Publié le 9 janvier 2014 à 20h02 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h12
Il est de bon ton, lorsque l’on évoque les « négociations » israélo-palestiniennes, de manifester son pessimisme, au minimum son scepticisme, tant il est vrai que les arguments qui vont dans ce sens ne manquent pas. Les obstacles à la réussite des négociations sont trop nombreux, la volonté des responsables fait défaut, les opinions respectives sont persuadées que l’autre partie ne veut pas la paix. On fait valoir que le maximum qu’une partie est prête à céder est nettement inférieur au minimum que l’autre partie est prête à accepter.
La colonisation a pris, ces dernières années une telle ampleur que la solution d’un État palestinien en Cisjordanie contigüe et viable paraît illusoire. P. Boniface, directeur de l’IRIS, lors de son intervention au Forum des Collectivités locales européennes pour la Palestine à Dunkerque le 29 novembre dernier, en a donné une parfaite illustration. Son propos, pourtant argumenté, était d’autant plus pessimiste qu’il ne proposait aucune solution. En conclusion, il apparait que la solution de deux États pour deux peuples, s’éloigne. Cette solution est considérée, certes comme souhaitable, mais hélas impossible à mettre concrètement en œuvre. Pourtant, la majorité des experts se retrouvent lorsqu’il s’agit de définir ce que pourraient être les termes d’un accord : frontières de 67 comme base de négociation, Jérusalem, capitale de deux États, retour mutuellement agréé d’un nombre limité de réfugiés palestiniens en Israël, mesures à prendre, considérées par Israël, comme indispensables à sa sécurité. De plus, les Israéliens insistent sur la reconnaissance par les Palestiniens qu’Israël est un État juif(1). Ce qui manque c’est la volonté de faire les compromis nécessaires, et ainsi de se satisfaire d’une situation de statu quo.
Pourtant, nous pensons, sans pour autant céder à la tentation de prendre ses propres désirs pour des réalités, et à contre-courant, que des éléments existent qui peuvent redonner espoir et rejeter ainsi le théorème de « l’impossibilité ».
D’une part, l’attitude des pays tiers susceptibles d’avoir une influence sur le cours de la négociation, a changé, dans le sens d’une volonté plus affirmée de peser positivement sur le déroulement des négociations qui semblent, pour ce que l’on en sait, patiner. D’autre part, certaines décisions récentes impliquant les Israéliens et les Palestiniens, portant sur des domaines de second ordre par rapport aux enjeux fondamentaux du conflit, traduisent une volonté de normaliser les relations. Ces décisions concernent essentiellement les relations économiques.
1. Implication des pays tiers.
En premier, il convient de citer le rôle fondamental des américains et en particulier du Secrétaire d’État Kerry. Les initiatives prises par l’Union européenne, et en particulier par la France, ces dernières semaines vont dans le même sens. D’autres pays importants se manifestent de plus en plus explicitement. C’est le cas de la Chine et de la Russie, dont les visites récentes des diplomates manifestent l’intérêt porté à la région.
Les États-Unis. Il est de plus en plus question d’une implication plus marquée des américains, qui se traduirait, dans les prochaines semaines, par une proposition d’accord-cadre aux deux parties. Cet accord aborderait les questions fondamentales : la sécurité, les frontières, Jérusalem, les réfugiés, l’eau. Par ailleurs, un plan de développement économique, faisant du secteur privé le moteur de la croissance, sorte de « Plan Marshall », proposé par Kerry, devrait permettre à l’économie palestinienne, s’il est mis en œuvre, de sortir le pays de l’ornière de la pauvreté et du chômage.
L’Union européenne a évolué ces derniers mois dans le sens d’une plus grande implication. Les Européens ne veulent plus jouer le rôle de « payer, not player ». Leur implication est plus politique que ce fut le cas dans le passé récent. Leur attitude consiste à souffler le chaud et le froid, et les signes qu’ils envoient s’adressent aussi bien aux Israéliens qu’aux Palestiniens.
