Publié le 20 juin 2013 à 22h20 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h38
Les deux principaux actionnaires de la SNCM, l’Etat et Véolia se sont mis d’accord ce jeudi 20 juin, lors du conseil de surveillance, sur un « plan de sauvetage » qui doit permettre de « maintenir à flot » la compagnie maritime. Mais le prix social est plus que lourd : 600 postes supprimés. Et avec les temps partiels, ce sont 800 personnes, soit 40% des effectifs de la SNCM, qui seront touchés. Le ministère des Transports assure qu’il n’y aura pas de licenciements secs.
Malheureusement Roland Blum (UMP), le premier adjoint au maire de Marseille avait vu juste. Ce lundi 17 juin, lors de la séance plénière du conseil municipal de Marseille, il avait indiqué, suite à une interpellation de Nathalie Pigamo (PS) qu’on pourrait annoncer cette semaine la suppression de 800 emplois à la SNCM. Or, le couperet est tombé ce jeudi 20 juin à l’issue du conseil de surveillance de la compagnie, qui a débuté à 14h30 pour s’achever en début de soirée. Le plan de sauvetage sur lequel se sont mis d’accord les deux actionnaires principaux de la SNCM, l’Etat (25%) et Véolia (66%), prévoit ainsi la suppression de 600 postes à temps plein via des départs anticipés, des non-renouvellements de CDD, d’une réduction des emplois saisonniers et des départs volontaires, mais « pas de licenciements secs », assure le ministère des Transports. Mais en raison des temps partiels, ce sont bien environ 800 personnes qui vont être affectées par ce plan de sauvetage : exactement le chiffre avancé lundi par Roland Blum. Ce qui correspond à 40% des effectifs, la SNCM comptant 2 000 employés pour 1 400 emplois à temps plein.
Dès l’an prochain, 415 postes seront supprimés avec 160 départs volontaires prévus parmi le personnel à quai et 34 parmi le personnel navigant, plus 221 CDD qui ne seront pas renouvelés au sein du personnel naviguant, selon la SNCM et le ministère des Transports. Il y aura 100 autres départs volontaires entre 2017 et 2019, ce qui porterait le total à 515 alors que c’est bien le chiffre de 600 suppressions de postes qui a été évoqué.
Ce plan, qui de source ministérielle « permet de sauvegarder » la compagnie, intervient alors que des menaces persistantes assombrissent l’avenir de la SNCM. Tout d’abord, l’ancienne compagnie nationale, déjà restructurée en 2005, puis privatisée dans la foulée en 2006, est toujours structurellement déficitaire. Des pertes d’exploitation qui se sont élevées à 14 M€ l’année dernière.
Une DSP, toujours pas renouvelée, qui pèse deux tiers du chiffre d’affaires
A cette ardoise se sont rajoutés 220 M€ : c’est la somme que la Commission européenne, sur saisie du grand rival Corsica Ferries a condamné la France à récupérer. Une enveloppe qui correspond à des aides que Bruxelles juge incompatibles avec la concurrence (*). Si la France a annoncé qu’elle ferait appel, la SNCM n’est pas à l’abri d’une confirmation de cette condamnation qui la laisserait exsangue.
Par ailleurs, la Délégation de service public (DSP) entre la Corse et le continent pour les dix prochaines années (2014-2023), dont dépend deux tiers du chiffre d’affaires de la compagnie maritime, tarde à être renouvelée. L’Assemblée de Corse a en effet rejeté début juin à l’unanimité l’offre de la SNCM. Rappelons que si l’ancienne compagnie publique, et son allié la CMN, ont remporté les appels d’offres pour les périodes 2002-2006 puis 2007-2013, c’est Corsica Ferries, compagnie privée s’appuyant sur un modèle économique low-cost, qui capte aujourd’hui 58% du marché vers la Corse contre 34% à la SNCM et 8% à la CMN.
