Publié le 9 décembre 2021 à 23h29 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h28
Emmanuel Macron a détaillé, ce jeudi 9 décembre, lors d’une conférence de presse à l’Élysée, ses priorités pour la présidence française au Conseil de l’Union européenne qui démarre le 1er janvier 2022. Il inscrit cette présidence dans un contexte de crises multiples (sanitaire, écologique, migratoire, numérique).
La présidence française de l’UE, une première depuis treize ans
Emmanuel Macron rappelle que la présidence française de l’UE, qui débutera le 1er janvier, est «un moment historique en ce qu’il est rare à lui seul, puisque, dans l’Europe à vingt-sept, la France n’exerce en effet cette présidence qu’une fois tous les treize ans ». Explique que «c’est tout à la fois un rôle qui consiste à pousser évidemment nos priorités, nos ambitions, notre propre agenda, mais également à être les dépositaires d’une forme d’harmonie et donc d’accords européens qui doivent émerger durant ces six mois». Pour le président de la République, « l’unité européenne exige de nous plus d’efficacité, plus d’affirmation, plus d’autonomie, plus d’indépendance».
«Une Europe puissante dans le monde »
« S’il faut résumer en une phrase l’objectif de cette présidence qui s’étendra du 1er janvier au 30 juin, je dirais que nous devons passer d’une Europe de coopération à l’intérieur de nos frontières à une Europe puissante dans le monde, pleinement souveraine, libre de ses choix et maître de son destin», a résumé le président de la République qui dévoile ses propositions pour la présidence française de l’Union européenne. Il rappelle qu’il exposera « l’ensemble de ces priorités devant le Parlement européen le 19 janvier à Strasbourg ».
Une Europe plus souveraine
Parmi les priorités de la présidence française de l’UE, Emmanuel Macron fait savoir qu’il souhaite une « Europe plus souveraine, une Europe capable de maîtriser ses frontières». «Ces dernières semaines nous l’ont encore montré à travers la crise que nous avons vécue à la frontière orientale de l’Europe», insiste-t-il en évoquant la crise à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Il estime que «protéger nos frontières est une condition indispensable à la fois pour assurer la sécurité des Européens, pour relever le défi migratoire et pour éviter les drames que nous avons vécus ».
«Une réforme de l’espace Schengen»
«Pour éviter que le droit d’asile qui a été inventé sur le continent européen et qui est notre honneur ne puisse être dévoyé, nous devons absolument retrouver une Europe qui sache protéger ses frontières», estime Emmanuel Macron. «Nous unifierons sous cette présidence une réforme de l’espace Schengen autour de deux priorités : la mise en place d’un pilotage politique de Schengen et la création d’un mécanisme de soutien d’urgence aux frontières en cas de crise », annonce Emmanuel Macron. « Quand un État membre doit soudainement faire face à une crise qui exige de renforcer le contrôle aux frontières extérieures de notre Union, comme nous l’avons vécu encore une fois récemment, il doit pouvoir compter sur l’appui de Frontex, agence commune dont c’est la vocation, mais également sur le renfort solidaire des États membres en policiers, gendarmes et matériel», estime-t-il.
« Harmoniser nos règles, en particulier en matière d’asile »
Emmanuel Macron souhaite également «faire avancer ce que l’on appelle le “paquet migratoire européen”, c’est-à-dire la meilleure organisation de notre Europe en termes de gestion des migrations ». Le chef de l’État entend «harmoniser nos règles, en particulier en matière d’asile, d’accompagnement des réfugiés ou des migrants qui sont sur notre sol ».
Pour la présidence française de l’UE, qui débute le 1er janvier, Emmanuel Macron prône également des « procédures plus simples, plus harmonisées au niveau européen pour éviter des jeux non coopératifs entre les États membres que depuis plusieurs années».
« Avancer sur notre politique de défense »
Pour aller vers « une Europe plus souveraine», le chef de l’État souhaite « avancer sur notre politique de défense ». « Il nous faut aujourd’hui définir pour nous, Européens, nos intérêts communs et une stratégie partagée dans un monde de menaces et de risques, explique-t-il. Cette présidence sera à cet égard un moment de définition de ce qu’on a appelé la boussole stratégique, c’est-à-dire un livre blanc européen de défense et de sécurité qui présentera l’état des menaces et fixera nos choix collectifs, nos orientations, nos ambitions.» Au fond, ajoute-t-il: «Nous devons définir pour les Européens notre organisation commune sur les nouveaux espaces de conflictualité que sont l’espace maritime, le spatial et le cyber. Le Conseil européen du mois de mars permettra d’acter cette boussole (…) et de préparer ainsi les positions en vue du sommet de l’OTAN, en juin, à Madrid.»
