Publié le 11 octobre 2021 à 19h01 - Dernière mise à jour le 1 novembre 2022 à 16h41
Lors de sa venue à Marseille le président de la République s’est engagé à venir en aide au territoire, demandant en contrepartie une évolution de la gouvernance de la métropole et déplorant «l’absence de capacité d’investissement de la Métropole Aix-Marseille-Provence qui entrave le financement de projets structurants de dimension métropolitaine». Un point de vue que ne partage pas Gérard Bramoullé, premier adjoint à la mairie d’Aix-en-Provence et 1er vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence. Il s’en explique dans une note- que Destimed a pu se procurer- adressée à la présidente de la métropole Martine Vassal.
Gérard Bramoullé explique, dans une note rédigée en urgence à la demande de la présidente de la métropole: Sauf le respect que je dois au chef de l’État, je ne partage pas l’idée d’une «absence de capacité d’investissement» de notre Métropole. En pleine pandémie, nous avons réalisé en 2020, près de 600 millions de dépenses d’équipement, et l’on peut penser que sans la crise sanitaire, il y en aurait au moins 50% de plus. En outre, notre dernier compte administratif ne présente pas de besoin de financement pour la section d’investissement , ce qui est sans doute conjoncturel mais appelle de nuancer l’appréciation « d’absence ». Cette conjoncture montre au moins que le phasage , le décalage dans le temps, ou les lissages des investissements sont des moyens d’alléger la contrainte de financement .
A contrario, les services de l’État et de la Chambre régionale des comptes ont une conception trop restrictive des «projets structurants de dimension métropolitaine». Il semble en effet qu’à leur avis, seuls les investissements du budget central , à l’exclusion des investissements des territoires, ont droit à cette qualification des projets ( sauf pour ceux qui auraient anticiper sur la création de l’institution métropolitaine et qui n’auraient pas dû être réalisés par les territoires …). De fait, et depuis toujours, les « parties » sont consubstantielles au «tout» , et si le tout est souvent plus que les parties (7e entité) , il arrive aussi que la somme des parties soit supérieure au tout, comme ce fut le cas avant 2016.
«la situation financière et budgétaire de notre institution est très tendue»[[Les inter sont de la rédaction]]
Cela dit, il reste que la situation financière et budgétaire de notre institution est très tendue. Pistes et propositions pour augmenter les moyens de financement des investissements sont indispensables car l’autofinancement est trop faible et la dette trop importante par rapport à l’épargne. Elles peuvent résulter de l’analyse des modalités de réalisation des dépenses d’équipement que sont les subventions d’équipement, les emprunts et l’épargne. Tel est l’objet de cette note.
1) Les subventions d’équipement.
Le pacte financier et fiscal de juin 2016 avait fixé à 20% la part des subventions d’équipement dans les moyens de financements des investissements . Cet objectif doit bien sûr être compris en tendance, mais il n’a jamais été atteint et , et n’a pas au mieux dépassé les 17% ( 12% au dernier compte administratif ! ). La marge de manœuvre est de l’ordre de 5 à 6% du volume des investissements , soit près de 45 millions d’euros (6% de 750 millions, chiffre d’avant la pandémie).
Des efforts ont été effectués pour développer la contractualisation mais s’avèrent insuffisants : le taux d’exécution des subventions d’équipement atteint péniblement les 50%. Le problème provient pour l’essentiel de l’enchevêtrement des responsabilités des collectivités partenaires , et en particulier de l’État. Lors de la dernière commission des finances, le DGA concerné , d’habitude très policé, n’a pas hésité à parler d’«un sac de nœuds» en évoquant l’absence de clarté entre l’État et l’Europe pour utiliser les financements du plan de relance.
