Publié le 1 avril 2014 à 22h27 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h43
Raphaël Liogier est sociologue et philosophe. Il est professeur des universités à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence et dirige l’Observatoire du religieux. il est également l’auteur de «Ce populisme qui vient» et apporte son analyse sur les municipales à Marseille et la nomination de Manuel Valls au poste de Premier ministre.
Destimed : Raphaël Liogier comment analysez-vous le résultat des municipales à Marseille ?
La victoire de Jean-Claude Gaudin s’inscrit, premièrement, dans un contexte national d’élection à mi-mandat qui est toujours mauvaise pour le pouvoir. Deuxièmement, son âge, qui aurait pu être un problème est devenu une qualité, tout comme le fait qu’il ait fait peu de choses dans son dernier mandat. Il est ainsi devenu le protecteur, le grand-père. Et son attentisme a été mis à son crédit car les gens ont peur de tout ce qui bouge. Les Marseillais ne veulent pas que les choses changent car ils ont peur. D’ailleurs, lorsque l’on analyse ses discours, on constate qu’il n’a quasiment jamais parlé de programme mais d’affect.
Le Maire a joué sur un vocabulaire empathique unanimiste, le FN sur l’empathie de défense et Patrick Mennucci était le seul à avoir un programme technique, concret. Cela n’a pas rassuré et il a été balayé.
Il y a certes des problèmes économiques, du chômage, il y a surtout, au-delà, un sentiment d’insécurité culturelle. Les gens ont le sentiment d’être attaqué dans leurs valeurs, sans d’ailleurs pouvoir très bien dire desquelles il s’agit. Mais l’Autre est l’ennemi et chacun est l’Autre de l’Autre. Les maghrébins des quartiers Nord se sentent menacés par les « européens » du centre-ville qui eux se sentent menacés par les maghrébins. Et chacun joue le rôle d’ennemi de l’Autre. Dans ce contexte ceux qui avaient un programme, en l’espèce « Un nouveau cap pour les Marseillais » sont apparus comme des bobos, multiculturalistes. Alors le gros paradoxe de ces élections réside dans le fait que ceux qui prétendaient voter contre le système ont voté pour lui.
Comment analysez-vous le fait que le Président de la République, dans le discours où il annonçait la nomination de Manuel Valls, ait parlé de communautarisme ?
Dans le populisme il existe les faux peuples qui mettent en danger le vrai. Il peut s’agir des Roms, des homosexuels, des étrangers… cela change selon les circonstances. Mais l’idée est que nous sommes encerclés et même, que les ennemis sont déjà à l’intérieur. Et lorsque l’on parle de communautarisme cela implique l’idée, dans la population, qu’il existe des gens différents de nous dans la société et qu’ils veulent prendre notre place.
Et quel est votre regard sur la nomination de Manuel Vals au poste de Premier ministre ?
Nous avions un Premier ministre technique, nous avons maintenant un Premier ministre populiste. Le Président de la République l’a sans doute nommé pour deux raisons. Premièrement, il va peut-être permettre au gouvernement de remonter la pente. Deuxièmement, il va s’user à la tâche et le Président s’enlève ainsi un concurrent. Mais dans tous les cas cette nomination n’est pas celle d’un homme d’action. Manuel Valls préfère dénoncer, être dans le flou artistique sur son programme. Il est typique du leader populiste : il bouge beaucoup pour donner le sentiment de protéger. Mais qu’a-t-il fait en termes de sécurité ? Nous avons mené une étude à Marseille, il n’a pas donné les outils nécessaires aux policiers afin qu’ils accomplissent leur travail.
Après, peut-être s’agit-il là d’une stratégie du Président qui joue la pathologie collective, en mettant en scène Manuel Valls, et derrière s’offrira-t-il ainsi le temps de mettre en place de vraies réformes.
Propos recueillis par Michel CAIRE