Cérémonies de la journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation à Aix-en-Provence

Publié le 29 avril 2014 à  21h18 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h49

« Être élu démocratiquement ne délivre pas un brevet de démocrate »

(Photo D.R.)
(Photo D.R.)

Abraham, Myriam, Hans, Anna, Susy, Otto…
Des noms d’enfants de son âge, ceux retrouvés de la centaine d’enfants et d’adolescents déportés du Camp des Milles en août et septembre 1942 vers Auschwitz où ils furent assassinés.
Dans le silence et le recueillement, ces prénoms, ces noms, ces âges s’élèvent devant le Wagon du Souvenir, au Camp des Milles. Ils sont lus d’une voix parfois tremblante, parfois douce, par Salomé, 11 ans, lentement…. Pour ne pas les oublier, eux ainsi que leurs parents, soit plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs, partis de ce lieu vers la mort programmée.
Puis « pour se rappeler que, face aux extrémismes et aux fanatismes il est possible d’agir au nom du vivre ensemble et des valeurs de justice, de tolérance et d’humanité », sont lus les noms des Justes ayant œuvré pour les internés du Camp des Milles. Et parmi eux, le Pasteur Henri Manen et son épouse Alice, dont le fils était présent à cette commémoration.
Ces noms illustrent «la grande diversité des actes de courage et de sauvetage qui sauvèrent des vies face aux crimes génocidaires contre les Arméniens, les juifs, les Tsiganes et les Tutsis au Rwanda…puissant encouragement pour notre foi en l’humain dans l’homme», comme cela est présenté sur le «Mur des Actes Justes» du Site-mémorial du Camp des Milles.
Cette lecture des noms des victimes et des Justes fut un moment très émouvant de la cérémonie qui s’est tenue au Wagon du Souvenir des Milles. Environ 200 personnes étaient présentes, élus, représentants diplomatiques, représentants associatifs et communautaires et simples citoyens. Et toutes se sont souvenues de cette histoire tragique au Camp des Milles mais aussi des persécutions contre les résistants, les Tsiganes, les homosexuels, les handicapés, les francs-maçons, les syndicalistes, les démocrates, les opposants…

Organisée à l’invitation du Maire d’Aix-en-Provence et de son Conseil municipal, de la «Fondation du Camp des Milles-Mémoire et Éducation», de l’Association du Wagon-Souvenir et du Site-Mémorial des Milles, de l’Union Nationale des Anciens Combattants, cette commémoration devait rappeler à tous le drame historique exceptionnel que fut la déportation et rendre hommage à ses victimes et ses héros, survivants ou disparus.

«Puissent nos héritiers rappeler aux Hommes la folie exterminatrice d’une idéologie innommable»

Après le dépôt des gerbes, Denise Toros Marter, déportée à 16 ans à Auschwitz, fait la lecture de son « Testament d’Auschwitz » : « Puissent nos héritiers rappeler aux Hommes la folie exterminatrice d’une idéologie innommable contre un peuple qui n’aspirait qu’à la Paix. Puissent-ils faire preuve de vigilance dans les années et siècles à venir, et ne pas en oublier pour autant la tolérance vis-à-vis des autres. Puisse le Mémorial des Milles en Provence pour lequel nous nous sommes investis depuis des années, apporter aux jeunes gens qui le visiteront toute la dimension pédagogique recherchée pour faire barrage à la haine.»

«Les paroles sont des actes qui tiennent leur force de l’autorité sociale de celui qui les prononce»

Jean-Louis Medvedowsky, Président de l’Union des Déportés, Internés, Familles de Disparus et Fusillés de la Résistance aixoise déclare qu’:«à l’heure où sous prétexte de questionnements identitaires ou d’évolution sociétale discutés, certaines inhibitions vis-à-vis de la parole raciste semble reculer, il n’est pas inutile de rappeler comme l’expliquait Pierre Bourdieu, que les paroles sont des actes qui tiennent leur force de l’autorité sociale de celui qui les prononce. C’est souligner la responsabilité de toutes celles et de tous ceux qui, revêtus d’une autorité ou d’une position publique, par leur attitude ou par leur propos, tendent à légitimer une inquiétante résurgence d’un triste passé. C’est dire face à ce wagon qui n’est pas « un détail de l’histoire », que pour être digne de l’héritage que nous ont laissé les victimes des déportations, nous devons affirmer notre détermination à rejeter fermement tout discours, tout comportement xénophobe, raciste, stigmatisant et discriminant ».

«On voit dans toute l’Europe des responsables politiques jouer avec le feu des intolérances et faire le lit de violences futures»

Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles-Mémoire et Éducation avance: « On joue aujourd’hui avec des ambiguïtés sur ces sujets extrêmes où l’ambiguïté est intolérable et dangereuse, comme le sont les compromis mortifères que des républicains sont parfois tentés de passer avec leurs ennemis plus ou moins masqués. Et l’on voit dans toute l’Europe des responsables politiques jouer avec le feu des intolérances et faire le lit de violences futures qui, d’ailleurs les balaieraient eux aussi car la liberté et la fraternité finissent toujours par l’emporter…» Ajoutant : «Il est étonnant de voir à quel point ces apprentis sorciers ont oublié les engrenages qui d’extrémismes en réactions conduisent aux radicalisations et à l’affrontement dont chacun sort perdant et la Nation exsangue.»
Il regrette: «Beaucoup ont surtout oublié qu’être élu démocratiquement ne délivre pas pour autant un brevet de démocrate -pensons à Hitler et à tous les dictateurs élus-, que les élections ne sont pas le seul critère d’une démocratie, loin de là, que celle-ci se caractérise aussi par des valeurs et des principes, et qu’un peuple déboussolé, au sens propre, peut élire légalement des régimes illégitimes…».

