Publié le 19 janvier 2014 à 23h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h13
Le 71e anniversaire de l’évacuation et de la déportation des populations des quartiers du Vieux-Port et de l’Opéra, célébré ce dimanche 19 janvier, a été l’occasion, pour les intervenants d’insister sur le devoir de mémoire, de dénoncer les propos de Dieudonné.
Cette année plus que jamais les participants aux cérémonies commémoratives du 71e anniversaire de l’évacuation et de la déportation des populations des quartiers du Vieux-Port et de l’Opéra étaient conscients que la mémoire n’est pas une affaire classée, mais bien de présent, de futur. A 10 heures, un premier rassemblement a eu lieu place du 23 janvier 1943. Premières émotions. Rappel que d’importantes forces de Police françaises agissant sous le contrôle et avec la collaboration de policiers allemands ont arrêté des milliers de personnes. Ils interviennent, le 18 janvier, à la suite d’une circulaire du préfet Lemoine qui donne pour mission :« Appréhender les repris de justice, les souteneurs, les clochards, les vagabonds, toutes les personnes dépourvues de carte d’alimentation, tous les Juifs, les étrangers en situation irrégulière, les expulsés, toutes les personnes ne se livrant à aucun travail légal depuis un mois ».
Puis, une rafle aura lieu dans le quartier de l’Opéra où se tient, ce dimanche, une deuxième manifestation.
Denise Toros-Marter rappelle ses cauchemars : « La nuit, brusquement, je me réveille poursuivie par un songe. Je suis à Birkenau, dans un camp désert. Malgré l’accoutumance aux nuits de terreur, je revis chaque fois mon arrivée dans ce train qui m’a volé ma jeunesse ». Puis de rappeler les 6 millions de morts de la Shoah, « le massacre sans nom, le voyage aux enfers ». Et de lancer : « Souvenez-vous que cela fut. Les déportés disaient : les survivant devront raconter car sinon nous serons morts pour rien. Parmi eux était ma famille ».
« Ida Palombo ne viendra pas ce matin »
C’est au tour de Caroline Pozmentier de prendre la parole, au nom de l’association Fonds Mémoire d’Auschwitz, d’inviter à se remémorer « ces hommes, ces femmes, ces enfants, poursuivis dans toute l’Europe comme des bêtes au seul motif qu’ils étaient juifs ». Elle poursuit « Ida Palombo ne viendra pas ce matin, elle nous a quitté en mai 2013. Déportée en mai 1944 avec sa mère, ses petits frères et d’autres membres de sa famille, elle est la seule à être revenue. Et elle, a décidé de parler, d’agir. Elle était un phare pour nous, tout comme elle l’était pour toutes les victimes. On lui doit ainsi le mur des noms à la grande synagogue, on lui doit aussi les voyages à Auschwitz. Ida Palombo est née en 1924, dans le quartier du Panier, dans cette ville qu’elle décrivait comme fraternelle. Et, pourtant, un jour tout a basculé ».
« Même dans nos pires cauchemars nous n’aurions pas imaginé que la Shoah soit tournée en dérision »
Albert Barbouth, association Fonds Mémoire d’Auschwitz, enchaîne en citant Victor Algazy, membre fondateur de l’association qui a vécu dans ce quartier de l’Opéra. Il a été sauvé par un policier de Vichy avant d’être recueilli par une famille arménienne, à la Gavotte, où il restera avec sa mère jusqu’à la libération de Marseille.
William Labi dénonce Dieudonné. « Même dans nos pires cauchemars nous n’aurions pas imaginé que la Shoah soit tournée en dérision ». Il poursuit : « Un ministre courageux a redonné toute sa noblesse au mot politique, en se levant pour dire non. Nous aussi nous nous opposerons ».
Elie Benarroch, Fonds social Juif unifié indique : « Depuis 25 ans, je me rends en Pologne à la tête d’une délégation française composée d’une centaine de jeunes juifs et non juifs. J’ai de cette manière beaucoup entendu, découvert, appris, avec toujours une même question : comment de tels actes ont-ils été possibles? Et la Shoah, cet abîme de l’humanité, n’a pas fini de nous livrer les bribes de son histoire. Grâce à des chercheurs nous avons appris l’an dernier que l’on dénombrait 42 500 ghettos et camps nazis en Europe. On voudrait ne pas y croire mais c’est arrivé et c’est ineffaçable. Alors, il nous faut devenir les témoins des témoins, lutter contre toutes les formes de racisme et d’exclusion ».
« Une société qui laisse vivre l’antisémitisme se nécrose »
Michèle Teboul, présidente du CRIF Marseille-Provence juge : « La meilleure réponse à donner aux négationnistes est votre présence. Nous savons que la tragédie qui s’est produite ici est humaine, terriblement humaine. Et que certains font de leurs mots des armes et de l’humour une liberté de haïr, et du système un prétendu complot juif. Mais le massacre des juifs restera un massacre, un génocide restera un génocide et un crime contre l’humanité, un crime contre l’humanité ». Elle considère : « Une société qui laisse vivre l’antisémitisme se nécrose. Notre combat est celui de tous ».
