Valbonne. Rencontre avec Paul Luneau auteur de la pièce ‘Des gens qui doutent’, le metteur en scène Ronan Bacikova et les comédiens Damien Sobieraff et Virgil Leclaire.

Beau projet que cette pièce «Des gens qui doutent » proposée par la Compagnie «Arts et Cendres» dont le titre fait référence à la chanson d’Anne Sylvestre. Présentée pour la première fois au public en sortie de résidence d’artistes, dans la salle du Pré des Arts de Valbonne ce mercredi 27 avril à 20 heures cette comédie dramatique plonge sept comédiens dans une intrigue dense, efficace et généreuse à l’esthétique résolument contemporaine.

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En pénétrant ainsi dans l’univers intime d’un homme, Pierre, secoué d’interrogations complexes sur son devenir, le public est frontalement renvoyé à sa position : est-il spectateur d’un divertissement, ou devient-il un juge complice, voyeur et finalement acteur à part entière du drame qui se déroule sous ses yeux ? Écrite dans un mélange de burlesque et de poésie avec la bouleversante tirade finale d’un livreur de sushis, cette pièce détourne tous les codes du boulevard pour réussir à nous émouvoir autour du droit à la différence et à la nécessité de respecter autrui. Derrière ce drame de la solitude ordinaire pointe le rire tendre et la farce enlevée. Paul Luneau, qui a écrit le texte, et Ronan Bacikova son metteur en scène également acteur dans sa propre pièce que l’on a vu dans «Astrid» de Marc Tourneboeuf (à qui l’on a consacré une chronique) nous ont présenté «Des gens qui doutent» en insistant sur la volonté de proposer une approche ludique de la douleur d’êtres malmenés par le sort. Une pièce qui est aussi très musicale avec Virgil Leclaire et où l’on entend vers la fin la chanson «Les gens qui doutent» d’Anne Sylvestre interprétée par Damien Sobieraff qui joue Marc, un des très émouvants personnages clefs.


Entretien avec Paul Luneau auteur de la pièce «Des gens qui doutent»

Paul Luneau auteur  ©DR
Paul Luneau auteur ©DR

Destimed: Comment est née l’idée de cette pièce ? Et pourquoi ce titre ?
Paul Luneau :Cette pièce est née de mon envie de faire cohabiter sur scène des personnages hauts en couleurs, traversés par des valeurs et des croyances que l’on croit fondamentalement incompatibles. Le plaisir du jeu est le moteur de cette création ; la générosité, la comédie et la sincérité en sont les ressorts. Je suis très attaché à la notion de divertissement, qui permet dans un premier temps de toucher le plus grand nombre.La transgression vient dans un second temps afin de pousser les personnages, situations et enjeux à leur paroxysme pour mieux observer la violence des comportements humains. Le travail d’écriture a commencé lors des manifestations contre le mariage pour tous. J’ai trouvé aberrant que l’on puisse défiler contre le fait de s’aimer librement. Le texte aborde les nouveaux schémas familiaux sans en faire son sujet. La comédie a, à mon sens, la capacité d’interroger le spectateur tout autant que le drame ou la tragédie. En n’offrant pas une fin heureuse, on met le spectateur devant le fait de rire du malheur des autres et c’est cette position qui je l’espère amènera à l’empathie et la compréhension de ce qui nous est étranger. Quant au titre, c’est bien sûr une allusion directe à la chanson d’Anne Sylvestre que ma mère a chantée à l’enterrement de ma grand-mère ; Et qui donc me bouleverse aussi pour cette raison.

Présentez-nous les personnages
D’abord, il y a Marc, le compagnon. Compositeur fier en peignoir et pantoufles, à la mauvaise humeur évidente exacerbée par la page blanche pleine de vide qui lui fait face. Ensuite il y a Caroline, l’ex-femme, future divorcée, jeune maman insouciante mais trop consciente du temps qui passe. Puis vient Elizabeth la Maman. «Mère juive», catholique convaincue, toujours prête à aider son prochain et à sortir les griffes au besoin. Sans oublier Mme Planchon, l’irréductible voisine du dessous, Benjamin, mystique erreur d’un soir et le livreur de sushis, spectateur flegmatique et clairvoyant de cette soirée mouvementée…

Au centre de tout cet univers, il y a Pierre. Catalyseur bien malgré lui de toutes les projections des autres protagonistes en recherche d’identité. Seulement que faire si un jour, Pierre n’est plus là ? Si un jour Pierre décide de dire merde ou tant pis pour vos fesses ? Comme il est noté dans la chanson. Les personnages gravitent, en errance, autour de leur histoire commune ; ils projettent sur Pierre un passé fantasmé dans l’espoir d’y trouver un futur salvateur, et s’accrochent à lui comme à une bouée de sauvetage.

Dans un contexte familial complexe en huis-clos, chaque personnage tente tant bien que mal de rendre compatible, au sens propre comme au figuré, ses angoisses avec celles des autres. Le personnage central, Pierre, traverse une crise existentielle. Il incarne à mes yeux les questionnements intimes et fondamentaux : ce que je suis, ce que je veux. Je veux donc j’existe. Le besoin frénétique et irrationnel de la présence de Pierre qu’éprouvent les autres personnages souligne le paradoxe entre ses doutes et son rapport aux autres. L’idée ici n’est pas de trouver une réponse aux questions de Pierre, mais bien de voir si l’on peut vivre sans lui. N’est-on finalement pas coupable en essayant de plaire à tout le monde.

