Publié le 11 mai 2014 à 12h39 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h50
A ceux qui pensent que «Le Roi d’Ys» d’Édouard Lalo est une œuvre trop poussiéreuse pour être donnée de nos jours, nous se saurions trop recommander d’aller à l’Opéra de Marseille sans plumeau, mais avec les yeux et les oreilles grands ouverts. La production qui y est donnée est d’une facture intéressante, faisant regretter que l’ouvrage ne fasse pas plus souvent l’objet des attentions d’équipes de réalisation.
C’était donc la première, ce samedi 10 mai au soir, de la production dont Jean-Louis Pichon signe la mise en scène. Ce week-end de «portes ouvertes» à l’Opéra a-t-il boosté la fréquentation ? Toujours est-il que la salle lyrique marseillaise avait fait le plein pour apprécier la mise en voix et en musique de la légende bretonne.Ys n’est ni plus, ni moins, qu’une Atlantide en Armor qui va disparaître, engloutie sous les eaux. Parce que Margared, fille du roi, est jalouse de l’amour qui lie Mylio à sa sœur Rozenn. Et par vengeance, avant d’expier sa faute en se jetant dans les eaux tumultueuses de l’océan, elle fera ouvrir les vannes des écluses qui protègent Ys par Karnac, devenu ennemi juré du Roi d’Ys, dont l’armée venait d’être défaite par Mylio et ses hommes… Rajoutez l’omniprésence de la religion et de la dévotion portée à Saint Corentin par les habitants du lieu et ceux qui l’administrent et le décor est planté.
En matière de décor, l’écluse ferme une scène encadrée par deux immenses blocs de granit noir. Tout va se jouer ici avec la modification minimaliste de quelques éléments entre les tableaux et les actes. C’est plutôt réussi et les lumières soignées apportent de la densité au drame. Pas de coiffes bretonnes, mais des costumes sombres et austères pour les habitants du lieu, des robes un peu lourdes pour les princesses et le rouge sang pour Karnac et ses hommes. Jean-Louis Pichon, dans cet espace, travaille beaucoup sur les regards pour faire ressortir les sentiments et se sort plutôt bien des déplacements de masse, usant de l’axe cour-jardin comme d’un régulateur.
La musique de Lalo est très intéressante. Elle ne manque pas de nous rappeler un certain Berlioz et ses «Troyens», laissant aussi entendre quelques notes d’une procession du «Tannhäuser» de Wagner dans l’ouverture. On est face à une partition dense et puissante qui nécessite un orchestre volumineux. D’autant que le maestro Foster affectionne de monter le son lorsqu’il le peut. Visiblement ce dernier prend du plaisir à diriger cette musique et lui procure toute sa densité sans oublier d’apaiser sa baguette pour les moments plus intimes. Sous sa direction l’orchestre donne le meilleur de lui même, livrant toutes les couleurs de l’œuvre avec précision.
Une distribution idéale
Pour incarner les protagonistes du drame, Maurice Xiberras, le directeur général de la maison, a fait un choix de roi… Inva Mulla est une parfaite Rozenn, délicate, enamourée, avec un soprano certes mûr, mais bien en place, limpide et puissant. Sa sœur, Margared, a la voix et les traits de Béatrice Uria-Monzon. Une prise de rôle parfaitement assumée par la mezzo qui n’a aucun mal, scéniquement, à donner de l’épaisseur et de l’émotion à son personnage. Sa tessiture est parfaitement adaptée, à sa partie qui demande plus de performance dans les aigus que dans les basses. Un registre qui nous a semblé être idéal pour la dame dont la voix ne manque ni de puissance, de rectitude ; une prise de rôle réussie.
Du côté masculin de la distribution, abondance de biens ne nuit pas. A commencer par Florian Laconi qui incarne Mylio. Dans un registre alternant la pleine puissance et le mezzo-voce, le ténor fait briller sa voix avec aisance. Projection parfaite, belle couleur : sa prestation est quasi-idéale. Tout comme celle de Philippe Rouillon qui incarne Karnac. Le baryton est tout simplement éblouissant. Il est puissant, précis, volumineux. Aucune faille ne transparaît à aucun moment et comme son jeu est aussi de haut niveau le succès obtenu aux applaudissements est des plus mérités. Belle prestation, aussi, pour Nicolas Courjal qui incarne le rôle-titre. On connaît bien, sur cette scène marseillaise, les qualités de cette belle voix de basse. Elles ont encore été confirmées samedi. Musicalité, profondeur : rien ne manque et surtout pas l’émotion du père par rapport à ses filles. Les barytons Patrick Delcour, Saint Corentin, et Marc Scoffoni, Jahel, sont au niveau des premiers rôles, sans aucune difficulté. Une mention toute particulière, enfin, pour le chœur de l’Opéra qui ne chôme pas dans cet ouvrage est qui a travaillé d’arrache-pied pour être au niveau de la performance des solistes.
Autant dire qu’il faut se jeter sur son téléphone pour réserver sa place pour l’une des trois représentations programmées. Car pouvoir entendre cette œuvre avec une distribution aussi homogène est rarissime.
Michel EGEA
Pratique
«Le Roi d’Ys», opéra en trois actes d’Édouard Lalo. Autres représentations les 13 et 15 mai à 20 heures, le 18 mai à 14 h 30. Tél. 04 91 55 11 10 ou 04 91 55 20 43. Opéra de Marseille