Publié le 17 juillet 2022 à 0h03 - Dernière mise à jour le 11 juin 2023 à 19h12
Tout d’abord la guerre en Ukraine décrite ainsi : «Trente villes en ce moment sont en proie au pillage et à l’extermination, Kiev, l’une d’elles, a cent mille habitants. Un crime immense se commet, ou pour mieux dire, une action se fait, car ces populations exterminantes n’ont même plus la conscience du crime. Elles ne sont plus à cette hauteur. Elles ont l’épouvantable innocence des tigres. Soldats russes, redevenez des hommes. Pendant qu’il en est temps encore, écoutez : si vous continuez cette guerre sauvage ; si, vous, officiers ; si, vous, soldats, violemment arrachés à vos mères, à vos fiancées, à vos familles, maltraités, mal nourris, condamnés pour un temps indéfini au service militaire, plus dur en Russie que le bagne ailleurs ; si, vous qui êtes des victimes, vous prenez parti contre les victimes ; si, dans ce conflit décisif, vous méconnaissez votre devoir, votre devoir unique, la fraternité ; si, au lieu de vous retourner et de faire face au boucher des nations, vous accablez lâchement, sous la supériorité des armes et du nombre, ces héroïques populations désespérées, réclamant le premier des droits, le droit à la patrie ; si vous faites cela, sachez-le, hommes de l’armée russe, vous soulèverez l’exécration du monde civilisé ! Les crimes de la force sont et restent des crimes ; l’horreur publique est une pénalité. Et que le gouvernement russe y prenne garde… Il a tout à craindre du premier venu, d’un passant, d’une voix quelconque. En présence de ce gouvernement élevé par le crime, le citoyen digne de ce nom n’a qu’une chose à faire, charger son fusil et attendre l’heure.» Peut-être pensez-vous que ces mots qui frappent sont ceux d’un journaliste, écrivain ou politologue d’aujourd’hui… Vous auriez tort.. Ils sont signés… Victor Hugo et datent de 1852, 1853 et 1882. Étonnant esprit visionnaire que le sien, lui qui se battit pour la grandeur d’une Europe de paix, et contre le bruit des armes. Passionné depuis l’enfance par Victor Hugo le comédien Yves-Pol Deniélou a consacré aux textes du grand homme un spectacle intitulé «Hugo l’interview» mis en scène par Charlotte Herbeau. C’est lui qui a trouvé ces passages de Hugo qui sonnent tellement vrais aujourd’hui, et qui montrent que la souffrance des Ukrainiens face aux Russes ne date pas de cet hiver.
Il incarnait Hugo plus qu’il ne le jouait
On se souvient de son spectacle. Il entre en scène et c’est un choc. D’une voix profonde il s’empare de l’œuvre, nous la rend familière et ce spectacle vu dans le Off d’Avignon fut un choc. Crise sanitaire oblige, tout s’est arrêté et si le projet fut repris au Lucernaire exit Avignon. Aussi est-on heureux de revoir, dans le Off, le comédien qui en 2019 créa au Studio Raspail son seul en scène «Cyrano de Bergerac» (version intégrale de trois heures) où il incarnait tous les personnages dans le texte original, mis en scène par Charlotte Herbeau.
Cette année 2022 le voilà dans la pièce «Danton les derniers jours du lion» de son ami Étienne Ménard. Il y est Robespierre, pour un moment de théâtre intense qui fait suite à une succession de réussites dont son rôle de Louis XIV dans «le Lever du soleil» en 2013, puis sa participation avec The Big Cat Company aux Festivals Off d’Avignon 2014 et 2015 avec la pièce «Le Paquebot Tenacity». En 2015, il joua dans «Ce qu’il en restera», une pièce qu’il a écrite avec Catherine Bocognano, il a aussi incarné George Duhamel dans «les Fables de mon Jardin» et Lawrence d’Arabie dans une pièce inspirée des 7 piliers de la Sagesse. En 2016, il participe à la création de la pièce «Un jour que j’étais seul» de Marjolaine Humbert. Infatigable, Yves-Pol Deniélou que nous avons rencontré plus «géantdantonesque» que jamais. Entretien.
Quel est votre parcours ?
