Publié le 20 janvier 2014 à 13h39 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h13
L’universitaire, président du Groupe d’Aix (*), donne son point de vue sur le dossier du «triangle », une bande de terrain situé au nord d’Israël où vivent environ 300 000 Arabes israéliens
Le triangle : il s’agit d’une bande de territoire située au nord d’Israël, en Galilée, qui borde la Cisjordanie, et où vivent environ 300 000 Arabes israéliens. La ville principale de cette bande est Umm-El-Fahm. La controverse actuelle, concernant ce territoire, vient de ce que Avigdor Lieberman, actuel ministre israélien des Affaires Étrangères, insiste pour que, lors des négociations actuelles avec les Palestiniens portant sur les échanges de territoires, « le triangle » soit transféré à la partie palestinienne. Non seulement ce territoire passera sous souveraineté palestinienne mais également les Arabes israéliens qui y vivent et qui, après l’échange, auraient la nationalité palestinienne.
L’idée est que tout échange devrait non seulement concerner les territoires mais aussi les populations qui vivent sur ces territoires. Lieberman insiste « Let me be very clear: I am not speaking about moving populations, but rather about moving borders to better reflect demographic realities. » Il ajoute que le seul accord avec les Palestiniens que son parti, Yisrael Beytenu, soutiendra est celui qui incorporera un transfert de population accompagnant un transfert de territoire. D’après des membres de la coalition Likoud-Beytenou, cette idée serait reprise par les Américains.
Cette proposition divise les Israéliens, et est combattue violemment par les Palestiniens. A plusieurs reprises le Président Abbas a rejeté cette idée. En Israël, parmi ceux qui s’opposent à cette idée il y a en premier les Arabes israéliens qui manifestent leur désir de rester israéliens. Le maire de Umm Al-Fahm prévient que, dans cette hypothèse, il fera appel à la Cour Suprême israélienne afin d’éviter l’annulation de la nationalité israélienne aux habitants arabes d’Israël. Cette proposition lui parait immorale. Pour Lieberman ce rejet est hypocrite, car dans le passé les Arabes israéliens se sont fortement identifiés à la cause palestinienne, rejetant le droit à l’existence d’Israël et s’alignant sur ceux qui souhaitent détruire son caractère juif. De manière ironique il ajoute : « Les Arabes de Wadi Ara deviennent subitement adorateurs du sionisme », alors que le jour de l’Indépendance d’Israël ils arborent des drapeaux noirs pour marquer le jour de la Nakba (« la catastrophe »), des drapeaux du Hamas et des photos de Nasrallah (chef du Hezbollah), bref de tous ceux qui ouvertement nient le droit d’Israël d’exister comme État juif.
Pourtant, beaucoup en Israël considèrent cette idée comme au pire immorale, et au minimum impraticable. Le Président Shimon Peres considère qu’ « Israël ne peut annuler la nationalité de citoyens du seul fait qu’ils sont arabes ». Pour l’actuel ministre de l’Intérieur, Gideon Sa’ar, pourtant n°2 du Likoud, tout accord devra spécifier que la population arabe israélienne continuera à vivre en territoire israélien. « En tant que ministre de l’Intérieur, je considère que la nationalité israélienne n’est pas un objet que l’on peut échanger dans le cadre d’un accord politique». L’actuel ministre de l’Agriculture, Yair Shamir, pourtant n°2 du parti de Lieberman, s’oppose également à cette proposition. Les députés arabes israéliens considèrent que l’idée du transfert de population arabe est « raciste ».
A cet égard, notons le changement d’attitude du Premier ministre israélien, qui après s’être opposé à la proposition de Lieberman vient de changer d’avis. Il appuie maintenant son ministre des Affaires Étrangères, et il est suivi en ce sens, et c’est plus surprenant, par Tsipi Livni, ministre de la Justice et en charge des négociations avec les Palestiniens. Encore une fois, on retrouve l’argument démographique comme justification au transfert. Quelle est la portée de cet argument ? Ce transfert éventuel modifiera-t-il sensiblement les équilibres démographiques entre Juifs et Arabes ?
Pour répondre à cette question nous pouvons nous référer à une étude effectuée par un institut américain (1) basé à Washington qui, en 2011, a établi plusieurs scénarios concernant les échanges éventuels de territoires dans le cadre d’un accord. Et, un des scénarios proposés, reprenait l’idée de Lieberman de transfert du « Triangle » aux Palestiniens (voir carte). Cet échange concernerait dans leur hypothèse de travail près de 220 000 habitants sur 1 555 700 arabes israéliens, soit 14%. Avant le transfert le pourcentage de Juifs est estimé à 75,48% de la population totale israélienne. Après le transfert il passerait à 77,71%. La différence est modeste. Elle ne modifie pas l’équilibre démographique entre Juifs et Arabes.
Faut-il, dans ces conditions, créer une division dans la société israélienne et s’attirer les critiques de la communauté internationale ? Le prix nous semble trop élevé pour un résultat loin d’être acquis.
*Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.
(1) David Makovsky, Sheli Chabon, Jennifer Logan , “ Imagining the Border, Options for Resolving the Israeli-Palestinian Territotial Issue“, The Washington Institute for Near East Policy, 2011