Publié le 4 mai 2022 à 10h33 - Dernière mise à jour le 30 novembre 2022 à 15h22
Destimed vient d’organiser sa première conférence-débat dans un lieu à nul autre pareil: chez Yvan Cadiou, à Cook’in Potes aux voûtes de la Major. A cette occasion Yvan Cadiou, Yves Delafon, Christophe Madrolle, Hagay Sobol, Bernard Valero ont tour à tour pris la parole et débattu avec le public.
Emmanuel Macron (LREM) a été élu avec 58,5 % des suffrages contre 41,5% recueillis par Marine Le Pen, la candidate du RN. Le pire a été évité au terme d’une campagne tendue qui s’est déroulée dans un contexte de crise Covid, de réchauffement climatique et de guerre en Ukraine. Le pire a été évité mais des digues sont tombées, des attentes, des colères, des exaspérations se sont exprimées dans le vote comme dans l’abstention. Il importe maintenant de refaire société, de construire des réponses partagées pour répondre aux grands enjeux de société : économiques, sociaux, écologiques, politiques, européens, méditerranéens, euro-africains, diplomatiques…
«Un vote de colère»
Yvan Cadiou présente la philosophie de Cook’in Potes: «Je veux que ce lieu ait toujours une âme. J’accueille des start-up, je les aide, je veux faire ce que l’on n’a pas fait pour moi». En ce qui concerne la présidentielle, il considère: «Le vote RN est un vote de colère, celui de personnes qui se sentent abandonner. Il faut remettre des trains dans les villages, recréer du lien, sortir de l’individualisme, permettre aux entrepreneurs de se développer. Et d’autre part il importe, pour développer la démocratie, de favoriser l’éducation».
Joël Barcy anime le débat, il donne la parole au professeur Hagay Sobol pour lequel: «La période de confinement a conduit d’une part à nous concentrer sur nous-mêmes et plus sur le collectif et d’autre part cela a développé la sensation de ne plus avoir de limite. Et, ainsi, à la présidentielle certains de nos concitoyens en sont arrivés à se dire qu’ils n’étaient pas d’accord, sans analyser les programmes, sans les comparer, sans mesurer qu’il y a des avantages à vivre ensemble et que, pour en conserver le maximum, il faut choisir. Or choisir c’est renoncer». Il invite aussi à mesurer que «tout n’est pas franco-français. Il faudrait apprendre, dès l’école, la géopolitique. Si on avait pensé l’Europe autrement et notamment ses relations avec la Russie ou la Turquie nous n’en serions peut-être pas là».
«Le front républicain a fonctionné encore une fois»
Pour Christophe Madrolle, président de l’Union des centristes et des écologistes (UCE): «Le front républicain a fonctionné encore une fois. Une issue positive après une campagne compliquée avec la Covid qui a poussé à l’introspection, et la guerre en Ukraine qui a cassé le débat. Un phénomène amplifié par la notion de vote utile qui, à gauche, a notamment plombé la campagne de Yannick Jadot». Il considère également que «la personnalité clivante d’Emmanuel Macron, que ce dernier a eu l’honnêteté de reconnaître, a joué un rôle, tout comme le rejet des corps intermédiaires dans la première période du mandat présidentiel qui a conduit à un face à face entre gilets jaunes et gouvernement». Il se prononce d’autre part en faveur de la proportionnelle intégrale: «C’est une question de principe et c’est le meilleur moyen de combattre le RN. On le voit bien à la Région, car confronté à la gestion le RN montre toutes ses limites, ses contradictions». Kheira dans l’assistance avance qu’elle aussi est favorable à la proportionnelle. Tandis que Yves Delafon ancien président-fondateur du réseau Africalink et cofondateur et administrateur du Groupe Banque pour le Commerce et l’Industrie (BCI), alerte: «Nous avons expérimenté la proportionnelle en France, nous sommes donc bien placés pour savoir que ce système est facteur d’instabilité et doit être encadré».