Sur le même plan la procédure des appels à projets est trop lourde et les priorités ou fléchages nationaux ne sont pas toujours adaptés à nos besoins locaux ( cf.les travaux de voirie). Quant au contrat de plan État-Région, son élaboration n’est pas simple, nécessitant une clause de revoyure qui se fait toujours attendre; prévu sur la période 2021-2027, ce contrat n’est pas encore abouti. Il est vrai que quelquefois les confusions de compétence empêchent d’effectuer des dépenses, comme lorsque la préfecture ne nous a pas permis de mettre en place des fonds de soutien à l’activité économique (relevant de la Région) malgré l’urgence et « l’état de guerre ».
La contractualisation de la Métropole avec la CDC (banque des Territoires) est intéressante pour l’aire marseillaise, mais la deuxième ville de l’aire métropolitaine a dû lancer une convention spécifique avec la banque des Territoires pour combler les limites de la première. Il faut espérer qu’après avoir « montré ses muscles », la CDC agisse à hauteur de ses moyens et de façon non bureaucratique. A suivre.
«La chasse aux subventions est un exercice particulier»
La chasse aux subventions est un exercice particulier ; il peut être externalisé ; il peut aussi faire appel à des mécanismes d’intéressement pour les services administratifs chargés de cette mission. Il semble judicieux de ne pas se contenter d’un service centralisé pour cela et de doter chaque service dépensier d’une expertise propre en la matière. Yves Vidal avait suggéré que toute dépense proposée soit compensée par une économie équivalente ( à l’image de ce que fait le Parlement), et sa suggestion pourrait être adaptée aux dépenses d’équipement : pas de proposition sans que le service concerné n’ait analysé les possibilités de cofinancements.
En d’autres termes, la capacité à financer les investissements de la Métropole passe aussi par une adaptation des modes de gestion tant de la Métropole que de ses partenaires.
2) les emprunts.
La dérive des emprunts et de la dette est caractéristique de la trajectoire historique de notre Métropole. La commune de Marseille, ensuite l’EPCI MPM, et d’autres encore se sont servis des emprunts comme variable d’ajustement sans limite raisonnable. Dans l’aire métropolitaine, les règles prudentielles des réseaux bancaires ont été détournées de trois façons. D’abord par le recours à des emprunts structurés, dits toxiques , généralement proposés par des banques étrangères et/ou en devises étrangères. L’évolution catastrophique du coût de ces emprunts a obligé la Métropole à réaménager ces emprunts à hauteur de 260 millions (cf. Rapport de la CRC, p.78). Le coût de cette « désensibilisation » représente de l’ordre de 170 millions. Autant de moins pour le financement des investissements, mais manque à gagner nécessaire car s’abstenir aurait coûté plus cher ! Ensuite, sur le prétexte fallacieux de diversifier les sources de financement , mais pour échapper en fait aux règles de prudence, la Métropole a , après Marseille, eu recours au montage discutable d’une banque privée qui gèle 17 millions de mise de la « blinde » d’adhésion( récupérable mais dans plusieurs années).
«un risque financier toxique»
Ce gel s’accompagne d’une demande d’octroi de garantie exorbitante qui expose notre institution à un risque financier toxique. Enfin, troisième détournement des règles prudentielles, le recours aux emprunts obligataires, dont la particularité est le remboursement in fine , ce qui oblige à faire des provisions gelant encore des fonds qui pourraient être utiles pour les dépenses d’équipement. De façon générale, les emprunts obligataires ne sont pas recommandés lorsque les anticipations de taux à long terme sont orientés à la hausse, ce qui est le cas aujourd’hui. Évidemment, ces détournements expliquent , en partie, la fuite en avant de l’encours de la dette métropolitaine trop important ( 3milliards ), le coût de ses frais financiers trop élevés (plus de 60 millions d’intérêts et plus de 200 millions de remboursement du capital) et la fragilité cachée de son exposition à un risque toxique.
