à quatorze ans que Rayanne avait rendez-vous avec la mort. Fini les demains.
La trop longue rubrique nécrologique du secteur Nord de Marseille a, une fois de plus, endeuillé ce mois d’août. Avant ce drame, le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, ont réaffirmé leur détermination et leur engagement pour la sécurité des Marseillais en renforçant nos moyens. Le président de la République sera également là cette semaine pour annoncer un plan global et sans précédent pour Marseille.
Car, au-delà de l’indispensable répression de la criminalité, c’est par tous moyens qu’il faut s’engager contre les trafics : pénaux, préventifs, éducatifs et économiques.
Et si le crime, cessait de payer, et que les plus mauvaises intentions venaient désormais soutenir les engagements les plus altruistes ?
Ayant été avocate, je me suis souvent interrogée sur le sens et l’efficacité de la peine, et plus particulièrement sur son effet dissuasif.
Pour qui accepte l’hypothèse du règlement de compte, la prison ne peut être dissuasive [[D’ailleurs, 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées dans les cinq ans – Source observatoire International des prisons.]] Pire, lorsqu’un trafiquant est incarcéré, ou tué, un autre prend sa place. Dans des quartiers en déshérence économique, le crime ne manque jamais de main d’œuvre. Le trafic est un miroir aux alouettes pour certains jeunes qui, attirés par un argent prétendu facile, sont finalement aspirés dans une entreprise mortifère. Que vaut la vie d’un minot payé 200€ face aux 75 000 euros journaliers d’un point de deal ? C’est ce miroir qu’il faut briser pour révéler la réalité des trafics.
Dans ce contexte, dépénaliser est une fuite en avant, un renoncement inutile et dangereux car l’économie du crime trouvera toujours un nouvel objet de désir pour alimenter la machine et générer du gain. Toujours plus de gain.
L’argent du trafic, c’est 10 à 15 millions d’euros par mois à Marseille. Ces millions vont essentiellement à Marbella ou au Maroc, échappant à la solidarité quand ils pourraient demain la financer directement [[Selon le rapport 2017 du Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique de la criminalité organisée (SIRASCO) publié en 2018, le chiffre d’affaires de la criminalité organisée est estimé entre cinq et six milliards d’euros en 2017 en France.]].
C’est donc sur ce facteur économique de l’équation que je propose d’agir fort, en saisissant désormais systématiquement les avoirs criminels et en redistribuant le fruit des saisies au tissu associatif local et aux forces de police dans un cadre simplifié, étendu et systématisé : la «saisie-redistribution».
Saisir, c’est briser le cercle vicieux du crime en le privant de son financement et de son objet. Distribuer au sein de l’économie sociale et solidaire, c’est participer à la prévention pour soutenir -avec ses propres ressources !- l’encadrement social, l’éducation, le sport, la culture pour tous, l’amélioration des conditions d’habitat…
Depuis longtemps cette idée a été portée sur le terrain, notamment par l’association « Pas sans nous », mais elle s’est heurtée à des difficultés juridiques et sans doute culturelles même si la législation a connu des évolutions. Ainsi des mécanismes existent déjà dans notre arsenal juridique, mais ils ne sont pas devenus, à ce jour, l’arme qu’ils devraient être contre le crime. La loi Warsmann du 9 juillet 2010 et la loi El Hairy ont ouvert la voie. Pourtant, L’A.G.R.A.S.C., l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, constate dans son dernier rapport annuel un reflux des saisies d’avoirs criminels sur les trois dernières années [[Justice / Portail / Rapport d’activité de l’Agrasc 2020.]].
Le rapport très fouillé de Laurent Saint-Martin et de Jean-Luc Warsmann sur le sujet propose plusieurs dizaines d’axes d’efficience des dispositifs existants. A cet égard, je salue l’action du garde des Sceaux depuis le début de l’année qui a porté et rendu possible l’extension des possibilités d’attributions des biens saisis. Ce sont désormais les services judiciaires et les associations portant un intérêt social qui peuvent bénéficier des biens saisis. Il faut poursuivre cette action.
C’est pourquoi, dans ce sillon, il me semble indispensable d’aller encore plus loin avec la création d’un outil visible, simplifié, systématisé et socialement engagé : la saisie-redistribution. Ainsi, nous opérerons une révolution culturelle et rattraperons l’Italie ou l’Irlande, qui sont des modèles en termes de lutte contre le crime.
Cette révolution, je propose de la commencer par une expérimentation à Marseille.
En la rendant visible, avec une publicité systématique et ostensible, par exemple en façade des immeubles saisis, on peut affirmer l’objectif préventif de la saisie-redistribution et dissuader les apprentis criminels. En impliquant directement le tissu associatif local, on ne privera pas ces quartiers de ressources qui, bien qu’illégales, participent aujourd’hui d’une économie de la survie. En la décorrélant de la procédure pénale, on s’assure de son impact immédiat et on empêche l’évasion de l’argent à l’étranger vers les têtes de réseaux planquées au soleil. Enfin, en ciblant prioritairement les biens meubles de série, on s’assure de la sécurité juridique du système en permettant une juste indemnisation en cas de recours fructueux.
La saisie-redistribution doit être le fondement d’une nouvelle politique de lutte contre tous les trafics car elle porte en elle toutes nos valeurs républicaines :
• Celles d’une République où le travail paie plus que le crime, parce que le crime cessera de payer ;
• Celles d’une République qui n’abandonne aucun territoire, ni aux mains des mafieux, ni à celles du désespoir social ;
• Celles d’une République qui veille à l’égalité des citoyens en aidant avant tout ceux qui en ont le plus besoin ;
• Celles d’une République où le respect de la loi est rétabli par la visibilité et l’efficacité immédiate des sanctions.
Alexandra Louis est députée de la 3e circonscription des Bouches-du-Rhône
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