Publié le 8 avril 2022 à 7h30 - Dernière mise à jour le 9 décembre 2022 à 14h09
C’est ce que nous entendons régulièrement, ou qui est sous-jacent dans de nombreux commentaires. Nous pouvons, différemment et tous, l’affirmer également. Comment pouvons-nous aimer une personne qui ne nous est pas proche ? Avec qui nous n’avons pas pris un café au soleil le samedi matin, avec qui nous n’avons jamais eu l’occasion de partager nos joies ou nos peines, nos projets ou la vie de nos enfants ? Comment peut-on aimer un chef d’État dont l’ambition, les préoccupations, le fonctionnement, les obligations et les charges lui interdisent l’attention, la préférence, le temps et la liberté indispensables aux nécessairement lentes reconnaissances et constructions de nouvelles amitiés ? Cela n’a rien à voir avec nos choix politiques.
Même si nous sommes naturellement portés par l’affect et l’émotionnel, et que tous les candidats jouent de cette tendance pour nous séduire, l’affection ou l’amitié n’ont strictement rien à voir dans le soutien, ou non, à un projet politique, de société. La déviance que représente l’individualisation de la relation au chef (au père ?) est naturelle, mais dangereuse. L’affection est puérile, la détestation obsessionnelle rend idiot. Il faut en sortir, et retrouver la boussole du collectif, du bien public, du long terme et des fondamentaux du vivre ensemble dans un monde qui, qu’on le veuille ou non, nous impose une vision éloignée de notre nombrilisme.
Mais ce pragmatisme nécessaire serait froid et inhumain sans des objectifs incontestables, des valeurs indiscutables qui le justifient, et un minimum de détachement. C’est en fonction de ceux-ci que nous devons faire nos choix, et la proche échéance présidentielle française est exemplaire à ce sujet. La «gentillesse» n’a rien à voir avec l’humanisme d’un projet, tout comme la «bienveillance» est étrangère au réalisme des relations internationales qui façonnent notre avenir. La «compassion» pour une situation individuelle, n’intervient pas dans la compréhension et l’organisation de l’indispensable solidarité nationale.
La «colère» contre de l’administration communautaire et la lenteur des décisions, ne peut entrer en compte dans le choix, vital, d’une construction européenne qui, seule, peut nous donner les moyens de nos souverainetés nationales et collectives, donc de la maîtrise de notre avenir. La «peur de l’Autre» et de ses différences, ne peut compromettre la dignité et l’honneur vitaux de l’accueil des persécutés et de ceux qui connaissent la misère. «L’anxiété» exacerbée et instrumentalisée de la délinquance et de la criminalité, ne doit pas faire oublier la paix et la sécurité globales dans lesquelles nous vivons, comme les nécessaires politiques d’éducation et de réinsertion.
La «désespérance» induite par l’état de notre planète, est incompatible avec la conduite de politiques environnementales collectives, crédibles, raisonnées et holistiques. Il y a trop d’urgence pour être pressés. «L’offuscation» générée par la limitation, momentanée et limitée, de libertés individuelles, ne peut être l’arbre qui cacherait la forêt profonde, bien que fragile, de notre liberté (collective et individuelle) exceptionnelle.
L’élection présidentielle n’est pas le choix d’un homme ou d’une femme providentiels, mais celui d’un projet de société, encadré par des institutions constitutionnelles qui nous protègent et séparent les pouvoirs. Les 10 et 24 avril, nous avons théoriquement 12 projets, 12 choix possibles. Dans les faits, et c’est un constat sur lequel tous s’accordent, nous devrons finalement, et après les «arbitrages» du second tour, choisir entre deux visions diamétralement opposées du vivre ensemble, en France, au sein de l’Union Européenne et dans le monde.
La tentation du repli, de l’égoïsme nationaliste, du fantasme historique, du misérabilisme, de l’approximation économique et de la brutalité politique portés par le FN/RN, dessinent une France et une Europe qui tourneront le dos à leur Histoire et à leurs valeurs.
A nous donc de faire le choix de la vie, le choix de l’ouverture au monde auquel nous appartenons, le choix de l’ambition confiante face au «rabougrissement» proposé par l’extrême droite, le choix de la différence fertile face à la stérilité d’un nationalisme obtus, le choix de la confiance et de l’optimisme, le choix d’être fier de notre Pays avec ses forces et ses faiblesses, solidaire, libre et européen.
A nous de savoir faire la différence entre ce que nous n’aimons pas (et qu’il faudra changer) et ce qui est inacceptable. L’élection de Donald Trump, comme la victoire du Brexit montrent que l’impossible est devenu… possible !
Yves Delafon, ancien président du réseau Africalink et Cofondateur et administrateur du Groupe Banque pour le Commerce et l’Industrie (BCI)
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