Parlez-nous du livreur de sushis qui est un symbole de la solitude à lui tout seul.
Tous mes personnages sont en lutte. Le livreur de sushis n’a pas de prénom, mais c’est le plus clairvoyant, Sa tirade finale qui clôt la pièce résume à la fois son parcours et celui des autres protagonistes. J’ai écrit le rôle pour Virgil Leclaire acteur aux fulgurances scéniques qui est ici poignant d’intensité.

Il y a aussi un travail sur le rythme même des mots et des citations proposées.
Tout à fait. Le rythme initial se veut soutenu pour que le spectateur embrasse l’action et soit directement confronté aux rebondissements et quiproquos de plus en plus denses et incontrôlables. Il pourra ainsi s’identifier à un ou plusieurs personnages, une ou plusieurs situations. La transgression de la forme, et son évolution doivent nous faire sortir de ses schémas classiques. C’est une relation de proximité qui se crée pendant une heure entre tous les protagonistes du spectacle : comédiens, régisseurs et spectateurs. La narration parfois frontale des personnages laissera libre à chacun d’apprécier qui est responsable et de quoi, et dans l’idéal cette pièce aura fait rire et pleurer… Deux raisons fondamentales d’aller au théâtre en somme. J’ai beaucoup songé pour cela à une autre chanson d’Anne Sylvestre qui s’appelle «Après le théâtre» où il est demandé : «Y a-t-il une vie après le théâtre» puis «Y a-t-il une vie sans le théâtre ? »


Entretien avec le metteur en scène Ronan Bacikova

Ronan Bacikova metteur en scène ©DR
Ronan Bacikova metteur en scène ©DR

Destimed: Comment avez-vous travaillé la mise en scène ?
Ronan Bacikova : Ce qui m’a tout de suite intrigué dans la pièce, c’est la pluralité totalement décomplexée de ses influences : le récit traverse une multitude de genres rarement associés dans l’écriture contemporaine à ma connaissance. La forme évolue à mesure que l’intrigue devient plus dense, tout en gardant un ton ouvertement divertissant et grinçant ancré dans son époque. La mise en scène doit être au diapason de ce texte. Il est nécessaire qu’elle aussi surprenne, déroute, saisisse à travers une narration et une esthétique résolument contemporaines, alliant la forme avec le fond.

Le plateau, d’abord, doit devenir le juste canevas du texte, le terrain de jeu. Il est essentiel de casser les barrières établies et transcender les genres, pour revenir aux points de rencontres les plus simples : plaisir de dire, plaisir de voir. L’idée est alors de partager une expérience commune de théâtre «à vue», en réunissant tous les acteurs : comédiens, techniciens et spectateurs. Cet appartement, caractéristique du vaudeville, pensé pour le huis-clos, sera donc déstructuré, modulable et en mouvement. Plus proche de l’octogone que de l’Haussmannien. Il n’y aura pas de barrière invisible, d’écran entre les comédiens et les spectateurs. Lors de moments de narration frontale, tout au long de la pièce, chaque personnage vient confier au public, comme au micro, ses peurs, ses désirs, ses doutes. Seul le personnage principal fait figure d’exception. À l’image des héros de tragédie, le sort de Pierre est lui scellé : véritable marionnette du destin, il ne peut avoir conscience de ce qui l’entoure et de la mécanique qui le tourmente. Il est une souris de laboratoire, qui, avec la complicité du public, des personnages et du metteur en scène, devient l’objet d’une expérience à échelle humaine.

Quel regard portez-vous sur les personnages ?
Les personnages gravitent, en errance, autour de leur histoire commune ; ils projettent sur Pierre un passé fantasmé dans l’espoir d’y trouver un futur salvateur, et s’accrochent à lui comme à une bouée de sauvetage. J’ai voulu travailler sur ce passé particulièrement lors des moments de narration frontale : ici, on atténue une lumière, on en change le ton, on délimite un nouvel espace scénique pour recréer le souvenir et partager un moment de connexion intime avec le spectateur. La temporalité n’est plus un élément tangible on profite du calme avant de replonger dans l’irrespirable rythme du texte.

Marc est compositeur et comme une mesure qui se répète et revient, obstinément, il cherche et arrive au plus proche de l’univers intime de Pierre, puis s’en éloigne totalement. Observant passivement sa chute, le public est alors directement renvoyé à sa position : est-il spectateur d’un divertissement ? Devient-il un juge ? Un voyeur ? Un acteur de l’intrigue ? Cette interrogation symptomatique de notre temps, à l’époque de la télé-réalité, se trouve déjà dans le genre du vaudeville et son ironie dramatique. Feydeau par exemple, déploie une véritable mécanique infernale pour balader ses personnages, pantins esclaves des entrées et sorties incessantes, des quiproquos et des claquements de portes, devant un public complice et omniscient. C’est en cela que réside selon moi l’intérêt d’aller piocher par touche à ce style désuet. Il faut en revanche y apporter une vraie lecture et un regard tout en étant capable de défendre, justifier et désacraliser.