J’ai commencé le théâtre à douze ans, un professeur d’anglais au collège passionné de théâtre, Jean-Pierre Guille, nous traduisait tous les ans une nouvelle pièce de Shakespeare. j’ai fait mon premier Avignon avec Hamlet et Othello en 1994, mon enfance et mon adolescence ont été rythmées par les pièces de Shakespeare, Hamlet et Othello en 5e, Macbeth en 4e, le Roi Lear en 3e, Richard III en 2nde, Roméo et Juliette en 1ère, le Marchand de Venise en terminale, puis encore la Nuit des Rois, le Songe d’une Nuit d’été et la Tempête, et en parallèle je faisais des études de mathématiques, à Lyon puis à l’ENS de Cachan. J’ai ensuite fait une thèse de bio-informatique et c’est seulement mon doctorat en poche que j’ai fait le grand saut. Je suis parti à Paris pour faire le cours Jean-Laurent Cochet et devenir comédien. C’est avec des amis du cours que je joue dans «Le paquebot Tenacity» en 2014 et 2015 au festival OFf d’Avignon, puis en 2016, je crée au festival mon seul-en-scène «Hugo l’interview», que je rejouerai ensuite en 2017 et 2019. En 2019, je crée à Paris mon Cyrano de Bergerac, mis en scène toujours par Charlotte Herbeau. Seul en scène je joue le texte en intégralité, plus de cinquante personnages, pendant trois heures.
Quelles sont vos deux compagnies?
Je suis à cheval sur mes deux compagnies. La première «Merci la Prod Compagnie » qui avec Charlotte Herbeau a donné «Hugo l’interview», «Cyrano de Bergerac», et prochainement «Calamity Jane» dont le spectacle est en en cours d’écriture avec Charlotte Herbeau justement. La deuxième c’est «The Big Cat Company » où avec des amis de cours de théâtre à savoir Étienne Ménard, Pierre Boucard, Barbara Castin, Samuel Giuranna, Jean-Baptiste Germain, Maxime Windisch, je me suis lancé dans l’aventure de «Danton, les derniers jours du lion», « La Beauté sauvera le monde», «Les nuits de la colère», «Le paquebot Tenacity». J’aime travailler avec ceux dont je suis proche.
Présentez-nous «Danton… » la production de cette année, et votre rôle de Robespierre
Cette année nous revenons dans le off d’Avignon avec une bonne partie de l’équipe du «paquebot Tenacity» pour jouer «Danton, les derniers jours du lion» une pièce écrite par un ami – Étienne Ménard – qui est passionné par cette période, et qui a imaginé ce que ces hommes – Danton, Desmoulins, Robespierre – qui se connaissaient très bien, pouvaient bien se dire dans l’intimité, entre les grands discours prononcés à la tribune.
Il réussit, en redonnant leur place aux femmes, Louise Danton et Lucille Desmoulins, à nous faire revivre la révolution de l’intérieur, de l’enthousiasme sans limite du début à la violence terrible de la fin. Dans cette pièce à six personnages je suis Robespierre. Pour jouer ce personnage clivant je me suis coupé ma barbe « hugolienne» et j’essaye de lui rendre justice quant à sa passion pour la Révolution. Ce que montre bien le texte d’Étienne Ménard c’est la relation amicale voire fraternelle de Robespierre avec Camille Desmoulins, qui se tend ensuite. Pour Robespierre qui s’oppose à la clémence voulue par Desmoulins, la clémence doit venir après. Une fois qu’on aura réglé les problèmes d’une France se trouvant assiégée et selon lui en danger mortel. Robespierre est peut-être le personnage qui donne le plus lieu à la polémique quant à tous les acteurs de la Révolution française. J’aime incarner cet être complexe dans cette production de haute tenue, de grande qualité et très populaire au sens noble du terme. Avec en ligne de mire ce public que nous voulons nombreux et à qui nous donnons tous les soirs le meilleur de nous-mêmes.
Propos recueillis par jean-Rémi BARLAND
«Danton, les derniers jours d’un lion» d’Étienne Ménard. Essaïon Avignon – 33, rue de la Carreterie – jusqu’au 30 juillet à 20 heures. Relâche le lundi. Réservations au 04 90 25 63 48. ou sur essaion-avignon