Publié le 3 mai 2022 à 9h08 - Dernière mise à jour le 5 novembre 2022 à 12h43
Isabelle Carré jouera au théâtre de l’Odéon de Marseille la pièce de Max Frisch : «Biographie: un jeu» du 3 au 7 mai. Elle sera également à la libraire Maupetit ce samedi 7 mai pour une rencontre-dédicace autour de son premier ouvrage en direction de la jeunesse, «La Mer dans son jardin» paru chez Grasset.
Dans « Nous ne serions pas arrivées là…si » (Grasset 2022), son très beau livre d’entretiens avec des femmes comptant parmi les personnalités marquantes de notre temps, Annick Cojean propose de les rencontrer à partir de la question fondatrice évoquant le fait de savoir comment tout a commencé d’un point de vue humain autant que professionnel. Et Isabelle Carré qui compte parmi les invitées de répondre: «Je ne serais pas arrivée là… si je n’avais pas vu Romy Schneider dans le film « Une femme à sa fenêtre », peu de temps après ma tentative de suicide à l’âge de 14 ans. J’en ai été bouleversée. C’était sur la minuscule télévision d’un petit pensionnaire du service psychiatrique de l’hôpital pour enfants. J’étais bloquée dans cet établissement aux fenêtres condamnées autant que dans ma vie d’adolescente dont l’avenir me donnait la nausée. Et soudain, j’ai entendu ces mots : « Préférer les risques de la vie aux fausses certitudes de la mort. » J’ai couru dans ma chambre chercher le petit carnet sur lequel je notais ce qui m’importait. Et j’ai retranscrit, presque frénétiquement toutes les répliques de Romy, à côté des pages, où, depuis quelques jours, j’avais écrit des dizaines de « vivre, vivre, vivre… »».
La suite c’est des dizaines de films et autant de pièces dont la magnifique «Une femme à Berlin» jouée au Jeu de Paume et qui résonne aujourd’hui au cœur d’Isabelle Carré de manière poignante : «On y évoquait la manière cruelle dont les Russes se sont comportés à Berlin à la fin de la guerre, et qui n’est pas sans rappeler les exactions commises par les armées de Poutine en Ukraine…»
«Les chaises musicales» avec la chanson «Les gens qui doutent» d’Anne Sylvestre
Enchaînant aussi les films, exceptionnelle de densité, Isabelle Carré s’est retrouvée comédienne principale du long métrage de Marie Belhomme : «Les chaises musicales» dont la musique originale était signée Alexis HK. Au milieu du film une scène inoubliable. Interprétant une professeure de chant elle voyait des élèves-stagiaires lui chanter «Les gens qui doutent» d’Anne Sylvestre. A la guitare se détachait du lot Jean-Baptiste Le Vaillant acteur et musicien virtuose que l’on a applaudi depuis dans le «Tartuffe» de Macha Makeïeff donné à la Criée. Anne Sylvestre que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ouvrage d’Annick Cojean pour ce qui est l’un des plus beaux entretiens. Anne Sylvestre qu’Isabelle Carré admire tant.
«Biographie, un jeu»
L’actualité de Isabelle Carré c’est à l’Odéon de Marseille la pièce de Max Frisch : «Biographie: un jeu» dont on a pu voir il y a quelques années la représentation assez similaire intitulée «Biographie sans Antoinette» avec un Thierry Lhermitte au sommet de son art.
Le metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia qui en parle avec émotion présente ainsi «Biographie:un jeu» : «Qui n’a pas rêvé un jour de pouvoir revenir en arrière et rejouer son existence ? Max Frisch prend au mot la grande rêverie du « si c’était à refaire », vieux songe sans doute aussi ancien que la mélancolie. Revivre sa vie, rejouer sa partie, imaginer d’autres passés pour espérer d’autres avenirs… Parce que tout cela n’avait rien d’inéluctable, parce que tout aurait aussi bien pu se passer autrement, avec un peu de chance, un autre hasard, ou plus de fantaisie. Kürmann, le personnage principal, refuse de rester rivé à son existence. Comme nous, irréconciliable avec lui-même, « Biographie : un jeu » est une course dans sa vie, fuyant et poursuivant tout à la fois, les vies qu’il aurait pu avoir. La pièce nous invite à un jeu théâtral -parce que le théâtre n’est lui-même que cette faille du réel qui l’ouvre à l’espace du possible, espace ludique et tragique. Exploration à ciel ouvert des possibles d’une vie»
«Ce livre de Max Frisch a été très éclairant pour moi», a déclaré Isabelle Carré au micro tendu par Annick Cojean. Et de se retrouver embarquée dans l’aventure après le désistement pour la tournée de Golshifteh Farahanie. Et forte de cette pensée de René Char : «Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront.» dont elle a fait sa devise la comédienne nous en a parlé avec enthousiasme. Entretien.
Destimed: Comment définiriez-vous cette pièce ?