Et quand bien même l’ancienne compagnie nationale parvenait à remporter cet appel d’offres, elle ne serait pas pour autant tirée d’affaire tant la voilure a été réduite au niveau de l’enveloppe consacrée à la DSP. Elle est passée de 130 M€ par an actuellement à 104 M€ annuellement sur les dix prochaines années, avec la suppression de liaisons au départ de Toulon et de Nice.
Sans oublier que la répartition du capital de la SNCM, aujourd’hui détenu à 66% par Transdev, la coentreprise de transport de la Caisse des dépôts et consignation (CDC) – émanation de l’Etat – et de Véolia Environnement, à 25% par l’Etat en direct et à 9% par le personnel (**), doit évoluer très prochainement. Dans le cadre d’un accord financier qui doit finalisé cet été, Véolia doit reprendre seul la totalité de la part de Transdev.
Quid du projet industriel ambitieux présenté en octobre 2011 par Marc Dufour ?
Le plan de sauvetage conclut ce jeudi 20 juin prévoit le renouvellement de la flotte de ferries afin de lui permettre de répondre à la DSP sur la Corse, dont l’appel d’offres aura lieu en septembre. Mais on est loin du plan ambitieux présenté par le président du directoire, Marc Dufour, à son arrivée à la tête de la compagnie en octobre 2011 qui prévoyait l’acquisition de huit bateaux mixtes (fret et passagers), pour un coût de 800 M€, afin de revenir à des modes de transports plus combinés pour augmenter la productivité et réduire les coûts. Ce jeudi, après de longues négociations, Véolia et l’État ne se sont entendus que sur le renouvellement de quatre navires, deux à court terme et deux autres à moyen terme. De source ministérielle, on précise que « quatre navires, c’est le volume qui permet la DSP » pour la desserte de la Corse : on le voit, il s’agit de tout, sauf d’un plan ambitieux pour l’avenir de la compagnie maritime.
Les regards se tournent désormais vers l’Etat. Dans une lettre datée de jeudi, Jean-Claude Gaudin (UMP), sénateur-maire de Marseille, Michel Vauzelle (PS), président de la Région, et Jean-Noël Guérini (PS), président du Département des Bouches-du-Rhône, en ont appelé à François Hollande. Ils lui ont demandé de prendre l’ensemble des dispositions assurant « le soutien de l’État à une entreprise symbolique qui fait vivre plus de 2 000 familles, afin de garantir emplois, investissements et activité ».
Un préavis de grève unitaire déposé pour le jeudi 27 juin
Constatant « amèrement que 600 postes vont être supprimés », Eugène Caselli (PS), président de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM), « considère ce soir que les actionnaires et même l’État n’ont pas pris la mesure de la crise économique et sociale qui frappe Marseille ». « J’estime qu’il faudra être ferme sur le fait qu’aucun départ contraint ne devra être accepté.
Ayant toujours été mobilisé sur ce dossier, ayant dès le mois de mars adressé un courrier au président François Hollande pour l’alerter de la situation, je serai vigilant à ce qu’un réel investissement dans une flotte moderne soit garanti. Je défendrai également l’existence d’un projet industriel ambitieux et de qualité », avertit Eugène Caselli.
De son côté, Pierre Dhareville, secrétaire départemental du PCF, qualifie l’accord entre l’Etat et Veolia de « plan de sabordage ».
Les syndicats n’ont pour l’heure pas souhaité réagir. Dans une lettre adressée mardi 18 juin au ministre des Transports Frédéric Cuvillier, les représentants CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC et FO s’étaient inquiétés de « l’absence d’intérêt concret du gouvernement pour ce dossier pourtant d’intérêt général et national ». Rappelons qu’un préavis de grève a été déposé pour le jeudi 27 juin, deux jours avant le départ du Tour de France cycliste… qui a lieu cette année sur l’Ile de Beauté.
Serge PAYRAU
(*) Les députés français ont décidé le 12 juin de créer une commission d’enquête sur les conditions de privatisation de la SNCM.
(**) La Caisse des dépôts et consignation étant une émanation de l’Etat, d’aucuns considèrent que ce dernier est à l’heure actuelle l’actionnaire majoritaire de la SNCM à hauteur de 58%.