Votre travail en commun révèle une grande complicité.

Paul Luneau : «Tout à fait. Ronan connaît mieux la pièce que moi (rires). Et il parvient à caractériser les personnages mieux que je ne sais le faire. Il a lu entre les lignes. c’est un magicien. Il a su débusquer les non-dits derrière les mots. Nous avons voulu ensemble créer une pièce sur le partage.»

Ronan Bacikova : «Tout à fait d’accord avec cette idée. Le théâtre c’est le partage. Pour moi « Des gens qui doutent » est une grande pièce car c’est avant tout un spectacle qui est.. spectaculaire et qui remue celui qui le joue comme celui qui le voit.»


Magnifique texte, travail sur le décor, «Des gens qui doutent» doit aussi beaucoup bien entendu aux comédiens. Parmi eux citons Isabelle Gardien qui fut formée au cours d’Yves Pignot puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique dans les classes de Michel Bouquet, Gérard Desarthe et Pierre Vial. Elle entre à la Comédie Française en 1990 où elle travaillera sous la direction, entre autres, de Jacques Lassalle, Georges Lavaudant, Daniel Mesguish, Jean-Pierre Miquel, Eric Vigner, Jean-Louis Benoit, Simon Eine, Thierry Hancisse, Charles Tordjmann et Anne-Laure Liégeois. Après 20 ans passés à la Comédie Française, elle a notamment interprété Madame Jourdain du Bourgeois Gentilhomme mis en scène par Denis Podalydès et est actuellement en tournée avec «Une des dernières soirées de carnaval» de Goldoni avec l’exceptionnel Louis Berthelemy croisé cet été à Avignon,. Un spectacle mis en scène par Clément Hervieu-Léger.. Elle poursuit ses nombreux doublages de films, prêtant sa voix à Cate Blanchett, Julianne Moore, Emily Watson…


Notons aussi la présence de Virgil Leclaire qui joue le livreur de sushis et Damien Sobieraff qui prête ses traits à Marc, et chante sur scène «Les gens qui doutent».

Virgil Leclaire : ses débuts enfant dans un film de Jeunet avec Gaspard Ulliel

Virgil Leclair, comédien ©DR
Virgil Leclair, comédien ©DR

Né le 26 septembre 1993, c’est tout jeune que Virgil Leclaire fit ses débuts au cinéma dans le film de Jean-Pierre Jeunet «Un long dimanche de fiançailles» où il incarnait enfant le personnage tenu par Gaspard Ullel adulte. Il a tourné aussi dans « Capitaine Achab» de Philippe Ramos où il est Achab enfant, alors que Denis Lavant sera le même personnage adulte. On l’a vu aussi dans «Les liens du sang» avec Canet et Cluzet et au théâtre dans «Incandescences», texte et mise en scène de Ahmed Madani. « Ce que j’aime dans la pièce « Des gens qui doutent », dit-il, c’est que l’on pense que nous sommes dans du théâtre de boulevard mais tout est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Les personnages sont intemporels, et j’ai aimé travailler avec Paul et Ronan dans un climat de complicité et de grand humilité».


Damien Sobieraff : le «Tartuffe» avec Arditi et Weber et un futur spectacle de Zabou Breitman où il sera encore question de la chanson Les gens qui doutent»

Damien Sobieraff, comédien © DR
Damien Sobieraff, comédien © DR

Né le 15 février 1991, Damien Sobieraff s’est fait remarquer en 2008 dans le «Tartuffe» mis en scène par Peter Stein, où il était aux côtés de Weber, Arditi, et Loïc Mobihan dont on sait qu’il joua dans «Plaire aimer et courir vite» de Christophe Honoré, long métrage où l’on entend «Les gens qui doutent » qu’il chante dans la pièce de Paul Luneau. «C’est étrange ce rapport à cette chanson d’Anne Sylvestre, confie-t-il, puisqu’il est question qu’elle soit dans le prochain spectacle de Zabou Breitman». Cette actrice et metteuse en scène avec qui il a déjà travaillé sur «La dame de chez Maxime» de Feydeau avec Micha Lescot et Léa Drucker. Damien Sobieraff explique:«Marc que j’interprète a deux personnalités très vivantes. Il est exubérant et a des moments de vraie mélancolie. Aimant profondément la chanson, j’ai travaillé ma voix pour le rôle de ce musicien, qui possède par instants une vraie folie. Tout est multiple en lui, comme chez les autres personnages qui me touchent tous profondément.»


On le voit… «Des gens qui doutent» est une pièce choral qui relève de l’aventure humaine faite d’empathie et de profonde estime de tous les protagonistes entre eux formant là plus qu’une troupe : une vraie famille de théâtre.
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND

«Des gens qui doutent » Salle du Pré des Arts – 06560 Valbonne Sophia Antipolis le 27 avril à 20heures. Tarif: 17€ – Tarif réduit : 10€ Billetterie: ICI

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