Publié le 20 octobre 2021 à 20h29 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h22
Dès les années 1970, Total connaissait l’impact des énergies fossiles sur le changement climatique. Après avoir passé cette information sous silence, l’entreprise a tenté de minimiser le problème. Notre Affaire à Tous et 350.org demandent justice.
Dans un article publié aujourd’hui dans la revue académique internationale Global Environmental Change, (Lien en français ICI ) trois historiens révèlent que les dirigeants et salariés de TotalEnergies (à l’époque Total et Elf) ont été avertis de la possibilité d’un dérèglement climatique sans précédent dû à la production de combustibles fossiles dès 1971, et documentent comment la multinationale a consciemment mis en place, au cours de ces 50 dernières années, différentes stratégies de fabrique du doute autour de l’urgence climatique afin de discréditer la science, et empêché par un lobbying féroce toute forme de régulation de leurs activités, tout en continuant à développer massivement et presque exclusivement les énergies fossiles.
Campagne de mobilisation
Pour mettre en lumière ces révélations les associations Notre Affaire à Tous et 350.org lancent une campagne de mobilisation et exigent des décideurs publics de tenir la multinationale responsable et des institutions financières de cesser de la financer. Pour les associations 350.org et Notre Affaire à Tous : «Ces révélations apportent les preuves que TotalEnergies et les autres majors pétrolières et gazières ont volé le temps précieux d’une génération pour enrayer la crise climatique. Les conséquences désastreuses du dérèglement climatique que nous vivons actuellement auraient pu être évitées s’il y a 50 ans dans une salle de réunion, des dirigeants n’avaient pas calculé sciemment que quelques décennies de profits supplémentaires valaient davantage.»
TotalEnergies change de nom, mais pas de stratégie
La mise en évidence des stratégies utilisées par Total depuis 50 ans pour retarder l’action climatique «montre que la priorité de la multinationale a toujours été la protection quoiqu’il en coûte de leurs profits, même si cela doit impacter de manière irréversible les sociétés humaines et les écosystèmes. Alors que leurs dirigeants savaient qu’une fois que les effets du dérèglement climatique seraient mesurables ils seraient irréversibles, Elf et Total ont continué à soutenir une stratégie du doute offensive dans les années 1990 dans le but de contrer toute régulation de la production d’énergies fossiles», indique les associations.
Aujourd’hui encore, ajoute les associations: «TotalEnergies compte toujours augmenter ses capacités de production et développe de nouveaux projets dévastateurs dans des régions protégées, comme les projets EACOP en Afrique de l’Est ou encore Arctic LNG2. Avec le soutien des acteurs financiers, en 2030, les combustibles fossiles représenteront encore plus de 80% des investissements du groupe.» Selon Clémence Dubois, responsable France pour 350.org : «Le développement intensif de nouveaux projets pétroliers et gaziers est une déclaration de guerre contre l’humanité. La poursuite d’investissements massifs pour développer de nouveaux gisements de pétrole et de gaz dans les années à venir finira par coûter des millions de vies. Du monde entier, nous lançons un appel aux banques et aux institutions financières : il est temps de couper les vivres à Total.»
Cesser de développer de nouveaux projets fossiles
Les associations préconisent: «Gouvernements et acteurs financiers doivent contraindre TotalEnergies à s’aligner sur les recommandations du GIEC en cessant de développer de nouveaux projets fossiles. Alors que les négociations de la COP26 s’ouvrent dans quelques semaines, ces révélations soulignent l’urgence pour les gouvernements d’abandonner la stratégie d’engagement volontaire des industries fossiles pour opérer la transition énergétique,mais au contraire qu’ils imposent de manière contraignante le respect des objectifs de l’Accord de Paris.»
Selon Justine Ripoll, responsable de campagnes de Notre Affaire à Tous : «Le droit et la justice se montrent de plus en plus efficaces pour créer un cadre contraignant les multinationales à respecter leurs engagements climatiques, comme le démontre le cas de Shell aux Pays-Bas. Mais nous devons être vigilants : ces lois sont attaquées de manière constante, comme nous le voyons actuellement avec la loi sur le devoir de vigilance qui risque d’être affaiblie demain par les parlementaires, de leur propre aveu sous la pression des lobbys des grandes entreprises».
