Publié le 21 mars 2022 à 8h30 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 18h38
La première édition du Forum Europe Afrique, événement international organisé par la métropole Aix-Marseille-Provence, la Tribune Events et La Tribune Afrique, labellisée dans le cadre de la Présidence Française du Conseil de l’Union Européenne, vient de se tenir à Marseille.
Dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union Européenne, la France veut faire du «renforcement du partenariat euro-africain» une de ses priorités du premier semestre 2022. En sa qualité de plus grand partenaire commercial de l’Afrique, ces liens doivent être renforcés pour créer de la valeur ajoutée et de l’emploi. Dans le prolongement du Sommet Union européenne-Union africaine des 17 et 18 février à Bruxelles, le forum Europe Afrique vient de se tenir à Marseille au Palais du Pharo. Cette manifestation a notamment permis à des voix africaines de faire entendre avec forces ce dont elles ne veulent plus et ce dont elles veulent et à certaines voix européennes de montrer qu’elles aussi savaient s’inscrire dans un nouveau rapport, dans des échanges gagnant-gagnant.
«L’avenir de notre pays, de ce territoire passe par un avenir commun avec l’Afrique»
Pour Franck Riester, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères: «L’avenir de notre pays, de ce territoire passe par un avenir commun avec l’Afrique» Rappelle qu’il s’agit là de l’une des priorités d’Emmanuel Macron dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. «Les villes, les métropoles, sont les premiers espaces de nos démocraties raison pour laquelle elles sont si violemment attaquées en Ukraine», souligne Franck Riester qui ajoute: «Et les communes sont en première ligne au Sahel face aux groupes armés islamistes». Des villes qui sont aussi en première ligne «sur les questions de l’eau, de l’assainissement, des transports publics…». Il note encore que «40% de la population africaine vit en ville, ils seront 60% dans 20 ans et, en 2100 les trois villes plus peuplées au monde seront africaines».
Pour répondre à ces profondes évolutions, explique-t-il: : «Il faut une transition écologique forte, la construction massives d’infrastructures et la réalisation de villes pourvoyeuses d’emplois. L’avenir des relations entre l’Afrique et l’Europe se joue dans les villes des 2 continents. La France est engagée avec les métropoles pour les soutenir dans leur développement et la transition écologique pour des villes durables et inclusives». Martine Vassal, présidente de la métropole Aix-Marseille-Provence et du département des Bouches-du-Rhône met en avant «la nécessité de tisser des liens entre nos peuples, nos continents, de développer des partenariats pour une paix durable», considérant: «L’Afrique est un des moteurs d’une future croissance» puis d’insister sur les atouts de la métropole Aix-Marseille-Provence «par son positionnement géostratégique, son histoire, sa population sans oublier les 5 000 talents africains sont dans nos universités mais aussi dans nos pépinières». Pour elle: «Notre positionnement, nos liens, notre écosystème dynamique nous permettent, en toute légitimité, de nous affirmer comme une référence, comme une plateforme incontournable entre l’Europe et l’Afrique». Martine Vassal insistera d’autre part: «Les femmes africaines sont celles qui entreprennent le plus dans le monde. Il y a un vrai enjeu de l’entrepreneuriat féminin de chaque côté de la Méditerranée pour la promotion de l’égalité femmes/hommes mais aussi pour le développement économique et l’innovation».
«L’Afrique a un énorme potentiel»
La première table ronde évoque un new deal économique et financier avec l’Afrique. Pour Carlos Lopes, économiste et professeur à l’université du Cap et ancien Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies: «L’Afrique a un énorme potentiel et attire l’intérêt de nombreux pays: Chine, États-Unis, Russie… tous sensibles à ses richesses tant en ressources qu’en population». Et de noter que côté Europe, les promesses tout autant que les plans ont été nombreux mais bien peu suivis. Pour lui il importe maintenant d’investir massivement en Afrique «avec de vrais opportunités pour les pays européens».
«Parlez de new deal en 2022 c’est problématique»
Aminata Touré, ancienne Premier ministre de la République du Sénégal et ex Ministre de la Justice de la République du Sénégal lance: «Parlez de new deal en 2022 c’est problématique alors que la relation entre l’Europe et l’Afrique date de plusieurs siècles sachant que la rencontre n’a pas toujours été des plus joyeuses. Il y a un devoir de mémoire qui s’impose». Elle s’étonne: «Il faut changer l’état d’esprit des élites. Quand j’entends certains dire que l’Afrique n’est pas entrée dans l’Histoire ils oublient juste que Lucy est africaine… ».