«L’écho extraordinaire de cette élection à l’étranger»
Bernard Valero, ancien ambassadeur de France soulève deux points: «On ne mesure pas dans l’hexagone l’écho extraordinaire de cette élection à l’étranger. C’était bien plus qu’une élection française. Ce qui est rassurant sur le statut de la France au niveau international. Ensuite, l’élection d’Emmanuel Macron représente une grande victoire pour l’Europe face à la montée des populismes en Pologne, en Hongrie. Une Europe qui a su être présente pendant la crise Covid comme elle l’est face à la guerre en Ukraine et qui prouve que l’on ne pourra pas s’en sortir sans elle. Et il importe de noter qu’un phénomène rare s’est produit lors de cette élection, le soutien de dirigeants européens: portugais, espagnol, italien, luxembourgeois, à la candidature d’Emmanuel Macron».
«Cette élection me soulage et m’inquiète»
Yves Delafon, avoue: «Cette élection me soulage et m’inquiète. D’une part on évite le pire qui, on le sait maintenant, arrive: on l’a vu avec Trump, le Brésil, le Brexit, la Hongrie, la Pologne. La victoire de Marine Le Pen aurait été une catastrophe pour la France et l’Europe. Elle n’a pas eu lieu et Emmanuel Macron a réussi à être réélu là où ses prédécesseurs ont échoué. Mais, dans le même temps je suis inquiet devant les scores réalisés par les candidats d’extrême droite».
«Très choquée par le fait que François Bayrou ait été nommé commissaire au Plan sans qu’aucun plan ne sorte»
Kheira avoue être inquiète face à un «taux d’abstention qui ne cesse de grimper». Si, elle juge qu’Emmanuel Macron «a bien géré la crise Covid», elle considère en revanche qu’«il a eu des phrases arrogantes». Et, elle se dit «très choquée par le fait que François Bayrou ait été nommé commissaire au Plan sans qu’aucun plan ne sorte. Je ne l’écoute plus». Christophe Madrolle déplore pour sa part: «Certains députés sont hors sol, il n’y a pas eu suffisamment de remonter des inquiétudes, des incompréhensions, des colères de la population».
«Un principe de réalité s’impose»
Pour le Pr. Hagay Sobol, Emmanuel Macron a manqué de pédagogie. Il cite par exemple, à la propos de la Covid: «il n’y a pas eu erreur, tout simplement on ne savait pas. Il faut bien comprendre que tout n’est pas dans les mains des hommes politiques et, qu’un principe de réalité s’impose. Je suis parfois étonné lors de discussion avec mes proches de voir que pour eux c’est Noël tous les jours. Mais cela ne fonctionne pas comme cela. Il faut faire des choix et, pour moi, le droit de vote c’est le droit à la réalité. C’est à dire qu’il faut voir qu’avec la guerre en Ukraine l’immédiat est dramatique et cela va être pire dans deux ans…». En matière de démocratie David, dans l’assistance, indique avoir fondé, voilà une dizaine d’années, une association dont l’objet est de réunir des élèves de contextes très différents afin d’avoir des interprétations nouvelles. Il préconise donc: «On pourrait peut-être élire un gouvernement où chaque ministre devrait fonctionner en trinôme pour imaginer une autre façon de gouverner.»
«La Chine a un rêve partagé»
Arthur, dans l’assistance, souligne que son épouse est Chinoise: «Nous sommes loin d’être d’accord sur tout mais je constate que la Chine a un rêve partagé, celui de redevenir un pays puissant. Le pays fonctionne sur deux valeurs limites: ne pas toucher au politique et le général prime sur l’individuel. Entre ces deux bornes on peut faire ce que l’on veut. Quel est le rêve partagé en France et où sont les limites? Sans ces deux éléments je ne sais comment nous pourrons avancer».
Bernard Valero reprend: «De par mes fonctions j’ai beaucoup voyagé. Je peux dire que l’on ne mesure pas la chance que nous avons de vivre en France. Ce qui ne veut pas dire que tout soit parfait. Je pense notamment qu’il faut changer la relation avec ceux qui entreprennent. Il n’est pas normal que le premier document que les entrepreneurs reçoivent, avant même d’avoir bénéficier des fruits de leur travail, soit une cotisation. C’est une lettre de félicitations signée par le président de la République ou par le ministre de l’Économie qu’ils devraient recevoir».
