Publié le 2 avril 2022 à 8h30 - Dernière mise à jour le 23 décembre 2022 à 16h09
Nous sommes nombreux à nous interroger sur ceux de nos concitoyens qui soutiennent l’extrême droite et ses fantasmes. Nous n’arrivons pas toujours à le comprendre, comme nous n’avions pas compris la victoire de Trump ou celle du Brexit. C’est pourtant une réalité et un signal qu’il serait dangereux d’ignorer. Il faut mettre des mots sur ce phénomène qui dépasse largement nos frontières, et qui menace les fondamentaux des systèmes sociaux et politiques français, européens et occidentaux dits de droit.
A l’origine, il y a certainement l’inculture
Cette incapacité à retenir les exemples du passé, à imaginer les effets que celui-ci, conjugué au présent, a sur la construction du futur. La difficulté profonde à prendre ce minimum de hauteur qui permet de ne plus voir que le blanc ou le noir du damier et de constater ainsi que ces derniers, non seulement se côtoient, mais peuvent aussi devenir du gris. Rien de très original dans ce fait qui était encore plus significatif autrefois. La différence réside aujourd’hui, d’une part, dans l’affaiblissement des principes et objectifs éducationnels, tant dans la famille que dans le cadre scolaire, d’autre part, dans une possibilité d’expression inédite (accélérée par la nouvelle grégarité des réseaux sociaux) et une désinhibition autorisant le partage de réflexions autrefois limité aux lettres anonymes et aux propos avinés de comptoir.
Il y a ensuite l’individualisme
Cette création de la seconde moitié du XXe siècle prend largement son origine dans la mise en œuvre d’une société basée sur la consommation à outrance. Sur un modèle dans lequel l’individu doit être une unité de consommation, valorisée, idéalisée et… exploitée comme telle. Un monde dévoyé où Auchan «change la vie», où «l’on est ensemble» grâce à Bouygues, où BMW nous procure «mille pouvoirs et zéro devoir», quand l’Oréal rappelle que «je le vaux bien» et Coca Cola propose «du bonheur pour tous»… Ceci aboutissant à une nouvelle certitude que le « je » prime sur la collectivité, que ses droits sont absolus face à des devoirs aléatoires, voire optionnels. « Je » deviens le centre d’un monde dont il est en même temps son Alpha et son Omega. En conséquence, l’individu s’infantilise et ne peut renoncer à ce à quoi il a manifestement «droit». Une telle injustice le frustre et lui fait peur.
Il y a donc la colère
Colère car le monde qui l’effraie faute d’avoir les moyens de comprendre son fonctionnement et d’affronter ses menaces, ne tient pas ses promesses. Colère, car personne ne voit sa détresse, ses angoisses, son isolement terrifiant et son exclusion des circuits de décision, sa non-existence aux yeux des sachants, des dirigeants, des cercles de pouvoir.
Inculture, infantilisme, peurs et colère. Voilà le terreau de l’extrême droite.
Il lui suffit juste de pointer les difficultés en les accentuant (situation « effroyable», «horrible», «misérable»…), de souligner les détresses individuelles (réelles ou ressenties) et de promettre leur résolution, d’évoquer un passé idéalisé, inventé autant que fantasmé, et enfin de désigner un bouc émissaire (au choix, les immigrés, l’État, les riches, l’Union Européenne…) qu’il suffira d’éliminer pour que tout s’arrange.
Qu’importe la vérité, le bon sens ou la raison, du moment que l’on est entendu par quelqu’un. Qu’importent les conséquences, y compris la violence physique qui suit naturellement la violence verbale, du moment qu’un héraut même d’opérette, porte notre colère. Qu’importe le risque du chaos qui, de toute façon ne pourra remettre en cause nos avantages (lorsque nous les reconnaissons !) car…ils sont acquis.
Oui, tout ceci peut paraître stupide et inconséquent, mais ce n’est pas sans conséquences dans un système démocratique. Un nombre croissant de personnes y adhèrent faute d’alternatives dans lesquelles elles puissent se reconnaître et qui les rassurent.
Écoutons les !
A défaut, car ce sont des électeurs, ces citoyens pourraient faire basculer des élections pour… de mauvaises raisons. Comme des moutons qui voteraient pour le loup afin de punir le berger.
Yves Delafon, ancien président du réseau Africalink et Cofondateur et administrateur du Groupe Banque pour le Commerce et l’Industrie (BCI)
[(
A lire aussi du même auteur
–Forum des mondes méditerranéens : « Plus qu’une nouvelle grand-messe, l’événement se veut tourné vers, et animé par la société civile ».
–Afrique : »Nous avons un futur commun à construire ensemble. Et c’est urgent ».
–« Europe-Afrique « nous nous sommes trompés » .)]