« Un sommet entre l’Union africaine et l’Union européenne »
Le chef de l’État considère que « le troisième axe de cette Europe souveraine, c’est la stabilité et la prospérité de notre voisinage. Il n’y a pas d’Europe souveraine si nous ne décidons pas en tant qu’Européens d’avoir notre propre stratégie, notre propre agenda pour ce qui concerne notre voisinage.» Il estime que « la relation entre l’Afrique et l’Europe sera structurante à tous égards pour la paix autour de la Méditerranée, mais aussi pour la paix et la prospérité de l’Europe.» Il faut donc, poursuit-il: «Bâtir un avenir à la jeunesse africaine, pour réduire les inégalités, lutter contre les trafics qui exploitent la misère et les passeurs qui ont fait de la Méditerranée un cimetière honteux». Annonce à cet égard l’organisation d’un sommet «entre l’Union africaine et l’Union européenne au mois de février, qui se tiendra à Bruxelles et qui réunira les dirigeants des pays et de ces institutions».
« Refonder un New Deal économique et financier avec l’Afrique »
Pour le chef de l’État «Il faut refonder un New Deal économique et financier avec l’Afrique». Précise: «Nous devons aller au bout de cette solidarité à l’égard des Africains qui consiste simplement à regarder les chiffres qui sont donnés par la Banque mondiale et le FMI : entre 2020 et 2025, il y a 300 milliards d’euros de besoin de financement pour les économies africaines, car elles vont subir les conséquences du Covid-19 et ont une véritable explosion démographique à embrasser». Évoque également la question climatique: «Nous devons accompagner dans sa transition énergétique et climatique le continent africain. Nous ne pouvons pas laisser les États africains sans solution. Leurs défis sont encore plus importants que les nôtres.»
La situation dans les Balkans
Le chef de l’État aborde ensuite la situation dans les Balkans. «On ne pourra pas bâtir l’Europe de paix des cinquante prochaines années si nous laissons les Balkans occidentaux dans la situation où ils sont aujourd’hui». Pour le chef de l’État, «cette région est aujourd’hui traversée par de nouvelles tensions. Et donc nous avons une responsabilité toute particulière à l’égard des Balkans occidentaux.» Pour Emmanuel Macron «une politique de réengagement» doit être menée, mais également d’investissements «pour favoriser l’intégration économique de cette région, pour y développer les échanges humains, pour évoquer la question des minorités, et pour lutter aussi contre les interférences, contre les manipulations qui sont le fait de plusieurs puissances régionales qui cherchent, à travers les Balkans, à déstabiliser l’Europe.»
Un sommet européen en mars 2022 autour de la croissance
Après l’immigration, le chef de l’État annonce le deuxième grand axe de cette présidence française de l’Union européenne, qui consistera à «bâtir un nouveau modèle de croissance». «Il nous faut, indique-t-il, définir ensemble ce que sera l’Europe de 2030». La présidence française doit être «l’occasion d’imaginer un nouveau modèle européen qui soit un modèle de production, mais également de solidarité et de régulation.» Emmanuel Macron annonce dans ce cadre «l’organisation en France les 10 et 11 mars d’un sommet exceptionnel des 27 chefs d’État et de gouvernement autour de ce sujet majeur». Il permettra, précise le chef de l’État , «d’en parachever le travail et la cohérence. La construction de filières industrielles fortes et intégrées, l’hydrogène, les batteries, l’espace, les semi-conducteurs, le cloud, la défense, la santé, la culture et les industries culturelles et créatives vont structurer le monde de 2030».
«Des plans d’investissement européens »
Afin de «garantir le positionnement de l’Europe, notre capacité à avoir des champions, à créer le maximum d’emplois sur notre sol, à définir les standards de demain et à avoir donc notre indépendance », le chef de l’État annonce «une série de plans d’investissement européens et d’alliances industrielles nouvelles autour de ces grands objectifs». Un modèle de croissance et d’investissement qui «supposera aussi des règles budgétaires et financières adaptées permettant de donner la priorité aux investissements nécessaires pour accompagner les missions, en particulier climatique et numérique. Nous devrons pour cela commencer à bâtir un cadre budgétaire et financier crédible, simplifié, transparent, capable de contribuer à cette ambition d’une Europe plus forte, plus juste et plus durable».