José Allegrini, représente le sénateur-maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin : «Toute commémoration transforme le passé en service au présent ». Et de préciser: « Il y a la police française qui a agi sur l’ordre de l’Allemagne nazie; il y a eu les victimes mais aussi des héros : des combattants et des Justes ». Il déplore qu’: «Internet soit le support d’un nouvel antisémitisme, portant une parole brute, brutale. Nous devons nous prémunir contre cette spontanéité. Nous sommes responsables du monde que nous transmettons ». Et de conclure qu’à ses yeux : « Marseille est un laboratoire spontané d’intégration chaotique mais toujours dans le respect ».
« le Mal que l’on croyait absolu, répulsif, se voit noyer dans le brouhaha de la blogosphère »
Eugène Caselli, le président de MPM rappelle à son tour l’histoire, les vieux quartiers rasés, des arrestations « et 786 juifs, hommes, femmes, enfants, qui allaient monter dans des trains, direction les camps d’extermination. Et les organisateurs des rafles ont fait photographier ces dernières. Les photos ont été placées dans les archives allemandes comme autant de preuves, autant de témoignages avec ces visages de victimes qui, de cette manière, ont été arrachées à l’oubli. Les morts n’ont pas disparu dans les oubliettes de l’histoire ». Mais voilà qu’aujourd’hui on assiste à un assaut « de ceux qui doutent, contestent, refusent, ceux qui poursuivent une campagne antisémite. Des lois existent contre le négationnisme mais les délinquants se montrent à découvert et montent sur les planches. Et le Mal que l’on croyait absolu, répulsif, se voit noyer dans le brouhaha de la blogosphère. L’histoire peut avoir l’idée de recommencer. On teste notre capacité de résistance, notre aptitude à défendre les valeurs républicaines. Face à cela nous avons des armes : le droit, la Justice et la parole comme c’est le cas ce matin ».
Avi Assouly, député, représente le président de la Région Paca, Michel Vauzelle, félicite le Président de la république et le ministre de l’Intérieur, pour leur fermeté « face à un soi-disant humoriste. Et je salue les maires de France qui ont interdit son spectacle « le mur » qui n’est rien d’autre qu’un mur de haine ». Et de terminer son propos en citant Manuel Valls : « Quand un juif français est attaqué pour ce qu’il est c’est la République qui est attaquée ».
« Le temps qui passe n’est pas l’allié de l’oubli »
Lisette Narducci, maire des 2/3, représente le président du Département, Jean-Noël Guérini : « 71 ans que les rafles ont eu lieu et le temps qui passe n’est pas l’allié de l’oubli. Plus que jamais, il est indispensable de se souvenir alors que certains aujourd’hui distillent des messages qui rappellent des temps mauvais ». Elle revient alors sur le fait que « le Département, chaque année, accompagne des collégiens dans les camps. Ces jeunes, de toutes les cultures, les spiritualités, reviennent porteurs de cette histoire terrible afin que plus jamais cette tragédie ne se reproduise, et que, en revanche, les cultures diverses se conjuguent harmonieusement avec les valeurs de la République ».
« L’humanité s’est craquelée pour laisser place à l’antisémitisme »
Marie- Arlette Carlotti, la ministre déléguée chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion invite « à toujours trouver la force de se souvenir », et notamment de ces temps où « l’humanité s’est craquelée pour laisser place à l’antisémitisme. Et Marseille a été détruite en son cœur car coupable de ne pas avoir été en adéquation avec le racisme, l’antisémitisme. L’oubli est une lâcheté, un abîme. Nous devons nous souvenir des victimes et des bourreaux. Car, comme le disait René Char : « Au 20e siècle l’Homme fut au plus bas et il peut y retourner ». Le souvenir nous protège contre ce péril. Et nous devons dénoncer les replis et le négationnisme. Car comment ne pas déplorer de voir le communautarisme se rependre, y compris à Marseille, cette ville qui s’est construite sur le cosmopolitisme ». Elle poursuit : « Nous sommes dans un pays, la France, où on tue des enfants juifs qui se rendent à l’école, où des enfants partent pour mener le djihad en Syrie. Oui les mots sont des pistolets chargés. Et il ne faut pas céder d’un pouce, jamais, c’est pour cela que l’État est intervenu avec fermeté pour faire face au délire antisémite d’un soi-disant humoriste dont Le Pen est le parrain d’un enfant. Et ce n’est donc pas pour rien s’il n’a jamais été condamné par le FN ».
Michel CAIRE