Le froid.
Concernant les Israéliens, l’UE a publié en juin dernier, une directive obligatoire en direction des 28 membres, interdisant tout financement, coopération, attribution de bourses, de fonds pour la recherche, à toute personne résidente d’une colonie en Cisjordanie et Jérusalem-Est. Le règlement implique que tout accord signé entre un pays de l’UE et Israël devra inclure une clause selon laquelle les implantations israéliennes ne font pas partie de l’État d’Israël et donc ne peuvent prétendre à participer aux accords. Les Israéliens ont été secoués par cette directive. Un fonctionnaire israélien a parlé de « tremblement de terre », car si cette directive a une signification pratique, elle a surtout une dimension politique dans la mesure où si les Israéliens souhaitent signer un accord avec l’UE ou l’un de ses membres, ils devront reconnaître explicitement que les implantations ne font pas parti d’Israël. Cette directive a fortement perturbé les négociations scientifiques portant sur l’admission d’Israël au programme scientifique européen Horizon 2020.
Une autre décision de l’UE, prise le 17 décembre embarrasse à nouveau les Israéliens. L’UE avertit Israël que toute annonce de leur part portant sur la construction de nouveaux logements en Cisjordanie, qu’ils pourraient faire à l’occasion de la libération de prisonniers palestiniens, qui doit intervenir le 29 décembre, ne restera pas sans conséquence. Dans l’hypothèse d’une telle annonce, Israël sera considéré par l’UE comme responsable de l’échec des négociations en cours entre Israéliens et Palestiniens. Cet avertissement constitue un signe supplémentaire de la condamnation par les Européens de la poursuite de la colonisation israélienne en Cisjordanie.
Concernant les Palestiniens, un rapport récent de la Cour des Comptes européennes, daté du 22 octobre dernier et récemment publié, met à jour un scandale financier qui implique l’Autorité palestinienne depuis 1994. Le rapport révèle que des sommes importantes supposées financer les traitements des fonctionnaires palestiniens ont été abusivement allouées à des « fonctionnaires », qui en fait n’avaient pas de fonction. Ce qui dénote à tout le moins les carences de l’administration européenne. De 1994 à 2006 plus de 2.7 milliards d’euros ont été affectés à la couverture des dépenses budgétaires de l’Autorité palestinienne. De 2007 à 2012, l’aide budgétaire s’est élevé à 2.9 milliards d’euros (Programme TIM – Temporary International Assistance – puis, PEGASE -). Pegase a comme objectif général d’aider l’Autorité palestinienne à fonctionner jusqu’à ce qu’une solution politique de deux États, soit enfin trouvée. Il vise à financer les traitements et les pensions des fonctionnaires palestiniens, ainsi que les services publics à la population. Les traitements et pensions représentent 72.5% du fonds total. De 2008 à 2012 le nombre de fonctionnaires financés par ce programme (actifs ou retraités) est passé de 75 502 à 84 320, ce qui représente la moitié de l’ensemble des fonctionnaires estimé à 170 000. A noter qu’un effort, relativement modeste, a été entrepris pour réduire le nombre de fonctionnaires. Le rapport d’audit indique qu’à Gaza un nombre considérable de fonctionnaires continuent à percevoir leur traitement alors qu’ils ne travaillent pas, du fait de la situation politique. Sur 10 bénéficiaires interrogés, trois ont déclaré ne pas travailler, et un fonctionnaire ne s’est pas présenté. Le rapport recommande, en conséquence, de « revoir tout le système » de stopper le paiement des fonctionnaires qui ne travaillent pas, et de lier le financement des fonctionnaires au progrès des réformes de l’Autorité palestinienne. Par ailleurs, l’UE serait prête à suspendre l’aide qu’elle accorde aux Palestiniens en l’absence de progrès substantiels de la négociation. Ceci aura un impact négatif aussi bien pour les Palestiniens que pour les Israéliens, obligés, dans cette hypothèse, en tant que puissance occupante, de pourvoir la population palestinienne des services publics.