«Qu’est-ce que l’on gagne dans une relation avec l’Europe»
Aminata Touré interroge: «Qu’est-ce que l’on gagne dans une relation avec l’Europe qui n’a pas aidé, pas favorisé l’émancipation des femmes, l’emploi des jeunes? ». Elle apporte quelques réponses: «L’Afrique a besoin d’énormes financements», avance-t-elle, «ainsi que de business, d’emplois, d’usines, de transformation des richesses du sous-sol africain». Elle juge: «On aurait dû commencer il y a longtemps». Face aux européens qui s’inquiètent de la concurrence d’autres pays en Afrique elle se félicite: «Le monopole n’est jamais bon mais l’Afrique est à 14 km d’ici, l’Europe reste un partenaire privilégié.» Mais attention, prévient-elle, les jeunes, les nouvelles élites se demandent si cela vaut encore la peine». Elle invite ensuite l’Europe à s’engager dans la lutte contre le racisme. Et elle en vient à l’Ukraine: «Un drame, mais il a fallu s’insurger pour que les étudiants africains puissent sortir d’Ukraine. Ce type de comportement ne va pas favoriser une amélioration des relations». Elle plaide également en faveur du développement intra-africain: «Nous serons les acteurs de notre propre développement» et après à l’Europe de voir ce qu’elle entend faire.
«L’Europe ne comprend pas l’Afrique»
Pour Kouaho Vincent N’Cho, vice-Gouverneur d’Abidjan, effectivement: «L’Europe ne comprend pas l’Afrique et elle doit sortir des clichés qu’elle s’est fabriqués». Serge Ekue, président de la Banque Ouest Africaine de Développement évoque des enjeux abordés avec l’Europe, notamment: «Le défi du développement pour un continent sous-capitalisé, nécessitant des financements longs pour permettre la réalisation d’infrastructures durables sans oublier la lutte contre le terrorisme et le défi sanitaire.»
«Ce qui va changer le dialogue entre l’Afrique et l’Europe, ce sont les innovations africaines»
Jean Van Wetter, directeur général d’Enabel Environnement souscrit pleinement aux propos de la Premier ministre Aminata Touré. Il signale: «Je pense que ce qui va changer le dialogue entre l’Afrique et l’Europe, ce sont les innovations africaines qui vont arriver du fait du contexte challenging (population jeune, démographie croissante…)». Pour lui: «Nous sommes sortis d’une logique d’aide au développement pour entrer dans celle des défis communs». Il ajoute que l’Europe a à apprendre de l’Afrique: «J’ai vécu six ans en Tanzanie quand je suis rentré à Bruxelles j’ai été surpris du retard que nous avions dans certains domaines».
Pour Étienne Giros, président Délégué du CIAN (Conseil français des Investisseurs en Afrique) nul besoin de révolution dans les pratiques: «Les opérateurs qui sont en Afrique l’ont déjà faite». Selon lui, il importe maintenant qu’en Afrique le climat des affaires soit amélioré, «que des mécanismes nouveaux se mettent en place basés sur le partenariat public-privé et que la taille des marché augmente. Il faut des zones de libre échange…».
«Je comprends la compassion à géométrie variable de la population»
Et comment ne pas entendre Amina Zakhnouf, connue depuis son intervention lors du Sommet Afrique-France de Montpellier, membre de «Je m’engage pour l’Afrique», association qui a pour objet de participer à la construction d’un dialogue entre l’Europe et le continent africain. Elle assure: «Bien sûr que j’ai de la compassion pour le peuple ukrainien mais l’empathie à laquelle on assiste en Europe à l’égard des réfugiés ukrainiens rappelle des souvenirs douloureux. Attention, je comprends la compassion à géométrie variable de la population qui se projette plus sur le drame ukrainien mais je blâme les pouvoirs publics. Il était possible d’agir autrement en 2015 avec les migrants venus de la rive Sud et, surtout, il ne faut pas qu’ils refassent de même». Elle en vient à son association: «Il s’agit de faire entendre la voix de la jeunesse qui est aussi crédible qu’une autre voix et j’ai envie d’entendre parler d’une Afrique excellente qui donne les moyens à sa jeunesse de traduire toutes ses potentialités.»
100 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité
La deuxième table aborde l’urgence climatique et le rôle des villes et métropoles européennes et africaines pour y faire face. Il est précisé immédiatement pour situer les enjeux que, pendant qu’en Europe on se demande comment rationaliser l’usage de l’électricité en Afrique 100 millions de personnes n’y ont pas accès.
Roger Ndine Mbassa, maire de Douala (Cameroun), dirigeant de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) insiste sur l’importance du rôle que les villes peuvent jouer pour développer un partenariat gagnant-gagnant, sur l’intérêt qu’il y a à favoriser le développement de villes «avec une résilience très forte, notamment au réchauffement climatique».
«Les villes sont les premières touchées par le changement climatique»
Patrick Dupoux, directeur Afrique du Boston Consulting Group confirme que les villes «sont les premières touchées par le changement climatique». Il alerte sur la gravité de la situation et s’inquiète de voir le financement de l’adaptation des villes passer au second plan.
