Tribune de Mathilde Chaboche: ‘Marseille brĂ»le, mais nous ne regardons pas ailleurs !’

Publié le 30 août 2022 à  18h04 - DerniÚre mise à  jour le 8 décembre 2022 à  16h08

Les épisodes orageux récents vécus à Marseille le confirment une nouvelle fois si cela était nécessaire : la violence du changement climatique est palpable, concrÚte et Marseille y est singuliÚrement exposée.

Mathilde Chaboche (Photo Joël Barcy)
Mathilde Chaboche (Photo Joël Barcy)

Ville Ă©tendue (2,5 fois la taille de Paris), sous Ă©quipĂ©e (2 lignes de mĂ©tro auxquelles se superposent 3 lignes de tram sur les mĂȘmes tracĂ©s, un seul rĂ©seau d’assainissement drainant les eaux pluviales et les eaux sales qui dĂ©borde Ă  chaque Ă©pisode de pluies importantes), bĂ©tonnĂ©e Ă  outrance
 Marseille est une vĂ©ritable ville tĂ©moin de la catastrophe climatique Ă  venir et dont les prĂ©misses se ressentent dĂ©jĂ . Avec prĂšs d’un million d’habitants, elle est exposĂ©e Ă  un large panel de risques naturels : feux de forĂȘts, inondations, submersion marine et recul du trait de cĂŽte, mais aussi pics rĂ©pĂ©tĂ©s de pollution de l’air en raison de l’indigence de nos transports en commun et du recours massif Ă  la voiture individuelle. Le changement climatique s’y expĂ©rimente durement, partout et en particulier dans les quartiers les plus pauvres.

Dans la deuxiĂšme ville de France, les tempĂ©ratures sont rĂ©guliĂšrement insupportables, l’air irrespirable et les rares pluies emportent et dĂ©vastent tout sur leur passage. Il fait aujourd’hui jusqu’à 60 degrĂ©s au sol Ă  Noailles en pĂ©riode de canicule et, si nous ne changeons rien, cette tempĂ©rature sera de 90 degrĂ©s en 2050. Autant dire que la survie humaine ne sera plus assurĂ©e dans la deuxiĂšme ville de France.

C’est de santĂ© publique dont il est question ici et je crois qu’il est temps d’ĂȘtre sĂ©rieux et de prendre ce sujet avec la gravitĂ© nĂ©cessaire. Face Ă  ceux qui veulent construire toujours plus et nous accusent de ne pas produire assez de logements, il est temps de rĂ©pondre que notre mission est de garantir un avenir possible dans cette ville. A quoi rimeraient des milliers de nouveaux logements qui nous Ă©touffent encore plus pour soit-disant loger des Marseillaises et des Marseillais que nous mettrions en rĂ©alitĂ© dans des conditions de vie et de santĂ© proprement intenables ?

Pour garantir la bonne santĂ© des rĂ©sidents des villes, l’Organisation Mondiale de la SantĂ© prescrit 12 mĂštres carrĂ© d’espaces verts par habitant. Marseille en compte 4,6 ! A peine plus d’un tiers du seuil minimal pour garantir des conditions de santĂ© correctes. Pire, si l’on zoome, on se rend compte que les inĂ©galitĂ©s sociales se conjuguent au risque environnemental puisque ce ratio est de 5 mĂštres carrĂ© par habitant dans les quartiers Sud, plus favorisĂ©s, quand il est seulement de 2,5 mĂštres carrĂ© par habitant dans les quartiers Nord, plus populaires et enclavĂ©s. Dans ces quartiers c’est la double peine puisque les conditions de logements y sont moins favorables -les familles plus nombreuses y habitent dans des espaces plus petits- et le taux d’équipements publics bien plus faibles. Autre triste singularitĂ© : le centre-ville de Marseille qui ne compte que 1,8 mĂštres carrĂ© d’espace vert par habitant et constitue un vĂ©ritable Ăźlot de chaleur Ă  lui tout seul, au cƓur d’une ville cocotte-minute.

Bref, vivre Ă  Marseille ne doit pas porter atteinte Ă  notre santĂ© ni Ă  notre espĂ©rance de vie. Si nous ne voulons pas devenir un mouroir Ă  ciel ouvert, il est temps de prendre en responsabilitĂ© des dĂ©cisions courageuses pour notre ville. Il n’est plus possible de rester dans des approches en silo en traitant d’un cĂŽtĂ© la question du logement, de l’autre celle de l’environnement et encore ailleurs celle des transports ou de la rĂ©novation urbaine. Ces approches cloisonnĂ©es sont totalement dĂ©passĂ©es et ne sont pas Ă  la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontĂ©s. L’enjeu c’est quoi ? D’ĂȘtre capable de poser les conditions de notre survie collective dans la deuxiĂšme ville de France. De poser trĂšs sĂ©rieusement les critĂšres Ă  la poursuite du dĂ©veloppement de notre ville :