Le chaud
Début décembre 2013, l’Union européenne s’est déclarée prête, lors d’une réunion du Comité politique et de sécurité, à offrir un programme d’assistance sans précédent aux Israéliens et aux Palestiniens dans l’hypothèse où ceux-ci parviennent à conclure un accord. Elle promet en outre de renforcer les relations qu’elle entretient avec ces deux pays qui se verraient offrir la possibilité d’obtenir le statut de « Partenaire Spécial Privilégié ».
Le programme d’assistance concernerait les éléments incitatifs suivants :
-Augmentation des possibilités d’accès aux marchés européens
-Accroissement des relations culturelles et scientifiques
-Facilitation du commerce et des investissements
-Promotion des relations entre entreprises
-Approfondissement du dialogue politique
-Renforcement de la coopération en matière de sécurité
La mise en œuvre d’un tel programme ne manquerait pas de sortir Israël du risque actuel non négligeable d’isolement diplomatique, de renforcer la coopération face à la menace toujours potentielle de l’Iran, ainsi que face au terrorisme international. Cette proposition généreuse insiste sur le fait qu’il “est de l’intérêt fondamental de l’Union européenne de voir se terminer le conflit israélo-palestinien.“
Par ailleurs, la France, par la voix de son président a annoncé, lors de sa visite récente à Ramallah, la tenue d’une Conférence économique des pays donateurs à la Palestine, Paris II. Elle devrait se tenir au printemps prochain et ferait suite à celle qui s’est tenue en décembre 2007 à Paris, organisée par l’ambassadeur français, Pierre Duquesne, qui avait réuni plus de 80 délégations.
2. Les décisions récentes.
En premier, il convient de citer l’accord conclu entre Israël, la Jordanie et la Palestine, visant à construire ensemble un canal entre la Mer Rouge et la Mer Morte. Ce canal, dont l’étude de faisabilité avait été confiée à la Banque mondiale, permettrait d’alimenter la Mer Morte, dont le niveau diminue de plus de un mètre par an et, grâce à l’énergie créée, de construire une unité de dessalement de l’eau de mer. Cette initiative constituera à l’avenir un élément permettant de réduire le stress hydrique de la région.
En second, rappelons l’accord historique qui vient d’être signé mi-novembre 2013 entre les responsables des patronats israélien et palestinien. Cet accord prévoit l’ouverture d’un Centre d’arbitrage (JAC – Jerusalem Arbitration Centre) qui sera amené à régler les litiges commerciaux entre israéliens et palestiniens, et ainsi à réduire l’incertitude dans les affaires. Pour H. McGraw, Président de la Chambre de Commerce international, « cet accord renforcera la coopération économique, ouvrira de nouvelles opportunités entre Israéliens et les Palestiniens, attirera des investissements étrangers, et sera source de croissance pour la région ». Cet accord constitue la première mesure prise depuis les accords d’Oslo de 1993. Ce Centre sera reconnu par les autorités judiciaires des deux pays. Pour Oren Shachor, Président de la Chambre de commerce israélienne, « il n’y a pas d’autre institution comparable dans le monde. Au moment où il n’y a pas de dialogue entre les sociétés civiles, nous (israéliens et palestiniens) avons décidé de mettre de côté nos différends politiques au service de la résolution des litiges entre nos entreprises« . Pour Samir Huleilah, Vice-Président de la Chambre de Commerce palestinienne, « le mécanisme d’arbitrage permettra le développement de relations commerciales équitables entre la Palestine et Israël. »