Pour Jean-Luc Moudenc, président de Toulouse Métropole, territoire qui s’est doté d’une stratégie de développement durable: «Nous avons beaucoup à apprendre à dialoguer avec les Africains». Puis, il explique ce qui se met en œuvre dans sa métropole: «Nous sommes confrontés à des problèmes de réchauffement climatique et de pollution. Nous devons donc agir sur plusieurs niveaux: il y a la question des déplacements, trop se font en voiture individuelle. Nous devons permettre à nos concitoyens de se déplacer autrement. Nous allons ainsi déjà inaugurer dans 9 mois une troisième ligne de métro qui permettrait d’enlever 90 000 voitures/jour de nos routes. Nous allons également inaugurer un téléphérique urbain, le plus important de France et nous travaillons au développement de notre réseau de piste cyclable». Deuxième dossier, le logement, 3 500 par an bénéficiaient d’une rénovation thermique, «nous allons doublé ce nombre et l’ensemble du logement social sera réhabilité d’ici 2030».
Il sera aussi question des champions Europe-Afrique lors de ce forum. Parmi eux, Mossadeck Bally, président-directeur général de Azalaï Hotels, qui après des études en France part aux États-Unis pour finalement rentrer en Afrique pour «produire en Afrique, pour l’Afrique, avec des Africains». Il lance son groupe hôtelier, aujourd’hui le premier d’Afrique, en rachetant en 1992 le Grand Hôtel de Bamako (Mali). Il explique: «lorsque je travaillais dans l’affaire familiale de négoce de denrées alimentaires je ne me sentais pas utile. Là oui. Il faut bien comprendre que si des jeunes tentent l’aventure européenne ce n’est pas par plaisir mais parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi. Raison pour laquelle je lance un appel aux investisseurs pour industrialiser le continent africain. Ce continent ne peut plus être seulement un exportateur de matières premières. Pour notre part nous représentons aujourd’hui 4 000 emplois directs ou indirects et nous poursuivons notre développement». Et d’insister: «Bien sûr que l’action militaire est nécessaire face au terrorisme mais ce qu’il faut vraiment c’est industrialiser l’Afrique, c’est donner de l’emploi à sa population».
Selena Souah, présidente de Revolution’Air décide, après des études en France, d’investir au Rwanda où elle crée sa société: «Nous proposons une accessibilité à un internet de qualité à un tarif compétitif. J’ai obtenu une licence pour 15 ans dans les télécoms. Quel pays aurait fait cela pour une jeune femme de 29 ans?».
Jérôme Fabre, président Exécutif du groupe Compagnie Fruitière, revient sur l’importance, dans son domaine, de l’accord de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et les pays de l’Afrique de l’Ouest. Il poursuit: «Au delà d’un partenariat gagnant-gagnant avec l’Afrique nous devons avoir un partenariat privilégié. Il faut ouvrir plus largement nos frontières aux produits africains. La relation équitable c’est la base mais il faut aller plus loin. Il faut entre autres découvrir la culture africaine et trouver des partenaires africains». Karim Bernoussi, président-Directeur général d’Intelcia considère: «L’avenir de l’Afrique ne réside pas dans ses sols mais dans sa jeunesse, sans elle l’Afrique ne s’en sortira pas. Nous devons la former et l’orienter vers les métiers de l’avenir». Un propos partagé par Mossadeck Bally qui signale avoir créé deux écoles de formation aux métiers de l’hôtellerie en Afrique: «Des femmes de chambre sont de cette manière devenues directrices». Puis de plaider de nouveau «pour que des PME françaises viennent investir en Afrique».
Patrice Bergamini, vice-président Affaires publiques et contrats gouvernementaux de CMA-CGM est dans un groupe qui est tout sauf une PME estime: «L’Afrique est un continent essentiel pour nous et d’autres acteurs stratégiques font la même analyse. D’ailleurs, en 20 ans la Chine en Afrique c’est 20 ports». Il précise que le groupe s’est engagé l’an dernier au Nigeria, en Égypte et au Cameroun tout en poursuivant son action en faveur d’un transport décarboné. Il conclut en mettant en exergue l’importance de l’éducation: «Nous allons dans ce cadre livré 3,5 millions de manuels scolaires au Tchad». Et de lancer:« On fait le pari du continent africain, il est essentiel».
Jean-Luc Chauvin, le président de la CCI Aix-Marseille-Provence ne dira pas le contraire: «Marseille a de nombreux liens avec l’Afrique de par sa position, son histoire, ses populations. Nous ne sommes séparés que par un petit lac qui s’appelle la Méditerranée». Et de dire à quel point il partage le constat: «L’Afrique n’a pas besoin d’aides elle a besoin d’un business tout autant durable que gagnant-gagnant.». Il met à ce propos l’accent sur le travail accompli par Africalink qui regroupe 172 PME dont 38% sont africaines. Ajoute que la CCI a effectué 15 missions en Afrique et reçu 10 délégations. Pour lui: «Il faut que les PME françaises aillent en Afrique mais il faut aussi que les PME africaines viennent investir ici.»
Michel CAIRE