«La France est marquée par la défiance»
Sébastien dans l’assistance déplore: «La France est marquée par la défiance alors que ce qui nous anime à l’Adie (association pour le droit à l’initiative économique ndlr) c’est la confiance. Notre but est de permettre à des personnes qui n’ont pas accès au système bancaire traditionnel de créer leur propre entreprise, grâce au microcrédit accompagné. Pour cela, nous nous appuyons notamment sur des retraités bénévoles. Afin de favoriser l’emploi, nous ne manquons pas de faire des propositions mais il importe de mesurer que beaucoup de choses ont été faites pendant la crise Covid».
«Il faut réduire les inégalités en France mais aussi entre pays riches et pauvres»
Kheira dénonce un manque d’éthique dans le monde politique. Yves Delafon note: «Nous avons des zones sombres qu’il faut combattre en France, c’est vrai, il faut réduire les inégalités en France mais aussi entre pays riches et pauvres et nous devons répondre aux enjeux climatiques. Mais nous ne devons pas oublier que nous sommes un grand pays avec une solidarité que bien des pays nous envient». Didier partage mais pour lui «un premier pas s’impose. Il faut que nous nous écoutions plus, que nous nous respections plus».
Arthur pointe une autre question: «En France une bonne partie des gens ont des salaires quasiment bloqués tout au long de leur vie. Nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux. Il y a un vrai problème de partage des richesses dans l’entreprise. Et il en va de même pour le réchauffement climatique, nous ne sommes pas à la hauteur de l’urgence». Si on peut, à ses yeux, mieux faire il note à son tour: «il ne faut pas oublier que notre pays est extraordinaire, je pense entre autres au « quoi qu’il en coûte ». D’ailleurs on me dit régulièrement à l’étranger que l’on ne mesure pas notre chance d’être en France». Certes, mais Hubert, dans l’assistance tient à faire remarquer qu’il a été tiré au sort pour être juré, que la liberté de personnes a été mise entre ses mains. Mais, insiste-t-il: «En ce qui concerne la politique nationale là, je ne suis pas consulté hormis une fois tous les cinq ans. Alors oui, je ne me sens pas consulté, écouté».
«Je suis surprise de voir le retard pris par la France par rapport à l’Espagne sur le solaire»
Romy, dans l’assistance revient sur la lutte contre le réchauffement climatique, se prononce contre le nucléaire. Elle explique: «Je suis espagnole, je suis surprise de voir le retard pris par la France par rapport à l’Espagne sur le solaire. Je ne comprends pas que dans une ville comme Marseille on ne voit pas de solaire sur toutes les toitures». Bernard Valero réagit: «Effectivement, nous sommes très en retard sur l’éolien et le solaire mais je ne suis pas d’accord avec vous sur le nucléaire qui ne produit aucun gaz à effet de serre et qui permet à la France d’avoir un bilan carbone bien meilleur que l’Allemagne. Et si l’Espagne a une avance considérable sur la France en matière de solaire et d’éolien elle n’en reçoit pas moins du gaz algérien et de l’électricité française».
Pour Charlotte, les grands oubliés de notre pays sont les jeunes: «J’ai 30 ans, quand j’ai décidé de quitter mon emploi pour créer ma société on ne m’a pas aidée». Sébastien tient à préciser: «Pourtant en France Pôle Emploi aide alors qu’en Belgique, par exemple, lorsque l’on crée son entreprise on perd tous ses droits». Charlotte reprend: «Quand la guerre en Ukraine a éclaté, qu’il y a eu les premiers migrants, j’ai proposé d’accueillir une famille ukrainienne, je me suis renseignée auprès des services de l’État qui m’ont dit qu’il fallait s’engager pour six mois. Alors entre l’absence d’aides, le peu d’écoute, je me demande s’il faut rester en France». Elle ajoute qu’elle ne voit jamais des jeunes parler de politique et s’inquiète «des effets tragiques des « fake news »». Le débat a pris fin après plus de deux heures d’échanges. Nous avons traité ici l’essentiel.
Michel CAIRE
Ce débat, organisé par Destimed, est le premier d’une longue série qui entend apporter des éclairages aux grands enjeux de société -économiques, sociaux, écologiques, politiques, européens, méditerranéens, euro-africains, diplomatiques- nourris par des experts, des citoyens, des chefs d’entreprises, des politiques…