Nous situant sur un autre plan, il nous semble important de prendre en considération les relations politiques propres à Israël et à la Palestine. L’évolution du rapport de forces entre les partis constitue, et plus encore dans un avenir proche, une des clés de la réussite des négociations. Là encore apparaissent des signes encourageants. Du côté israélien, Netanyahu vient de remporter une victoire contre les faucons de son propre parti, le Likoud. Ceux-ci avaient déposé une série d’amendements aux statuts du parti visant à torpiller à l’avance les négociations en cours. Tous ces amendements ont été repoussés. Un des amendements visait à exclure du parti tous ceux qui remettraient en cause la résolution prise par le parti en 2002. Cette résolution, votée afin de mettre en minorité Ariel Sharon, affirmait l’opposition du parti à la constitution d’un État palestinien. L’ironie est qu’à l’époque, c’est Netanyahu lui-même qui avait mené la bataille en faveur de cette résolution. Aujourd’hui, c’est lui qui a mis en échec le rappel de cette résolution. A l’époque Ariel Sharon n’avait pas hésité, ayant été mis en minorité dans son propre parti, de le quitter et de fonder un nouveau parti, Kadima. Cette décision lui a permis de mettre en œuvre le plan de désengagement de Gaza. On peut se demander, après le rejet des amendements déposés par la droite du Likoud, si Netanyahu, à l’instar de Ariel Sharon, ira jusqu’à créer une scission dans le Likoud, et constituer une nouvelle majorité plus favorable à la poursuite des négociations avec les Palestiniens. Par ailleurs, des tensions apparaissent entre deux des partis qui forment l’actuelle coalition, le parti de Yaïr Lapid et celui de Naftali Bennet. Pour Tsipi Livni, ministre de la justice et chargée de mener les négociations avec les Palestiniens, cette coalition est contre nature et ne devrait pas tarder à éclater (3). Dans cette hypothèse une nouvelle coalition pourrait voir le jour qui associerait le Parti travailliste favorable à un accord de paix avec les Palestiniens.
Du côté palestinien, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a désapprouvé le leader du Hamas, Meshal, qui, à l’occasion du 25e anniversaire du mouvement islamique refuse de reconnaître Israël dont il souhaite la destruction. Par ailleurs, dans une volonté de marquer leur hypothétique réconciliation, les deux partis se sont mis d’accord pour organiser un défilé du Hamas à Naplouse. L’hypothèse n’est pas à exclure, malgré la série d’échecs enregistrés ces dernières années. Si elle a lieu, cela augmentera le pouvoir de négociation de M. Abbas, qui serait plus à même d’accepter un compromis.
Sans faire preuve de naïveté et d’une volonté d’être résolument optimiste, il nous semble que nous pourrions être agréablement surpris à l’issue des négociations. Le pire n’est pas toujours certain.
*Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.
(1) A cet égard on peut imaginer que les Palestiniens reconnaissent Israël comme État juif par une lettre adressée par eux aux américains. Autre solution proposée par deux experts palestiniens, Samir Huleileh et Samih El-Abed, ont proposé que les Palestiniens reconnaissent Israël comme État juif et que, dans le même mouvement les Israéliens reconnaissent la responsabilité morale du sort des réfugiés. Des solutions existent.
(2) L’accord devait être signé avant le 1er décembre (application du Programme Horizon 2020 au 1 janvier 2014). Il a finalement été signé après d’intenses négociations entre T. Livni et C. Ashton. Les Israéliens se sont conformés aux clauses de la directive, tout en ajoutant une clause restrictive.
(3) Livni (17 décembre 2013) » this coalition is unnatural. It was born out of a pact between brothers despite the fact the public did not want a coalition locked in with a double veto – one on peace in the form of settlement construction of far out outposts, and the other pertaining to same-sex bills like those Hatnua is promoting. » Pour elle, » the majority of Israelis want a Jewish, Zionist, democratic and liberal coalition that will put an end to the conflict with the Palestinians, and protects Jerusalem and Israel’s international standing. I’m happy things are turning around, but it was obvious that this would happen. »