Publié le 20 avril 2022 à 20h47 - Dernière mise à jour le 5 novembre 2022 à 12h06
Au Vietnam, dans les campagnes, on peut découvrir de petits autels fleuris devant les habitations. Ce sont des lieux de repos pour les âmes errantes, celles qui n’ont pu retourner jusqu’à la paix de leur demeure humaine familiale une fois la mort venue. Pour la soirée de mardi du Festival de Pâques, le Grand Théâtre de Provence abritait, sans doute, l’âme de Nicholas Angelich partie lundi pour un ultime voyage.
L’immense pianiste, ami de Renaud Capuçon et fidèle du festival pascal aixois, aimait s’y retrouver afin d’y partager quelques moments musicaux intenses et de grande qualité. « Je ne jouerai plus jamais une note de Brahms sans être près de toi.…» écrivait Renaud Capuçon, sur sa page facebook, quelques heures après avoir appris le décès de son ami Nicholas Angelich ; comme un cri du cœur…
Mardi, au moment d’entrer en scène, son Guarneri del Gesu « Panette » à la main, pour diriger et jouer «Les Quatre saisons» de Vivaldi devant l’Orchestre de chambre de Lausanne dont il est le directeur artistique depuis quelques mois, Renaud Capuçon devait penser fort à son ami Nicholas. Si fort, même, que le largo du «Printemps» atteignait un sommet d’émotion compris et totalement partagé par celles et ceux qui savaient. Et que dire de «L’été» dont l’interprétation puissante, voire violente, mais toujours lumineuse et juste, du chef et soliste semblait refléter un sentiment de rage jusqu’alors contenu comme une façon de débuter son deuil. Quant au largo de «L’hiver», déjà fort sensible pendant le concert, il prenait en bis une dimension peu commune, refermant le livre d’une belle histoire s’achevant dans la douleur.
En osmose avec leur directeur artistique, les musiciens de l’ensemble helvétique ont su hisser ce moment musical au niveau de l’exceptionnel requis par les circonstances, la couleur veloutée des cordes et leur précision conférant souvent aux tutti une dimension proche de la spiritualité et plutôt rare pour cette œuvre connue et reconnue pour ses tubes et ses descriptions de la nature.
En composant le programme de cette soirée, Renaud Capuçon avait décidé, bien avant de savoir dans quel contexte elle se déroulerait, d’insérer entre les concerti de Vivaldi deux œuvres de Chevalier de Saint-Georges histoire de faire découvrir la musique du guadeloupéen. Né (on le présume) en 1945, onze ans avant Mozart, ses compositions sont de style classique et parfois assez proche de celle de Wolfgang qui, semble-t-il, n’avait guère de sympathie pour lui… Ils étaient pourtant francs-maçons l’un et l’autre, Sainte-George étant même le premier homme noir à devenir « frère » en France. Deux concerti pour violon solides mais en léger décalage avec les quatre saisons dont l’interprétation, mardi, a fait vibrer un Grand Théâtre de Provence qui, conquis, n’a pas ménagé ses applaudissements pour les musiciens et leur directeur… A juste titre.
Michel EGEA