Ces pratiques de lobbying auprès des pouvoirs publics, pour faire primer les intérêts des multinationales sur le futur des populations et de la planète ne sont pas récentes. L’article des chercheurs mentionne par exemple le rapport interne d’Elf en 1992 qui se félicite de la mise en échec récente de l’écotaxe, grâce au travail de lobbying réalisé auprès «d’interlocuteurs directs avec les cabinets ministériels et les administrations en France et auprès de la Communauté économique européenne.»
Que le Parlement se saisisse de ces révélations
Les associations considèrent qu’«il est impératif que le Parlement se saisisse de ces révélations en lançant une commission d’enquête, pour faire toute la lumière sur la manière dont les décisions climatiques des pouvoirs publics ont été prises durant toutes ces décennies.TotalEnergies doit être tenu responsable pour les pertes et les dommages causés par sa décision d’ignorer les alertes scientifiques depuis 50 ans et mettre toutes ces ressources à disposition d’une transition énergétique réelle et immédiate de ces activités.»
[(Afin de mettre la lumière sur les agissements de TotalEnergies depuis 1971, permettre aux citoyennes de passer à l’action, et de faire pression sur les acteurs publics et financiers en position d’imposer la transition climatique à TotalEnergies, Notre Affaire à Tous et 350.org ouvrent un front commun sur le site: totalment.fr)]
Patricia MAILLÉ-CAIRE
Notre Affaire à Tous et 350.org : Les raisons de notre action
Total est l’une des 20 entreprises fossiles ayant le plus contribué au dérèglement climatique depuis 1965 [[ Climate Accountability Institute, (2020).]] et malgré sa volonté de se renommer TotalEnergies,la multinationale pétrolière et gazière continue aujourd’hui à produire 447 unités d’énergies fossiles pour une seule d’énergies renouvelables [[Rapport Total fait du sale]]
Pour limiter le réchauffement à 1,5°C, ou même 2°C, et respecter les objectifs de l’Accord de Paris, les données sont sans appel : aucune nouvelle infrastructure fossile ne peut être développée, comme l’a rappelé l’Agence Internationale de l’Énergie,[[Climat : l’Agence internationale de l’énergie appelle à renoncer immédiatement à tout nouveau projet fossile | Les Echos]] certaines exploitations déjà en opération devront être fermées avant la fin de leur durée de vie et la production d’énergies fossiles doit diminuer de 6% par an jusqu’en 2030. Or, Total continue d’investir massivement dans le développement de nouveaux projets d’énergies fossiles, comme le très controversé projet pétrolier d’EACOP entre l’Ouganda et la Tanzanie, ou des projets d’énergies fossiles en Arctique, impliquant une augmentation de la production d’énergies fossiles de plus de 50% entre 2015 et 2030 et une trajectoire vers un mode à plus de 4°C. Si la stratégie climatique de Total ne change pas, en 2030, les énergies fossiles capteront toujours plus de 80% des investissements de TotalEnergies. [[Rapport Total fait du sale]].
Les 60 plus grandes banques du monde ont investi 3 800 milliards de dollars dans les énergies fossiles
Cette situation invraisemblable au regard de l’urgence climatique ne pourrait pas avoir lieu sans le financement des banques et investisseurs qui soutiennent Total. Depuis l’Accord de Paris, les 60 plus grandes banques du monde ont investi 3 800 milliards de dollars dans les énergies fossiles: le monde brûle et elles jettent de l’huile sur le feu. Mais ces dernières années, une communauté grandissante d’activistes organisent la riposte de tous les côtés face aux responsables du financement de l’industrie fossile. Suite à une grande mobilisation, EACOP devra se passer de trois des principales banques françaises car BNP, Société Générale et Crédit Agricole qui ne financeront pas le projet de Total en Ouganda, rejoignant ainsi Barclays et Crédit Suisse. Il y a deux ans, La Banque européenne d’investissement (BEI) a annoncé qu’elle arrêter de financer les combustibles fossiles à partir de 2021, rejoignant ainsi plus de 1300 organisations ayant choisi de désinvestir.
Quant à la Banque Postale, elle vient d’annoncer qu’elle ne soutiendra plus «les entreprises activement impliquées dans le lobbying en faveur du pétrole ou du gaz, ou celles ralentissant ou bloquant les efforts pour sortir de ces secteurs». Le mouvement de désinvestissement, initié il y a moins de 10 ans 350.org, connaît aujourd’hui une croissance exponentielle, même si des engagements encore plus ambitieux sont encore attendus de la part de tous les acteurs financiers.