« Cette barbarie inutile et grotesque peut se reproduire. Soyons tous très vigilants»

Le maire d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains-Masini, souligne : «des mots reviennent sans cesse : amalgame, engrenage, devoir de mémoire et tous ces mots sont empreints de l’intégralité de cette souffrance qui arrive jusqu’à nous aujourd’hui». Elle insiste sur la nécessité absolue d’être vigilant face aux risques de banalisation. « Des personnes bien intentionnées rentrent dans cette banalisation et dans cet amalgame qui font les grands problèmes de notre temps (…) Que l’on soit capable de tuer ou de déporter des enfants, cela veut dire que l’on est capable de tout. Cette barbarie inutile et grotesque peut se reproduire. Soyons tous très vigilants. Ne baissons pas la garde car ces faits-là, sont prêts à recommencer ».

«Il appartient aux générations suivantes de préserver ces valeurs qui sont celles de la République»

Enfin, Yves Lucchesi, sous-préfet d’Aix-en-Provence, représentant l’État, lit un message rédigé conjointement par les grandes associations nationales de déportés précisant que : « Dans nos sociétés où réapparaissent des actes et propos xénophobes, racistes, antisémites et discriminatoires, les rescapés des camps de la morts rappellent toute l’importance des valeurs de solidarité, de fraternité et de tolérance, qu’ils n’ont eu de cesse de promouvoir et défendre depuis leur retour. Il appartient aux générations suivantes de préserver ces valeurs qui sont celles de la République ».
O.B.

Cette commémoration s’est poursuivie par un autre temps de recueillement au Centre-ville d’Aix où un hommage particulier fut rendu place des Martyrs de la Résistance aux déportés et fusillés de la Résistance aixoise.


Rappel :

Le Camp des Milles est le seul grand camp français d’internement et de déportation encore intact et accessible au public. Il vit passer 10 000 internés de 38 nationalités dont de nombreux artistes et intellectuels comme Max Ernst ou Hans Bellmer, des hommes politiques, des journalistes… Son histoire témoigne des intolérances successives, xénophobe, idéologique et antisémite qui conduisirent à la déportation de plus de 2 000 hommes, femmes et enfants juifs depuis le Camp des Milles vers le camp d’extermination d’Auschwitz via Drancy .
Ils faisaient partie des 10 000 juifs de la zone dite « libre » qui, avant même l’occupation de cette zone, ont été livrés aux nazis par le gouvernement de Vichy, puis assassinés dans le cadre de la « Solution finale »
L’ambition du Site-Mémorial du Camp des Milles est de rappeler l’histoire tragique dont témoigne le camp des Milles et de s’appuyer sur l’histoire de la Shoah et d’autres génocides, pour présenter un « volet réflexif » inédit visant à renforcer la vigilance et la responsabilité du visiteur face aux menaces permanentes du racisme, de l’antisémitisme, de l’intolérance et du fanatisme. Contribuant ainsi hautement aux valeurs humanistes de respect, de dignité et de solidarité, il constitue, par les médiations utilisées, une réalisation pédagogique unique au monde sur un lieu de mémoire, aujourd’hui reconnue par l’Unesco.

Les expositions permanentes du Site-Mémorial sont organisées sur 15 000m2 de bâti et 7 ha, selon le parcours muséographique suivant :
Le Volet historique présente l’histoire des trois grandes périodes du Camp des Milles entre 1939 et 1942, replacé dans son contexte local, national et européen ; des bornes audiovisuelles reconstituent les destins individuels d’internés célèbres ou inconnus ; d’autres présentent le récit de témoins de cette époque.
-Le Volet mémoriel permet la visite, émouvante, des lieux historiques laissés en l’état. L’immense « four à tuiles » baptisé Die Katakombe par les internés qui en firent un lieu de création artistique constitue l’un des temps forts de la visite avec les espaces où s’entassaient les internés dans les étages.
-Le Volet réflexif présente, pour la première fois sur un lieu de mémoire, des connaissances scientifiques pluridisciplinaires qui permettent au visiteur de mieux comprendre les engrenages et les mécanismes humains récurrents (préjugés, passivité, soumission aveugle à l’autorité…) qui ont conduit et peuvent conduire au pire. Il s’agit ainsi de donner au visiteur des outils de réflexion sur la responsabilité de chacun dans une « montée des périls ».
Cette section « réflexive » se termine par un « Mur des actes justes », mur présentant la diversité des actes de sauvetage et de résistances aux quatre grands crimes à caractères génocidaires du XXe siècle, contre les Arméniens, les Juifs, les Tsiganes et les Tutsis au Rwanda. Un hommage, et une invitation à la responsabilité individuelle.
Le visiteur peut aussi visiter l’exposition nationale de Serge Klarsfeld sur les « 11000 enfants juifs déportés de France à Auschwitz » réalisée par l’Association des fils et filles des déportés juifs de France. Il s’agit d’une collection exceptionnelle de documents rares présentée de manière permanente dans les lieux. Cette exposition prend un relief particulier alors que du camp des Milles furent déportés une centaine d’enfants à partir de l’âge de un an. Entrée libre.
Après sa sortie du bâtiment principal, le visiteur accède à une « Salle des peintures » où se trouvent d’immenses peintures murales colorées et ironiques, réalisées par les internés. Entrée libre.
Le Chemin des Déportés, emprunté à l’été 1942 par plus de 2000 hommes, femmes et enfants juifs conduit enfin au Wagon du Souvenir situé à l’endroit même du départ pour la déportation. Accès libre.

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