« Repenser le cadre budgétaire » européen des accords de Maastricht
Le président de la République a rappelé que durant la crise du Covid-19 l’Union européenne a «mis entre parenthèses l’application de nos règles budgétaires communes». Pour lui: «Nous devrons revenir à des règles budgétaires qui seules permettent la convergence entre nos économies, surtout pour celles et ceux qui partagent une monnaie commune». Mais, prévient-il: «Nous ne pouvons pas faire comme si rien ne s’était passé.» Il souhaite durant sa présidence de l’UE « une discussion stratégique qui découle de cela ».
Listant les défis des « transitions climatique, numérique, sanitaire, culturelle, stratégique », le chef de l’État estime que l’Europe « ne réussira pas cette transition si nous en revenons à un cadre budgétaire qui a été créé au début des années 1990», évoquant les accords de Maastricht.
Il faut «lever au maximum de l’argent privé »
En plus de la redéfinition du « cadre budgétaire », le chef de l’État entend « lever au maximum de l’argent privé et orienter ces financements vers nos priorités. Ceci suppose d’aller plus loin dans l’intégration d’un vrai marché européen de capitaux, vers une Europe financière enfin intégrée.»
Autre objectif affiché : « Concilier développement économique et ambitions climatiques » Le chef de l’État se félicite: «En devenant le premier continent du monde à adopter l’objectif de neutralité carbone, nous nous sommes fixés un cadre ambitieux en décembre 2020». Mais pour lui, la présidence française de l’Union européenne « doit faire avancer ces textes avec toujours un objectif : ne pas perdre une minute, car il s’agit d’une urgence absolue» .Avant de préciser que « l’un de nos objectifs sera la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, cette fameuse taxe carbone aux frontières de l’Europe, qui permet justement de conduire cette transition pour l’ensemble de nos industries en préservant notre compétitivité».
« Des exigences environnementales et sociales»
Le chef de l’État souhaite avancer «sur la mise en cohérence de notre politique commerciale et de notre politique climatique et de biodiversité» Ainsi, la présidence française sera «un moment clé pour pousser ce qu’on appelle les clauses miroir et avoir des exigences environnementales et sociales dans nos accords commerciaux.»
Le chef de l’état prend des engagements : «Nous ferons aussi avancer les négociations sur la mise en place d’un instrument européen de lutte contre la déforestation importée, qui visera à interdire l’importation dans l’Union européenne de soja, bœuf, huile de palme, bois, cacao, café, quand ils contribuent à la déforestation.» Considère encore : «Il nous faut resynchroniser notre agenda de lutte contre le dérèglement climatique et notre agenda de préservation de la biodiversité».
« Faire de l’Europe une puissance du numérique »
«Il ne faut pas subir la loi des autres puissances mais définir nous-mêmes les règles pour le monde numérique», avertit Emmanuel Macron, avant de préciser que la présidence française de l’UE se concentrera sur deux textes à ce sujet : «Le premier, c’est l’acte pour le marché numérique, ou DMA, qui vise à éviter que les géants du numérique deviennent des monopoles sans règles». «Le deuxième, poursuit-il, c’est l’acte pour les services numériques, dit DSA, qui établira un régime de responsabilité des grandes plates-formes au titre des produits qu’elles vendent et surtout des contenus qu’elles diffusent». Pour Emmanuel Macron: «C’est une régulation inédite européenne pour lutter contre la haine en ligne, pour définir la responsabilité de ces grandes plateformes quant à leurs contenus.»
L’emploi quatrième pilier de la présidence française
Le chef de l’État annonce que l’emploi sera le quatrième pilier de sa présidence française de l’Union européenne. «Ce qui doit distinguer le modèle de production européen des autres, c’est notre capacité collective à proposer aux travailleurs des emplois de qualité, qualifiés et mieux rémunérés».