Le risque climatique est également un risque financier
Pourtant, le risque climatique est également un risque financier, une alerte récemment confirmée par la Banque centrale européenne. [[Transition écologique : le risque climatique est aussi un risque financier (lemonde.fr) ]]. C’est pourquoi, à la veille de l’assemblée générale de Total de 2020, Notre Affaire à Tous et Sherpa ont signalé à l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) de potentielles contradictions, inexactitudes et omissions dans les documents financiers et les récentes communications publiques de l’entreprise pétrolière en matière de risques climatiques, susceptibles d’induire en erreur les investisseurs dès lors qu’elle ne mettrait pas fin au risque d’actif échoué. Les deux associations considèrent que le groupe fonde sa communication financière sur des hypothèses incertaines ne rendant pas compte de manière suffisamment prudente des risques financiers liés à la dépendance de son modèle économique aux hydrocarbures, ni des risques d’une possible dépréciation très forte de ses actifs.
La maigre prise en compte du risque climatique par Total se retrouve également dans son plan de vigilance, censé identifier les risques et faire état des mesures prises pour prévenir les atteintes graves envers les droits humains et l’environnement, résultant des activités de Total tout au long de sa chaîne de valeur. Comme le montre l’analyse du plan de vigilance et des documents extra-financiers réalisée tous les ans par Notre Affaire à Tous, malgré l’impact considérable de ses activités sur le changement climatique, Total ne propose aucune analyse des risques liés au changement climatique, ne reconnaît pas son devoir de réduire drastiquement ses émissions et ne propose toujours pas de mesures concrètes permettant de prévenir les risques liés au changement climatique. [[Fiches entreprises de 27 multinationales françaises – Notre Affaire à Tous (notreaffaireatous.org)]]
Quatorze collectivités territoriales et 5 associations ont assigné la multinationale en justice
En conséquence, en janvier 2020, quatorze collectivités territoriales et 5 associations (Notre Affaire à Tous, Sherpa, Eco Maires, France Nature Environnement et ZEA) ont assigné la multinationale en justice [[Action en justice contre Total – Notre Affaire à Tous (notreaffaireatous.org)]], sur la base de la loi sur le devoir de vigilance [[legifrance.gouv.fr]], en raison de l’insuffisance de ses engagements climatiques et de leur inadéquation avec les objectifs de l’Accord de Paris. Les associations et collectivités demandent au juge d’enjoindre à la multinationale de prendre les mesures propres à prévenir les risques découlant de ses activités en réduisant drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre, comme l’a récemment exigé la justice au Pays-Bas à l’encontre de Shell [[ CP / Condamnation de Shell aux Pays-Bas : un tournant majeur vers la responsabilité des multinationales en matière climatique – Notre Affaire à Tous (notreaffaireatous.org)]].
Si le droit et la justice se montrent de plus en plus efficaces pour créer un cadre contraignant les multinationales à respecter leurs engagements climatiques, ces lois sont attaquées de manière constante,comme nous le voyons actuellement avec la loi sur le devoir de vigilance qui risque d’être mise en danger demain par les parlementaires, de leur propre aveu sous la pression des lobbys des grandes entreprises10. [[Action en justice contre Total : le Sénat met en danger la loi pionnière sur le devoir de vigilance -Notre Affaire à Tous (notreaffaireatous.org)]].
Affaiblir cette loi pionnière en France, alors que des législations équivalentes sont en négociation au niveau européen et international et qu’une large majorité de citoyens européens sont favorables à celles-ci 11 [[CP / Devoir de vigilance : un sondage révèle le soutien massif de l’opinion publique européenne pour mettre fin à l’impunité des multinationales – Notre Affaire à Tous (notreaffaireatous.org)]] , serait un recul inexplicable et un non-sens historique12 [[ Devoir de vigilance des multinationales : ne pas brader les droits humains au tribunal de commerce| Le Club de Mediapart.]]
Qui paient aujourd’hui le prix fort de l’exploitation effrénée des combustibles fossiles
Alors que la COP26 approche, et que nous allons fêter les 6 ans de l’accord de Paris, il est urgent que les pouvoirs publics et les acteurs financiers contraignent TotalEnergies à respecter les objectifs de l’Accord de Paris.Par leur inaction, ces acteurs font peser le poids de la transition climatique sur les citoyen.nes et les collectivités territoriales qui n’ont pas les leviers suffisants pour enclencher la transition énergétique, mais qui paient aujourd’hui le prix fort de l’exploitation effrénée des combustibles fossiles.