Isabelle Carré : Cette pièce je l’avais vue il y a vingt ans, et c’est devenu ma pièce de chevet. J’étais en train de terminer les épreuves de mon roman «Le jeu des si» quand Frédéric m’appelle pour me proposer son «jeu» à lui. J’ai trouvé cette idée formidable que de me séparer de mon roman en douceur. Aussi quand il m’a proposé de rejoindre l’équipe j’ai dit oui tout de suite. La pièce répond à mes obsessions sur mes choix. Comment ne pas se tromper ? Quelle est ma marche de manœuvre ? C’est une pièce sur les décisions que nous prenons et qui nous ressemblent tellement.
Comment avez-vous travaillé avec Frédéric Bélier-Garcia ?
Frédéric est très malin dans sa mise en scène. Il nous emmène où il veut. Avec une scénographie très fluide. Des décors qui bougent comme dans des boîtes à musique. C’est d’une grande beauté. Au Rond-Point où on a joué la pièce les gens étaient très émus. Frédéric a su mettre en valeur la question de savoir ce que les gens ont dans la tête. Jamais sa mise en scène n’est au marqueur. Il fait de cette histoire d’amour un moment rare de théâtre. Sa direction d’acteurs est juste, et rend bien compte du texte qui entre mélancolie et drôlerie, entre rires et larmes possède une fluidité et une constance presque tchékhovienne.
Vous jouez avec José Garcia. Comment s’est passée cette rencontre théâtrale?
Divinement. On avait débuté ensemble chez Coline Serreau dans «Romuald et Juliette». On s’est retrouvés dans «La mort du Chinois » le film de Jean-Louis Benoît. C’est un bonheur de travailler avec lui. Cela faisait trente ans que José n’était pas monté sur scène. Il a cette énergie qu’on lui connaît. Il est toujours d’humeur égale. Avec beaucoup d’égards pour les autres. Pour preuve cette anecdote. On nous avait lors d’une production logé au Carlton. On avait proposé à José de lui offrir un garage pour sa voiture. Il a dit non. Je paierai mon garage puisque les autres ne l’ont pas gratuit. C’est une personne humaine exceptionnelle. Et un acteur prodigieux.
En parallèle il y a ce roman «Le jeu des si» à paraître chez Grasset, le 18 mai. Comment est né cette fiction ?
Je voulais écrire une histoire d’amour, et l’idée m’est venue après avoir vu le film «L’avion» de Cédric Kahn. J’étais en Allemagne. J’oubliais toujours de commander mon taxi et je me suis imaginé ce qui se passerait si j’allais vers un panneau tenu par un chauffeur où il y avait inscrit un autre nom que le mien. Et que je me ferais passer alors pour cette personne. Sur la couverture de Grasset il y a une image de moi tenant un appareil photo se reflétant dans un miroir. J’ai beaucoup pensé pour cela à Vivian Maier, la nounou photographe décédée en avril 2009 à Chicago. Ces trois photos correspondent aux trois moments du livre.
Vous citez Jane Austen. Que représente cette autrice ?
La finesse avec laquelle elle peint les personnages me bouleverse. Elle ne réduit jamais les personnages à des traits de caractère. Je relis son travail au livre de Colum McCann «Apeirogon» qui parle du conflit israélo-palestinien par l’intermédiaire de la rencontre de deux pères ayant perdu un enfant et qui deviennent amis. Ces livres m’ont nourrie. Avec pour ce roman comme dans mes choix artistiques ou privés l’idée que «la fiction envahit ma vie et ma vie envahit la fiction.
Propos recueillis Jean-Rémi BARLAND
«Biographie : un jeu» au Théâtre de l’Odéon du mardi 3 au samedi 7 mai à 20 heures Sauf le mercredi 4 mai à 19heures Durée 1h50 – Avec José Garcia, Isabelle Carré, Jérôme Kircher, Ana Blagojevic, Ferdinand Régent-Chappey.
-Texte Max Frisch -Traduction Bernard Lortholary -Mise en scène Frédéric Bélier-Garcia -Scénographie Alban Ho Van -Décors Alban Ho Van -Lumière Dominique Bruguière -Costumes Marie La Rocca – Collaboration Artistique Caroline Gonce – Piano Simon Froget-Legendre
Rencontre et dédicace avec la comédienne et écrivaine Isabelle Carré ce samedi 7 mai à 16 heures à 18 heures à la librairie Maupetit
Isabelle Carré participera à une rencontre et dédicace autour de son premier texte en direction de la jeunesse, «La Mer dans son jardin» (Grasset) paru le 6 avril 2022, un texte poétique, coup de cœur de la librairie jeunesse, illustré par Kasya Denisevich.
Ce sera l’occasion aussi de revenir sur sa carrière littéraire («Les rêveurs», Grasset, 2018 ; «Du côté des Indiens», Grasset, 2020) et de parler de son prochain roman, «Le Jeu des si» (Grasset, 2022), à paraître le 18 mai. La rencontre aura lieu dans la Galerie d’exposition au 1er étage de la librairie. Les enfants sont les bienvenus !
Sur inscription au 04.91.36.50.56