Marseille. La Criée. ‘Le jeu des ombres’: un spectacle lumineux de Jean Bellorini et Valère Novarina du 31 mars au 3 avril

Publié le 27 mars 2022 à  19h48 - Dernière mise à  jour le 4 novembre 2022 à  19h25

Jean Bellorini est un poète du théâtre. Valère Novarina, un poète des mots. Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Avec «Le jeu des ombres» -dont le texte intégral qui fait écho à l’opéra «Orfeo» de Monteverdi- fut publié en 2020 chez P.O.L. c’est désormais chose faite. L’auteur et le metteur en scène se sont accordés pour œuvrer à distance, de telle sorte que le travail d’écriture sans cesse déplacé, découpé, recollé, se détache petit à petit du travail de plateau. Au final l’osmose est magique, et ce jeu des ombres totalement lumineux.

Destimed le jeu des ombres valere novarina jean bellorini c raynaud de lage copie
«Plongée festive et profonde dans le mythe d’Orphée, cette création mêle les genres et les époques tout en restant fidèle aux origines : seuls l’amour et l’art permettent d’échapper au drame universel de la mort. Sur scène, les signes de cette tension éternelle sont figurés par un monde chaotique et fou. Un monde brûlant et incendié», nous dit-on en notes d’intention.

Autour d’Orphée et Eurydice, une troupe de musiciens, de comédiens, de chanteurs, sont prêts à dresser leurs tréteaux… et on peut dire ici que «L’humanité danse sur un volcan.» L’écriture de Novarina imposant un rapport aux mots différents, celui qui ne parle jamais de la dramaturgie des mots mais de la dramaturgie de l’espace : le lieu où résonnent les mots, les sons. «Cet espace, précise Sébastien Trouvé qui signe la direction musicale de l’œuvre en collaboration avec Jérémie Poirier-Quinot, est l’espace de la musique. « Le jeu des ombres » c’est de la pure musique, de la pure poésie. Les musiciens étant tous parfaits.

L’insertion dans la pièce de courts textes d’Ovide et la traduction surtitrée de « L’Orfeo » viennent préciser le fil narratif, mais le spectacle doit rester poétique, sensible, et son sens sera propre à chacun.» Effectivement chacun viendra trouver ce qu’il souhaite dans ce capharnaüm scénique organisé avec rigueur, et on précisera que descendre dans les Enfers avec Orphée, ou entrer dans l’univers de Novarina relève du même geste. Dans les deux cas on participe comme le suggère Jean Bellorini au «retournement du sens commun».

Dieu et les arbres par Marc Plas et François Deblock

Au centre de ce dispositif on saluera la performance de François Deblock qui incarne «Orphée malgré lui» et «Orphée hors de lui» et qui chante absolument divinement. En précisant que toute la troupe est au diapason (car c’est bien un esprit de troupe qu’il faut saluer ici), avec deux moments gigantesques de beauté et de drôlerie. Quand Marc Plas jouant «Orphée le Nombreux» énumère toutes les définitions de Dieu faites par de grands écrivains ou penseurs, long catalogue allant de Dostoëvski posant que «si Dieu existe, tout est permis» jusqu’à Lacan soutenant au contraire «si Dieu n’existe pas, alors rien n’est plus permis du tout. Les névrosés nous le démontrent tous les jours.» Avec des passages obligés chez Kant, Spinoza, Duras qui certifait que «si Dieu existait il n’y aurait plus d’alcoolos», Voltaire, mais aussi…Hubert-Félix Thiéfaine, affirmant que «Dieu est un fox à poil long». Sans oublier et c’est aussi inattendu qu’édifiant (c’est un rajout du comédien) la réflexion de Macha Makeïeff : «Dieu ? Une grande maison vide dont on a perdu l’adresse.» Ou celle de Coluche : «Le monde est bien fait. : Dieu croit aux cons. Les cons croient en Dieu.»

Et, autre moment sublime quand François Deblock énumère une longue liste d’arbres, d’animaux, de plantes, et d’oiseaux au noms parfois peu connus (le gireux, l’oucart, l’ormant, la fulque, la loumniote, le parciant, le louime, l’ulien…), dans un inventaire à la Prévert qui prône le respect que l’Homme doit à la Nature dans laquelle il évolue. Là encore c’est d’un onirisme étincelant.

Comme un kaddish

Magnifique chant d’amour et prière pour les hommes qui ont oublié d’exister, sorte de kaddish où le metteur en scène s’emploie à faire exister les silences, dans une langue novarinienne qui ne supporte pas l’interprétation, le commentaire ou l’anecdote de la part des comédiens, «Le théâtre des ombres» insuffle au public l’amour de la vie et le sens du partage. Magnifiques costumes de Macha Makeïeff assistée de Claudine Crauland et accompagnée de Nelly Geyres, voilà un spectacle solaire où la vidéo de Léo Rossi-Roth lorgne parfois du côté de Frank Castorf, (l’outrance gratuite en moins) est un instant de théâtre hors du temps et des modes, où se mêlent classicisme et modernité. Une réussite absolue.
Jean-Rémi BARLAND

«Le jeu des ombres» par Valère Novarina. P.O.L. 264 pages, 17€ – Spectacle mis en scène par Jean Bellorini. A voir à La Criée du 31 mars au 3 avril, à 20 heures. Le dimanche 3 avril à 16 heures.

Articles similaires

Aller au contenu principal