Publié le 22 août 2022 à 8h28 - Dernière mise à jour le 11 juin 2023 à 18h56
Bien avant le Goncourt, le prix Méduse ouvre la rentrée littéraire. Il met en lumière une découverte, destinée à marquer la saison d’automne. Remis pour la première fois le 27 Août 2022 à Saint-Tropez par l’association Les Amis de la littérature de Saint-Tropez, il récompense un roman, ou un récit de langue française. Il est doté de 5 000 € et d’une résidence d’écriture. Présidé par David Freche, le jury se compose de Anne Berest, Raphaël Haroche, Lilia Hassaine, Marc Lambron, Simon Liberati, Thibault de Montaigu, (Secrétaire général) Maria Pourchet, Vanessa Schneider, Bruno de Stabenrath, et Gaël Tchakaloff.
Un roman terrible sur les rapports père-fille, construit autour de cette phrase d’Einstein qui était aussi sa «morale guerrière» : «L’imaginaton est plus importante que le savoir». Lui c’est Gérard Meynier. Son nom qui signifie «robuste guerrier» définit parfaitement son caractère combatif. Fort, et fantaisiste, ce baby-boomer aux allures d’ogre, policier souvent en mission pour les services secrets, sut pendant des années maîtriser l’art des «fake news» (et ce avant l’arrivée d’Internet), et demeurait incollable sur l’ensemble des questions relatives à l’Orient ancien et à la Constitution israélienne. C’est, elle, Lou sa fille, née en 1992 d’une femme Annie Mercier avec qui il resta pendant plus de quinze ans, qui raconte leurs destins croisés.
Plus ou moins taiseux, Gérard s’entretient régulièrement avec Lou de l’état du monde, mais n’évoque pas le passé, préférant parler «de la chasse aux champignons, des loups solitaires, des nœuds coulants et en queue de cochon, de l’influence des signes astrologiques sur le caractère, de la collection des petits soldats de plomb, des stratégies pour coincer les dieux dans les océans, de l’allure des bateaux, de l’amour, de l’avenir, de l’importance de savoir garder des secrets.» Un notamment qu’il finira par dévoiler, concernant un terrible accident survenu près des calanques de Marseille, en août 1989, un naufrage qui changera à jamais le cours de sa vie. Par touches impressionnistes Lou brosse le portrait d’un homme pour qui avant elle «c’étaient les morts», et qui en proie à d’incompréhensible et soudains accès de violence, n’a jamais été à la hauteur de son propre appétit d’ogre. Un homme qui «biberonné au fantasme du conquérant» n’était au fond qu’humain, honteux parfois d’être pris par son entourage «en flagrant délit de médiocrité» d’être surpris «tel qu’il était et non tel qu’il se rêvait».
Tonnerre de Brest !
Comment devenir un adulte en paix avec lui-même quand on fut comme Gérard un enfant battu au martinet par sa mère et témoin de l’alcoolisme de son père ? De cette expérience traumatisante il apprit à passer ses douleurs sous silence et dès que possible il avait migré, lui l’enfant du sud vers l’ouest du pays, s’étant enrôlé à Brest dans la Marine Nationale avant ses seize ans. Signalons au passage que c’est autour de Brest également que se déroule l’action du roman de Pierre Adrian «Que reviennent ceux qui sont loin», chef-d’oeuvre absolu de cette rentrée littéraire qui fut finaliste face à Blandine Rinkel, du Prix Méduse. Tonnerre de Brest en somme comme l’aurait chanté Miossec, qui irrigue la narration des deux livres, et qui éclaire «Vers la violence» d’un regard plus que fondateur.
Une arme dans la table de nuit
Une éducation inculquée à sa fille tenant moins à savoir comment vivre en société, qu’à apprendre comment survivre en forêt, ou près des océans, sur une zone de guerre, ou à l’intérieur d’une ville calme, se déplacer en milieu hostile, Gérard demeure une énigme aux yeux de Lou. Tout ce que nous savons de lui, nous le découvrons par le seul regard de cette fille intrépide elle aussi qui ayant appris à décrypter les plantes-boussoles (des laitues qui dirigent leurs feuilles selon l’axe nord-sud et permettent en l’absence d’outils d’orientation de se repérer en forêt), tiendra un carnet des marées, un abécédaire des oiseaux et des plantes sauvages.
Homme corpulent, grand raconteur d’histoires, partenaire de jeu idéal, Gérard inculque au final la violence à sa fille qui découvrira stupéfaite qu’il cache pour des raisons inconnues une arme dans sa table de nuit. Cette violence c’est à la fois un repoussoir et une force dont Lou va se servir en vivant avec ce père qui se rêve pionnier au sens américain du terme mais qui se sent coincé dans la France moyenne des années 1950. «Il se fantasme comme dans un western et à tendance à romantiser la violence, la brutalité», précise Blandine Rinkel qui offre avec Lou un personnage tordant le cou aux déterminismes successifs qui la taraudent.
Danse et émancipation
Avec une plume très incisive l’auteure de ce beau roman terrible et solaire, récit en forme de quête initiatique vers l’allégement de soi, propose avec Lou narratrice et interrogatrice du réel un personnage de femme digne, droite attachante et libre. Le fait que la romancière en ait fait une danseuse n’est pas anodin, et révèle de sa volonté de montrer ici combien le corps est un instrument de l’esprit. L’effort, la technicité que demande la pratique de la danse sont ici des moteurs narratifs pour sortir du cadre d’une description convenue de la féminité. Un livre où apparaissent en filigrane la pensée de René Girard sur la violence des sociétés, les récits de Jack London, la nature sauvage de Jean Giono, et tous les contes fous visant à tordre les idées reçues en matière de rapports familiaux et sociaux. Une réussite et pour le lecteur un choc émotionnel.
Jean-Rémi BARLAND
«Vers la violence» de Blandine Rinkel paru aux Éditions Fayard, 368 pages, 20 €
-Prix Méduse 2022 qui sera remis à l’hôtel Sube de Saint-Tropez ce 27 août à 18h30 à Saint-Tropez