Publié le 12 juin 2014 à 13h56 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h44
La Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) Marseille-Provence vient d’accueillir une conférence sur «Quel rôle pour les métropoles dans la transition vers l’économie circulaire?», à l’initiative de l’Institut de l’économie circulaire présidé par François-Michel Lambert, député EELV des Bouches-du-Rhône, en collaboration avec la Communauté Économique et Financière Méditerranéenne (CEFIM), présidée par Alain Lacroix. Un débat dense, mettant en lumière des pratiques déjà existantes, des problèmes, des freins, mais aussi des potentialités.
De nombreux intervenants ont animé cette matinée de débats. Preuve que cette économie circulaire, encore méconnue n’en est pas moins prise au sérieux notamment avec l’engagement dans ce domaine de groupes tels Coca-Cola ou Lafarge. Alors que Serge Orru, conseiller auprès de la Maire de Paris, en charge du Développement durable, de l’Environnement, du Plan climat et de l’économie circulaire, devait expliquer les grandes ambitions de la capitale en ce domaine.
Pourtant Jacques Pfister, le président de la CCI, reconnaît : «Le monde économique est un peu partagé sur cette question mais il est évident que l’économie circulaire présente des opportunités. La conférence porte sur métropoles et économie circulaire. Et il est vrai que vous ne m’entendez pas parler de cette dernière contrairement à la métropole. Mais, cette maison a toujours su être à la pointe de l’innovation alors il nous faut être plus offensif sur ce dossier pour qu’il devienne un levier de compétitivité. D’autant qu’avec Marseille, l’Etang de Berre, Fos, Aix, nous avons un tissu industriel riche et pertinent. L’économie circulaire a tout ici pour s’épanouir dans le cadre métropolitain». Une question qui mérite d’autant plus que l’on s’y arrête. «Elle pourrait permettre d’économiser jusqu’à 50 milliards d’euros par an en France et 2 milliards de dollars dans notre seule région».
François-Michel Lambert de souligner : «La consommation mondiale de matières premières ne peut poursuivre une évolution exponentielle qui conduirait à multiplier par trois la consommation des ressources naturelles d’ici 2050. Cela entraînerait des tensions sur les prix et l’accès aux matières».
«Le système linéaire de notre économie : extraire, fabriquer, consommer, jeter; a atteint ses limites»
Il considère donc : «Le système linéaire de notre économie : extraire, fabriquer, consommer, jeter ; a atteint ses limites. En revanche, il est possible d’organiser une meilleure utilisation des ressources qui favoriserait le développement de nouvelles activités et donc l’emploi à travers un autre modèle : l’économie circulaire». Puis de faire le lien avec les métropoles : «Elles sont, par essence, au cœur de cette démarche, par leurs capacités à structurer les flux de ressources dans leur espace, en conjuguant tous les acteurs, en lien avec les régions en charge du développement économique».
Certes, mais Robert Assante, adjoint au maire de Marseille, invite à réfléchir sur la nouvelle organisation territoriale en débat. A ce propos il met en garde : «Les collectivités devraient perdre la compétence générale. Attention à ne pas tomber dans les excès inverses. Agissant ainsi on risque de se priver de compétences, d’économie d’échelle».
En ce qui concerne l’économie circulaire il avance : «Région, métropole et ville, chaque échelon est concerné par la transition vers l’économie circulaire». Il émet cependant un bémol: «A quoi bon construire de nouvelles lignes de transport en commun si les gens ne les utilisent pas ? Le co-voiturage, le télétravail sont des offres qui se rattachent à l’économie circulaire mais les collectivités ne peuvent pas tout. Les citoyens doivent aussi se prendre en main. L’époque de surconsommation convulsive prend fin et il faut que les consommateurs deviennent des coproducteurs».
Alain Gargani, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)13 raconte sa découverte de l’économie circulaire : «Voilà plus d’un an, nous sommes allés voir François-Michel Lambert pour lui expliquer les difficultés auxquelles nous étions confrontés. Au bout d’une heure trente de débat nous avons appris qu’une économie offrait des possibilités, l’économie circulaire». Il poursuit : «Nous avons aussi parlé de la métropole dont nous ne souhaitons pas qu’elle ne devienne une usine à gaz ».