«changer de logique à l’égard de nos emprunts»
Pour « bâtir la Métropole de demain », il est essentiel de changer de logique à l’égard de nos emprunts. Ceux ci doivent redevenir une variable de commande dont le montant doit être fixé a priori sur la base de la capacité de remboursement, et dont la structure doit être d’autant plus prudente que l’horizon financier est de plus en plus incertain. Notre trajectoire en la matière est inquiétante: le pacte financier et fiscal déjà évoqué recommandait à hauteur de 23% la part du financement des investissements par les emprunts, nous sommes à 70% au compte administratif de 2020. Signe de cette absence de maîtrise, le rythme d’augmentation de l’encours dépasse les 9% , et la mobilisation des emprunts a dépassé les prévisions du ROB (en particulier en 2018).
L’exercice budgétaire de 2021 en cours parait mieux maîtrisé, comme semble le montrer les ajustements du budget supplémentaire, mais les erreurs du passé nous suivent et nous poursuivent; les spécialistes appellent cela « la dépendance de sentier ». Là encore, une adaptation des modes de gestion parait souhaitable pour avoir une trajectoire viable.
«le poids des budgets annexes n’est pas négligeable»
Dans cette dérive de la dette, le poids des budgets annexes n’est pas négligeable: sur les 3 milliards de l’encours, un tiers leur est imputable, et le budget annexe de la mobilité en est la plus grande part. Le Président de la République a bien compris l’enjeu en cause, puisqu’il propose de débudgétiser 750 millions d’investissements de mobilité dans une institution ad hoc. Le geste permettrait à la métropole de retrouver une capacité de financement par emprunts pour d’autres dépenses d’équipements que la mobilité, à condition que les capacités de remboursement s’améliorent. La SNCF avait profité d’un geste comparable à une hauteur beaucoup plus importante, et aux dires même de Jean Pierre Serrus, responsable local de LREM, un temps VP à la mobilité, la proposition de l’État serait encore insuffisante compte tenu du retard accumulé sur les infrastructures de transport.
3) L’épargne.
La perte des marges de manœuvre en ce qui concerne les emprunts résulte de l’évolution défavorable et insuffisante de l’épargne du budget métropolitain. Dès sa création, la métropole avait une épargne limite, malgré l’apport de l’épargne des EPCI bien gérés ( Le Pays d’Aix a ainsi apporté jusqu’à 40% de l’épargne métropolitaine). Aujourd’hui, l’épargne nette, celle disponible pour l’autofinancement des investissements, est quasi nulle ; l’épargne brute absorbe les charges de la dette, représentant près de 270 millions, ce qui est beaucoup et ne laisse plus de ressources pour les dépenses d’équipement. Comment faire pour augmenter l’épargne , et sortir de ce cercle vicieux?
L’épargne est un solde entre les recettes et les dépenses de fonctionnement ; augmenter l’épargne suppose d’augmenter les recettes et/ou réduire les dépenses .
a) les recettes de fonctionnement
Elles proviennent des dotations de l’État, de la péréquation et de la fiscalité . Nous ne sommes pas maitre des deux premières, mais il appartient à l’État de manipuler les paramètres de ces reversements pour qu’ils prennent en compte la situation de la plus grande métropole du territoire national, laquelle à droit à des paramètres spécifiques différents de ceux ordinaires. Attention en particulier au FPIC dont le seuil d’inéligibilité, qui se rapproche dangereusement, pourrait être relevé.
L’essentiel des recettes de fonctionnement provient de la fiscalité qui comporte deux catégories de prélèvement :
D’une part des impôts non modulables ( CVAE) dont l’évolution n’est , par définition , pas de notre ressort. Mais il n’est pas interdit de suggérer son augmentation pour dégager des marges de manœuvre ; cela suppose une évolution législative, laquelle est attendue depuis longtemps sur d’autres sujets métropolitains.