Enfin,les révélations de Bonneuil, Choquet et Franta mettent en lumière l’opacité et la pression exercée par les multinationales fossiles sur les décisions politiques. Total et Elf sont par leur histoire intimement liés à l’État français et ces liens perdurent encore actuellement,comme l’a montré un récent rapport des Amis de la Terre13 [[ L’État français fait le jeu de Total en Ouganda | Les Amis de la Terre]]. Les profits de Total Energies et de ses actionnaires ne sauraient en aucun cas justifier la poursuite effrénée de la production d’énergies fossiles et les violations des droits humains partout où la multinationale s’implante dans le monde, encore moins le soutien de l’État et du contribuable français à ces projets14 [[En effet, alors que Total est le plus gros distributeur de dividendes et rachats d’actions du CAC 40, a perdu 7,2 milliards d’euros en 2020, supprime 1850 emplois en France et échappe à l’impôt sur les sociétés en France grâce à ses 160 filiales dans les paradis fiscaux, la multinationale a bénéficié de rachats d’obligations par la Banque de France.]].
Le contenu des révélations
Un article publié mercredi 20 octobre dans la revue Global Environmental Change par trois historiens, Christophe Bonneuil, Ben Franta et Pierre-Louis Choquet, révèle que la multinationale pétrolière et gazière TotalEnergies a été alertée du risque d’un changement climatique sans précédent, connaissait l’impact de ses activités dans l’accélération et l’aggravation du changement climatique, et savait que les dérèglements climatiques auraient des conséquences dramatiques sur les populations à l’échelle mondiale – tout cela il y a bien longtemps (1971).
Sur la base de documents d’archives et d’entretiens inédits, les chercheurs documentent également les stratégies de fabrique du doute, de lobbying et de greenwashing adoptées depuis 50 ans par la multinationale pour retarder la prise de conscience de l’urgence climatique et toute forme de régulation de ses activités.
Leurs recherches ont été déclenchées par la découverte d’une preuve directe de la connaissance par Total de savoirs scientifiques sur le changement climatique en 1971: cette année-là, Total Information, le magazine de l’entreprise, à l’occasion du premier numéro consacré à l’environnement, publie un article intitulé «La pollution atmosphérique et le climat» (Durand-Dastès, 1971), qui souligne l’origine anthropique et l’impact des activités du groupe «Depuis le XIXe siècle, l’homme brûle en quantité chaque jour croissante des combustibles fossiles, charbons et hydrocarbures», ayant pour conséquence une augmentation «préoccupante» du CO2 dans l’atmosphère, et alerte sur les «effets importants» et les «conséquences catastrophiques » que ce dérèglement climatique pourrait avoir. Il est rédigé par l’un des universitaires français les plus au fait de la littérature internationale sur le sujet à l’époque, François Durand-Dastès.
Cette découverte a été le point de départ de nouvelles recherches basées sur des sources primaires inédites d’archives de l’entreprise et d’entretiens avec d’anciens dirigeants et salariés, afin de savoir comment Total [et Elf avec qui la fusion s’est opérée en 1999] ont répondu à ces premières alertes scientifiques et aux politiques climatiques de régulation de l’industrie fossile depuis 50 ans.
[1971-1988] Total a tout d’abord nié l’existence d’un dérèglement climatique.
Entre 1972 et 1988, pendant 17 ans, le magazine Total Information ne mentionne plus jamais la question climatique. Dans les communications publiques de Total et Elf, le réchauffement climatique est minoré et l’impact des activités humaines sur ces dérèglements est nié. Pourtant, à l’époque, il ne s’agit pas d’un déni de la part de Total, mais bien d’une stratégie active de négation du changement climatique.
En effet, en interne Total et Elf s’activent face à une menace pour leurs activités qu’ils perçoivent comme bien réelle. Ils créent leurs départements environnement en 1971, établissent via l’American Petroleum Institute des programmes de recherche sur le climat vers la fin des années 1970 et élaborent des pistes de stratégies défensives à partir du milieu des années 1980, comme le démontre par exemple un rapport annuel au comité de direction d’Elf en 1986 «De l’avis unanime des experts, tous les modèles prédisent le réchauffement climatique, mais l’ampleur du phénomène reste indéterminée. Bien sûr, les premières réactions ont consisté à «imposer des taxes sur les combustibles fossiles», il est donc clair que le secteur du pétrole devra, une fois encore, se préparer à se défendre» (Tramier, 1986).