-Un rattrapage massif en superficie d’espaces verts pour atteindre progressivement le ratio fixĂ© par l’OMS et ne plus aggraver la situation -dĂ©jĂ  critique- par une poursuite de la bĂ©tonisation, donc trĂšs concrĂštement prĂ©server les zones naturelles et les espaces agricoles, planter massivement des arbres (nous avons perdu la moitiĂ© de nos arbres en 75 ans, ce qui contribue au caractĂšre irrespirable de notre ville) dans les parcs, les friches, les cours d’écoles que nous sommes en train de dĂ©simpermĂ©abiliser, les espaces dĂ©laissĂ©s et au bord des voiries


-Une exigence de qualitĂ© bioclimatique pour l’intĂ©gralitĂ© de toutes les nouvelles constructions, qu’elles soient publiques ou privĂ©es, afin qu’elles se conforment Ă  notre Charte de la construction durable adoptĂ©e en octobre 2021, en privilĂ©giant la rĂ©habilitation et le travail sur les dents creuses dans des zones dĂ©jĂ  urbanisĂ©es et non plus en pĂ©riphĂ©rie dans des zones Ă©loignĂ©es des transports et des Ă©quipements ;

-Un impĂ©ratif de dĂ©veloppement des transports en commun pour avoir enfin un maillage Ă  la hauteur de notre ville et Ă  mĂȘme de permettre la poursuite soutenable de notre trajectoire de dĂ©veloppement urbain.

Notre seule option c’est un changement de paradigme complet : nous ne pouvons plus nous contenter de suivre les objectifs quantitatifs fixĂ©s de façon sectorielle, Ă  l’opportunitĂ© et parfois «au doigt mouillé», dans le PLH ou le SCOT, en essayant de voir comment adapter l’environnement Ă  ces chiffres qui ne sont gravĂ©s dans le marbre que par la volontĂ© de certains (notamment l’État) de s’y raccrocher. Il est temps d’inverser la logique : poser les conditions environnementales de notre survie collective et planifier, dans ce cadre-lĂ , les actions concrĂštes et notre stratĂ©gie de construction.

Ville tĂ©moin de la catastrophe climatique en cours, Marseille doit devenir le laboratoire du nouvel urbanisme forcĂ©ment bioclimatique, articulĂ© autour de trois objectifs : ne plus aggraver la situation, adapter la ville au changement climatique et anticiper sur les Ă©volutions Ă  venir. Cela pose nĂ©cessairement la question, qui va bien au-delĂ  des enjeux marseillais, du devenir des grandes villes : aprĂšs des dĂ©cennies d’urbanisation galopante dont nous rĂ©alisons les rĂ©sultats dramatiques, il est temps de s’interroger sur le bien-fondĂ© de cette stratĂ©gie. À Marseille comme ailleurs, il faut se poser la question du destin des grandes villes, en admettant qu’un seuil critique peut ĂȘtre atteint en termes de croissance.

Face Ă  la gravitĂ© de cette situation, j’appelle le gouvernement actuel Ă  un vĂ©ritable sursaut : l’État clairement n’est pas Ă  la hauteur. Entre des dĂ©clarations d’intention qui tiennent de la posture plutĂŽt que de rĂ©els engagements, de maigres formalisations lĂ©gislatives (comme l’objectif de zĂ©ro artificialisation nette des sols fixĂ©e dans la Loi Climat RĂ©silience aussitĂŽt affaibli par les dĂ©clarations de membres de la majoritĂ© gouvernementale) et la posture des reprĂ©sentants locaux de l’État dans les territoires, on ne sait plus oĂč donner de la tĂȘte.

A Marseille, la cacophonie des injonctions contradictoires de l’État tient de la prouesse : le mĂȘme État qui nous impose des plans de prĂ©vention des risques (liĂ©s aux feux de forĂȘt et aux inondations) limitant drastiquement les possibilitĂ©s de construction, nous tance de construire toujours plus notamment pour compenser le manque de volontĂ© de construire des petites ou moyennes communes qui composent le reste de la MĂ©tropole, tout en nous alertant sur le recul du trait de cĂŽte liĂ© au risque de submersion marine sur les 57 kilomĂštres de littoral de notre ville qui imposera de dĂ©truire un certain nombre de constructions et de limiter la taille de notre population pour Ă©viter des concentrations dĂ©mographiques qui accroissent la vulnĂ©rabilitĂ© d’un territoire
 Bref dans ce tissu de contradictions, il est impĂ©ratif de faire du sujet climatique un enjeu transversal qui irrigue l’intĂ©gralitĂ© des politiques d’amĂ©nagement.

C’est ce que nous ferons avec le Maire de la Ville de Marseille, BenoĂźt Payan, dĂšs la rentrĂ©e de septembre 2022 pour tenir compte des Ă©pisodes climatiques rĂ©cents et s’en nourrir pour Ă©laborer un vĂ©ritable projet urbain prospectif pour notre ville : Marseille 2050.

C’est ce que nous demandons au gouvernement avec la mise en place d’un vĂ©ritable ministĂšre de l’amĂ©nagement et du climat, ces deux sujets ne pouvant plus ĂȘtre disjoints pour enfin rĂ©aliser ce changement de paradigme Ă  la bonne Ă©chelle.

Marseille brûle, mais nous ne regardons pas ailleurs !

Mathilde Chaboche est adjointe au maire de Marseille, en charge de l’urbanisme et du dĂ©veloppement harmonieux de la ville.

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