D’autre part des impôts modulables, plus importants que les précédents, comportant des impôts de production (CFE), qu’il s’agit de réduire aux dires même du gouvernement, des impôts sur les ménages (TH et TFB) et des prélèvements de nature ambigüe devant équilibrer les budgets annexes. Les impôts ménages affectent le pouvoir d’achat et l’augmentation de leurs taux ne parait pas recommandable à l’image de ce qu’a fait l’application du pacte financier et fiscal depuis 2016 ; d’autant que la TFB est désormais un rare levier fiscal des communes et que son évolution prévisible est haussière. En revanche, on peut recommander l’accélération de la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation qui , à coté de raisons de justice fiscale , peut générer des produits fiscaux supplémentaires.
De même, il est possible de proposer l’ajustement des taux des prélèvements- recettes des budgets annexes . Certains territoires ont déjà fait évoluer leurs taux dans ce sens en particulier pour la TEOM, et cet ajustement devrait se poursuivre jusqu’à l’équilibre de ces budgets . Le cas du versement mobilité transport est encore à part puisque son taux (2%) est déjà au maximum légal, sans que le budget annexe de mobilité soit équilibré hors subvention du budget central.
«s’inspirer de l’architecture institutionnelle du Grand Paris»
On peut proposer que la métropole AMP soit traitée comme le Grand Paris où le taux est déverrouillé. (D’une façon plus générale, AMP aurait souvent à s’inspirer de l’architecture institutionnelle du Grand Paris). Dans le même esprit, là où la taxe d’aménagement comporte deux parts ( bloc communal et département) , on peut envisager aussi qu’AMP dispose aussi d’une troisième part , régionale . Encore une fois l’évolution législative est indispensable pour retrouver des marges de manœuvre.
b) les dépenses de fonctionnement.
Réduire ces dépenses est nécessaire , mais pas comme le demandent les administrations centrales ( CRC, Préfets) et parfois même nos administrations locales, c’est à dire en réduisant les allocations de compensation. L’acharnement à défendre cette réduction est typique d’une technocratie qui s’assoit sur le principe de non rétroactivité et sur la logique économique au nom d’une approche comptable artificielle et d’un dogmatisme institutionnel anti communal.
En effet, si la M 57 classe comptablement les allocations de compensations dans les dépenses de fonctionnement de la métropole, elles sont « en même temps » des ressources économiques pour nos communes qui sont aussi parties intégrantes de la même métropole. En fait, le classement comptable est artificiel car il ne permet pas de comprendre que ces allocations irriguent économiquement l’aire métropolitaine et parce qu’il crée un « anti concept» (contradictoire) à la fois dépense et ressource. Nous proposons de modifier ce classement et par exemple de débudgétiser ces allocations dont les montants n’entreraient plus dans la collecte fiscale , redonnant au terme d’atténuation de produit un sens propre qu’il perd dans la rubrique correspondante du chapitre 14 de la M 57. Outre que cela facilitera les comparaisons avec les budgets de fonctionnement des autres collectivités dont les structures budgétaires ne comportent pas cette ligne (de 633 millions, soit 1/3 du total), cela permettra de mieux repérer les autres niches d’économies de fonctionnement.
«La mutualisation attendue par la création de la métropole n’a pas eu lieu»
A cet égard, il est clair que la maîtrise du chapitre 12 « charges de personnel et frais assimilés » doit faire l’objet de toutes les attentions . La mutualisation attendue par la création de la métropole n’a pas eu lieu; au contraire, des embauches ont été effectuées en même temps que des personnels sont entrés en chômage technique suite à la centralisation métropolitaine. Sur la RH aussi il faut une adaptation des modes de gestion pour sortir des ornières dangereuses du passé et espérer améliorer notre épargne.
En synthèse, il me semble possible de retrouver des marges de manœuvre pour augmenter notre capacité de financement des investissements. Mais sans implications de l’État, sans évolution législative de notre architecture financière et budgétaire, sans changement radical de certaines de nos pratiques administratives, la mission parait impossible tant la « dépendance de sentier » est forte. J ‘espère , Madame le Président, que cette note vous sera utile pour que l’on puisse « parler d’une même voix ».
[(La note de Gérard Bramoullé adressée à Martine Vassal ICI )]