«L’économie circulaire génère du profit et notre objectif est de créer de la croissance durable»
Et il n’y a pas que les PME qui s’intéressent à cette nouvelle pratique. Un responsable de Coca-Cola indique : «Nous sommes une entreprise mondiale mais aussi un acteur local. Nous produisons et distribuons localement. Nous avons 5 usines en France afin d’être proche des bassins de consommation. Et nous avons réduit l’épaisseur des canettes. Nous développons le recyclage». D’ajouter : «Attention, pour nous il s’agit là d’une approche très pragmatique : l’économie circulaire génère du profit et notre objectif est de créer de la croissance durable.»
Lafarge s’inscrit également dans une démarche de proximité. L’entreprise valorise également les déchets pour en faire des matières premières. «Des matériaux industriels locaux sont utilisés sur nos sites dans le Grand Ouest comme combustibles alternatifs. La cimenterie de Bouc-Bel-Air valorise les pneus entiers usagers pour la région Paca. Nous transformons aussi, dans chacune de nos activités, les résidus de certaines industries en ressources. Ainsi, en substitution d’une partie de notre ciment, nous valorisons des sous-produits minéraux issus d’autres industries (poussières d’aciérie, laitier de haut fourneau, cendres volantes). Nous récupérons également des déblais issus de travaux de terrassement et de chantiers. Ils servent notamment au réaménagement des carrières de la région exploitées par Lafarge Granulats. Enfin, en Provence, les bétons de démolition issus de chantiers locaux ainsi que les retours de toupies sont à nouveau broyés et traités sur des sites dédiés, pour devenir granulats ».
«Il faut inventer un système qui préserve la nature tout en l’utilisant»
Pour Eco-Emballages, la future métropole s’annonce comme une priorité : «Nous allons piloter des actions. Nous allons ajouter des conteneurs pour le tri, renforcer l’information».
Veolia propreté se positionne aussi sur le créneau de l’économie circulaire : «C’est une nécessité. Nous nous inscrivons déjà dans le principe de la rareté». A ses yeux : «Il faut inventer un système qui préserve la nature tout en l’utilisant».
Pourtant rien de naturel dans l’économie circulaire, cela s’apprend. C’est le cas à Kedge Business School : «Nous faisons de la formation. Nous avons appris aux étudiants l’obsolescence programmé, le dumping social… cela a changé on travaille maintenant sur : financer autrement, l’économie circulaire». Et d’expliquer les raisons de cette inflexion : «Lorsque l’on parle de gaspillage en période d’opulence, c’est une question d’éthique, mais lorsque nous connaissons une période de crise comme c’est le cas alors il s’agit d’une question de survie». Et il n’est pas question uniquement de recyclage : «Il faut penser la fabrication différemment. Il faut repenser les concepts sur l’économie de la fonctionnalité : le jour où on jette une perceuse elle a en moyenne était utilisée 7 minutes… nous sommes loin du durable. Il faut réfléchir à un nouveau business modèle. Il faut, enfin, avoir une réflexion sur les changements de comportement que cela impose».
Sciences Po Aix lance une chaire dénommée « Économie sociétale »
Sciences Po Aix lance pour sa part une chaire dénommée « Économie sociétale ». Ce sera la première chaire française à être consacrée à ce sujet, élargit à de nombreuses interactions financières, organisationnelles et techniques. «Nous définirons ainsi le concept d’économie sociétale : L’économie sociétale concerne le rapport renouvelé entre économie et société à travers les pratiques de l’Économie Sociale et Solidaire, de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise et du développement durable, avec l’appui de l’ensemble des outils générés à cette fin sur la plan financier, institutionnel, organisationnel et juridique».
Depuis 1971, le cabinet Syndex assiste les élus du personnel et leurs organisations dans le cadre de leurs attributions économiques. Agréés pour conduire des missions CHSCT, les experts-conseil sont en appui de l’action des CE et CHSCT : «Si on veut que l’économie circulaire touche l’ensemble du tissu économique il faudra faire de la pédagogie en direction des PME/PMI. Elles sont, comme les organisations syndicales en demande de projets qui ont du sens».
