Publié le 7 mars 2022 à 7h30 - Dernière mise à jour le 9 décembre 2022 à 14h12
Pour Bernard Valero, qui fut consul général à Barcelone, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Skopje, ambassadeur de France en Belgique, directeur général de l’Avitem (Agence des villes et territoires durables méditerranéens) et porte-parole du Quai d’Orsay, la Méditerranée n’échappera pas à l’onde de choc tous azimuts provoquée par la dramatique décision du Président Poutine d’envahir l’Ukraine, tant les implications de cette catastrophique initiative s’avèrent d’ores et déjà lourdes de conséquences pour l’espace méditerranéen proche du champ de bataille.
Alors que depuis des années déjà le maître du Kremlin avait repris à son compte le vieux rêve de l’empire des tsars d’accéder aux mers chaudes, Moscou n’a eu de cesse depuis le début du siècle de renforcer sa présence dans l’espace méditerranéen, une zone particulièrement sensible de contact avec l’Otan. Tandis que la présence navale russe poursuivait lentement mais sûrement son déploiement sur la Méditerranée, le conflit syrien est venu offrir à Moscou la possibilité de renforcer ses points d’appui établis sur les côtes syriennes.
1) D’abord sur l’ancienne base navale de Tartous, désormais agrandie et modernisée pour y accueillir des unités de gros tonnage, ensuite sur la base aérienne de Hmeimim à Lattaquié, renforcée quelques semaines avant l’invasion de l’Ukraine, curieux calendrier, par le stationnement de bombardiers à long rayon d’action et par des chasseurs équipés de missiles hypersoniques. Pour couronner le tout, on se souviendra que quelques jours à peine avant que l’armée russe ne fonde sur l’Ukraine, le ministre russe de la Défense effectuait une visite à Damas où Bachar al-Assad l’avait chaleureusement accueilli.
Dans l’environnement géopolitique extrêmement sensible et fragile de la Méditerranée orientale, la Russie est déterminée à en faire l’une des inconnues de sa redoutable équation ukrainienne. Cela ne rassurera personne.
2) A la charnière de la Mer Noire et de la Méditerranée, la Turquie voit d’un mauvais œil s’ouvrir un temps et se développer une zone de tous les dangers sur son seuil septentrional.
Cette préoccupation d’Ankara s’est manifestée par les prises de position répétées du Président Erdogan contre l’invasion russe de l’Ukraine, avant que la Turquie ne décide, le 28 février, d’interdire le passage de tout navire de guerre par le détroits du Bosphore et des Dardanelles comme la convention de Montreux de 1926 lui en donne le droit.
Membre de l’Otan, bien que parfois en délicatesse avec l’Alliance, acheteur d’équipements militaires russes, fournisseur d’efficaces drones à l’Ukraine, la Turquie n’est pas dans une situation confortable et veille soigneusement à ne pas être éclaboussée par le conflit qui vient d’éclater à ses portes.
3) Sur les rives adriatiques des Balkans, la crise ukrainienne pourrait donner des idées à certains de s’inspirer et d’emboîter le pas du nationalisme revanchard et agressif de Vladimir Poutine.
Les affinités et les relations étroites que la Russie nourrit avec la Serbie pourrait en effet favoriser l’ouverture de nouveaux foyers de tensions dans les Balkans, cette fois-ci non pas au voisinage de l’UE comme c’est le cas de l’Ukraine, mais bien à l’intérieur de l’un des centres de la géographie européenne :
-Risque de sécession de la Republika Srpska de la Fédération de Bosnie Herzégovine.
-Risque de remise en cause de l’intégrité territoriale du vulnérable Kosovo depuis l’enclave serbe de Mitrovica au nord du Kosovo limitrophe de la Serbie.
4) A trois exceptions notables près, tous les pays méditerranéens ont voté, le 2 mars en faveur de la résolution, historique par l’ampleur du vote, de l’Assemblée générale des Nations unies, exigeant de la Russie qu’elle «cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine».
-En votant contre cette résolution, la Syrie confirme sa présence dans le sinistre club formé par la Russie, la Corée du Nord, l’Érythrée et la Biélorussie.
-L’ Algérie a choisi de s’abstenir, ses relations économiques et militaires avec la Russie ayant sans doute peser dans ce choix.
-Pour sa part, le Maroc a préféré ne pas participer au vote, une posture qui a suscité de l’étonnement que les explications laborieuses de la diplomatie chérifienne n’ont pas contribué à complètement dissiper.
En votant massivement en faveur de cette résolution, les pays méditerranéens ont marqué leur solidarité avec l’Ukraine, condamné l’agression russe, et manifesté de manière presque unanime leur rejet de l’invasion d’un État membre de la Communauté internationale et de la violation du droit international.
Alors qu’ils sortaient à peine de la crise sanitaire mondial du Covid 19 et qu’ils s’employaient à se mobiliser sur la relance, les pays méditerranéens se retrouvent brutalement frappés par les conséquences économiques du conflit en Ukraine. L’énergie (pétrole et gaz) et les céréales (blé et maïs) n’ont en effet pas tardé à être les premières victimes collatérales du conflit en Ukraine.
C’est la question du blé qui est cruciale aujourd’hui pour nombre de pays méditerranéens parmi lesquels les pays du Maghreb, l’Égypte, le Liban où, là encore, la Syrie, tous grands consommateurs, sont très dépendants de leurs importations en provenance de la Russie, désormais sous sanctions, et de l’Ukraine envahie. La conjugaison de sérieuses difficultés d’approvisionnement et la flambée des cours pourrait très vite conduire à des situations de pénurie, économiquement, socialement et politiquement difficilement soutenables dans un certain nombre de pays.
Pour sa part, en faisant bondir la facture énergétique, la hausse des cours du pétrole et du gaz, si elle avantage quelques pays méditerranéens producteurs, ne manquera pas de plomber durablement toute perspective de reprise économique pour le plus grand nombre d’entre eux.
Proches de la zone du conflit et voisinage sud de l’UE, les riverains de la Méditerranée ont de nombreuses raisons de redouter les conséquences de la folle entreprise dans laquelle s’est lancé Vladimir Poutine. Celle-ci accroît les incertitudes d’une région du monde qui n’avait pas besoin de cela.
Plus que jamais, en ces temps de grands troubles, les Méditerranéens doivent travailler a leur résilience commune, avec une double exigence de mobilisation collective et solidaire.