[1988-1996] Total a consciemment créé le doute sur l’origine des dérèglements et l’urgence climatique, afin d’empêcher la régulation de ses activités et des taxes sur les énergies fossiles.
Face aux données et alertes scientifiques qui s’accumulent et sont de plus en plus difficiles à remettre en question, et dans un contexte où la communauté internationale s’organise pour faire face à ce que la revue Nature qualifie déjà en 1979 comme «l’enjeu environnemental le plus important aujourd’hui», la stratégie de Total de négation du changement climatique devient contre-productive. En coordination avec toute l’industrie fossile internationale, à travers des organisations comme l’Ipieca ou le «Groupe de travail sur les dérèglements climatiques dans le monde», Total opte pour une stratégie de fabrique du doute, à l’image des compagnies du tabac dans les années 1950. Il s’agit d’invoquer les incertitudes entourant les prévisions climatiques, la nécessité d’effectuer d’autres recherches, le coût des mesures politiques et d’autres politiques environnementales qui ne nuiraient pas aux intérêts des entreprises.
Cette stratégie de promotion de l’incertitude scientifique se comprend d’autant mieux quand on la place dans le contexte de l’énorme combat engagé par Total et Elf contre les taxes sur les énergies fossiles ou éco-taxesaudébutdesannées1990,comme le confirme l’ancien directeur environnement de Total «Girault [directeur de la stratégie chez Elf] craignait que l’enjeu climatique aboutisse à nous imposer des taxes et il était anti-tax […] Il fallait bien s’appuyer sur des arguments, alors il s’appuyait sur ceux qui disaient que le problème climatique n’était pas grave» (Tramier, 24 novembre 2020). Un exemple particulièrement éclairant, documenté par l’article des chercheurs, est celui de la mise en échec par les industries fossiles de l’initiative d’écotaxe européenne en 1992, comme l’atteste par exemple un rapport interne par Elf où Francis Girault s’en félicite et souligne le rôle joué par le travail de lobbying réalisé auprès «d’interlocuteurs directs avec les cabinets ministériels et les administrations en France (Premier ministre, Finance, Environnement, Recherche et Affaires européennes) et auprès de la Communauté économique européenne».
[1997-2021] Total adopte la stratégie du « greenwashing »
L’article documente également le tournant opéré à la fin des années 1990 par Total qui décide d’adopter une position consistant à accepter publiquement la science du climat tout en œuvrant à retarder des décisions ou en promouvant des actions périphériques au contrôle des combustibles fossiles, le virage bien connu du «greenwashing». Total et Elf cessent de contester trop ouvertement le consensus scientifique sur les dérèglements climatiques, mais adoptent plutôt des formulations ambiguës du réchauffement climatique, qui minimisent la fiabilité et la signification des éléments scientifiques.Ils communiquent sur les actions mises en place par l’entreprise pour faire face à la crise climatique, la non-nécessité de régulation, tout
en continuant à investir massivement dans les énergies fossiles.
[(
Ces révélations offrent de nombreuses opportunités de recherches pour le futur, par exemple:
● Existe-t-il un lien entre les affaires de corruption de dirigeants politiques français par Elf dans les années 1990 et la mise en échec des processus de négociations internationales de l’époque ?
● Total, Elf et les autres Majors pétrolières ont-elles usé de leur soft power (emprise)
pour affaiblir les formulations des premiers rapports du GIEC et peser sur le contenu
de la Convention Cadre sur le Climat de 1992 ?
● Quelle a été l’étendue de l’emprise d’Elf et Total sur la recherche française ?
● Quel a été le rôle de Total (avec les autres majors) dans les négociations ayant abouti au marché carbone européen et à une sur-allocation de permis ayant permis de laisser le prix du carbone très bas, et inoffensif pour les industries les plus émettrices ?
● Quelle a été l’influence et le lobbying de Total lors des négociations de la COP15 à
Copenhague ?
● Comment Total a-t-elle contrecarré la démarche d’actionnaires soucieux de l’enjeu
climatique en 2012 et 2020 ?
● Retracer les circulations (revolving doors) entre ingénieurs X-Mines ou autres commis de l’État et dirigeants politiques et les majors pétrolières françaises depuis les années 1970)]