Publié le 15 avril 2014 à 13h33 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h48
Serait-ce déjà la mort ? Entre le dernier vers du dernier lieder, Soleil couchant, de Richard Strauss et le combat de l’homme face à la grande faucheuse illustré par le déchaînement instrumental du final de la 6e symphonie de Gustav Mahler, c’est un concert émotionnellement dense qui ouvrait la deuxième édition du festival de Pâques au GTP d’Aix-en-Provence. Un concert où la mort et le romantisme étaient unis pour composer, en forme de contraction osée, cet adjectif « nécromantique » qui convient si bien à ces œuvres. Et pour être « nécromantique » cette soirée n’en fut pas moins lumineuse.
Nous avions quitté le maestro Daniel Harding, il y a quelques années au festival d’été d’Aix-en-Provence, sans avoir été convaincus par sa direction de La Flûte enchantée de Mozart. Et nous l’avons retrouvé, en ce début de semaine pascale, non sans une légère appréhension, pour Strauss et Mahler. Autant le dire tout de suite, l’appréhension a fait long feu. Dès les premières mesures des Quatre derniers lieder de Richard Strauss, à la tête de la centaine de musiciens de l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise, le jeune chef britannique impose de façon magistrale une tonalité et une ambiance qui ne quitteront plus l’interprétation de cette partition qui, pour nous, compte au rang des plus belles pièces jamais composées par Richard Strauss.
Le tempo, apaisé, fait ressortir les couleurs et les qualités d’une formation musicale de grand talent. L’interprétation est d’une extrême finesse tout en conservant son potentiel émotionnel tout au long de ce cheminement de la vie vers la mort.
Daniel Harding maîtrise à la perfection tous les pupitres et, par cette direction intelligente, donne l’occasion à la soprano Emily Magee de nous faire frissonner. Sans partition, avec une aisance et une souplesse vocale hors du commun, la dame va ciseler les textes avec un legato parfait. Inspirée et puissante, ses quelques dialogues avec le premier violon seront lumineux. Lumineuse, profonde, et de haute spiritualité étant des adjectifs qui peuvent qualifier cette interprétation.
Après l’entracte, c’est pour Mahler et sa 6e symphonie qualifiée de «tragique » que les musiciens et le chef revenaient sur scène. Une heure et demi d’une partition tendue de la première à la dernière note avec des ruptures, des fracas de combat, des plages plus paisibles et, au terme d’un final d’une quarantaine de minutes d’un trait, les horribles coups de marteau qui symbolisent la mort de la fille du compositeur, son éviction de l’opéra de Vienne et sa maladie de cœur incurable. Une débauche instrumentale génialement organisée pour illustrer ce combat perdu d’avance de l’homme contre la mort.
Face à un océan d’instruments, Daniel Harding s’impose en capitaine volontaire et assuré. Pas question, pour lui, de laisser filer une once de musique sans qu’il ne l’ait désiré. Sa lecture de l’œuvre est magistrale, maîtrisée et dense, lui conférant toute sa dimension dramatique. Accroché à son fauteuil, sans aucune possibilité de réaction, l’auditeur reçoit en plein visage son destin par centaines de notes interposées. Épuisante, volumineuse, grandiose, inquiétante : telle est la sixième de Mahler livrée par Harding et les Suédois pour ouvrir le festival de Pâques. Grand moment !
Michel EGEA
Au programme de ce mercredi 16 avril
A 18 heures, au Théâtre du jeu de Paume, la soprano Christiane Karg, accompagnée par Malcom Martineau au piano donne des lieder et des mélodies de Schoek, Wolf, Schönberg, Strauss et Debussy.
A 20 h 30, au GTP, Yannick Nezet-Seguin dirige l’orchestre philharmonique de Rotterdam. En soliste la violoniste Lisa Batiashvili pour le concerto pour violon en ré majeur de Beethoven. La « Pathétique », symphonie n°6 de Tchaïkovski est aussi au programme.