Un an après l’accord sur le Brexit, Emmanuel Macron met en garde : « Si notre Europe ne protège pas et ne protège pas mieux les plus faibles, si elle laisse prospérer le dumping social, alors apparaît un marché sans règles où ne se retrouvent plus les classes moyennes et les classes populaires. C’est cette Europe-là qui a nourri le Brexit. Une partie de nos peuples considèrent qu’ils sont les perdants d’un système, ils finissent par le rejeter légitimement.»
« un salaire minimum décent en Europe »
Pour favoriser les emplois « de qualité, qualifiés et mieux rémunérés », le chef de l’Etat préconise la création d’un système beaucoup plus efficace, «allant vers un salaire minimum décent en Europe». « Nous agirons aussi, insiste-t-il, pour l’égalité entre les femmes et les hommes, avec la directive sur la transparence salariale qui vise à mettre fin aux écarts de salaire entre les femmes et les hommes.» Il faut faire en sorte, ajoute-t-il, «que cette présidence soit utile, qu’elle permette à l’Europe de s’affirmer en tant que puissance, de reprendre le contrôle de son destin et d’affirmer la singularité à taille humaine.»
« Faire de cette présidence française un grand moment d’humanisme européen »
Après plus d’une heure de discours sur ses axes pour la présidence française de l’UE, Emmanuel Macron estime qu’au-delà de ces priorités il souhaite «que nous puissions faire de cette présidence française un grand moment d’humanisme européen ». «Nous devons repenser cette vocation humaniste de l’Europe pour être plus efficaces, plus proches de nos concitoyens, estime-t-il. Je crois que c’est essentiel pour qu’elle soit justement plus humaine.» Pour le chef de l’Etat, « il y a des forces politiques qui remettent en cause le socle de valeurs, de droits qui a fait notre Europe. Nous devons aussi réfléchir à de nouveaux outils, pas seulement de sanction, mais également d’encouragement, d’accompagnement ». Sans les mentionner, Emmanuel Macron vise notamment la Hongrie et la Pologne, en conflit avec l’UE ces derniers mois.
« Un grand travail sur l’histoire de l’Europe »
«Nous mènerons ce combat pour la défense de l’Etat de droit », a affirmé le chef de l’Etat avant de préciser par quels moyens il entend mener cette lutte : « En visant à étendre la liste des infractions européennes aux crimes et discours de haine, en nous dotant d’une stratégie de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, en dotant l’Union d’une législation sur la lutte contre les violences faites aux femmes. »
«Nous voulons, insiste-t-il, un grand travail sur l’histoire de l’Europe. Un grand travail qui doit se faire dans un cadre historiographique indépendant. Nous vivons un moment politique en Europe où le révisionnisme s’installe dans plusieurs pays, où le révisionnisme historique est utilisé par des puissances qui veulent remettre en cause nos valeurs, notre histoire.»
« Quand on considère que l’Europe est un acquis, on ne se bat plus pour elle »
En conclusion, Emmanuel Macron revient sur l’unité de l’Union européenne, cinq ans après le vote sur le Brexit. «Quand on considère que l’Europe est un acquis, on ne se bat plus pour elle», assène-t-il avant d’ajouter : «Quand on oublie que l’Europe est ce qui nous a fait, ce qui nous forge, qui nous lie, on finit par penser qu’on pourrait la désagréger sans conséquences. Ce combat est aussi existentiel que celui pour la souveraineté et pour le modèle de croissance que j’évoquais.»
Macron pour un « service civique européen »
Le chef de l’Etat s’est exprimé, jeudi, en faveur d’un « service civique européen ». Celui qui promettait dans son programme électoral, en 2017, la création d’un « service national universel » propose de réfléchir à un équivalent européen qui concernerait les moins de 25 ans pour une durée de six mois.
Patricia MAILLÉ-CAIRE
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Un logo et une pièce
Le secrétaire d’État aux affaires européennes, Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, a dévoilé l’emblème de la présidence française de l’Union européenne. Chaque pays à la tête de la présidence du Conseil de l’UE choisit un logo avant sa gouvernance. Actuellement, la Slovénie a choisi un logo accompagné du slogan «Ensemble, Résiliente, Europe». Clément Beaune enchaîne ensuite avec la présentation d’une nouvelle pièce de deux euros qui a été frappée à Pessac (Gironde). Elle sera en circulation dès le 1er janvier 2022. Elle a été créée par Joaquim Giménez, le graveur général de la Monnaie de Paris. )]