Jean-Luc Chauvin, Président de l’UPE 13, indique : « Nous nous battons pour la métropole qui est un échelon pertinent de décision permettant de peser dans la bataille entre les métropoles européennes. En revanche je regrette que la région Paca reste seule , qu’une région Méditerranée allant jusqu’à Perpignan ne voit pas le jour car elle pourrait peser au niveau mondial. En matière d’économie circulaire nous ne voulons pas de loi supplémentaire mais nous sommes d’accord pour que le public montre l’exemple».
« Il faut faire plus, mieux et autrement ensemble »
Pour le préfet Laurent Théry, en charge de la métropole : «Il s’agit de réduire la consommation d’énergie dans le secteur industriel, sachant qu’elle est actuellement trois fois supérieure à la moyenne nationale. Un fait métropolitain qui doit participer à une nouvelle attractivité et un nouveau modèle de consommation. La métropole a tous les atouts pour devenir la vitrine de l’économie circulaire : la densité de population, l’industrie lourde, les capacités d’innovation». Pour lui : «Il faut faire plus, mieux et autrement ensemble».
Delphine Defrance, vice-présidente déléguée au Développement durable de la CCI considère : «En matière d’économie circulaire les chefs d’entreprise de PME/PMI sont inquiets, pris dans les difficultés du quotidien ils craignent une nouvelle loi. En revanche, les messages passent et passeront tant que nous aurons des exemples concrets à leur proposer».
« Une forte demande pour que les flux sortants des uns deviennent les flux sortants des autres »
Christine Cabau-Woehrel, présidente du Grand port maritime de Marseille (GPMM), précise: «Nous avons, dans le cadre de la réforme portuaire un rôle de facilitateur à jouer. Nous avons, sur Fos, une plate-forme unique, une forte demande pour que les flux sortants des uns deviennent les flux sortants des autres».
Pour Thierry Laffont, Ademe : «Cela semble moins cher de jeter que de trier. Mais c’est faux, lorsqu’il faut aller voir ce qui est caché sous le tapis, et cela arrive immanquablement, les coûts n’ont plus rien à voir avec le tri. Et il faut bien mesurer que le recyclage marche très bien car enfin le premier recyclage c’est le marché de l’occasion».
Mohamed Laqhila, président du Comité RSE du Conseil Supérieur de l’Ordre des experts comptables Paca insiste sur l’importance de la Loi pour avancer, est conscient qu’il faut venir en aide aux entreprises et notamment aux PME/TPE. «Un kit envirocomptable va descendre dans l’ensemble des cabinets nationaux». Et d’ajouter : «Les déchets des uns deviennent de l’or pour d’autres. Ainsi, Renault utilise maintenant dans une de ses usines des noyaux d’olive pour ses chaudières».
Un intervenant, dans la salle, plaide pour une nouvelle comptabilité proposant un plan ambitieux de développement des transports en commun à une collectivité locale. «Il m’a été répondu -indique-t-il- que c’était trop cher. Mais, quand va on prendre en compte les cancers dus à la pollution, le pétrole qui brûle pour rien, le stress…».
Jean-Luc Cizel, directeur clients-territoires Méditerranée de GRDF avance : «Plus de 300 installations dans l’hexagone transforment les déchets en énergie avec la méthanisation. Et cela crée de l’emploi et améliore la balance commerciale de la France. Et ce n’est pas anecdotique puisque l’on pourrait arriver à 50% du gaz produit localement ».
Alors que l’historien Jean-Claude Lévy estime : « Produire, consommer, jeter, tel est le principe d’une économie linéaire qui nous conduit dans le mur ».
«On jette et pas que du plastique, on jette des jeunes, des vieux, des Roms»
Serge Orru, conseiller auprès de la maire de Paris annonce que la capitale entend organiser les états-généraux de l’économie circulaire. «Ils réuniront à l’échelle du Grand Paris, l’État, la Région, les Villes, les Départements, le monde économique, les syndicats, les ONG, le monde de la recherche et la représentation nationale. On parle de crise depuis ce matin mais nous vivons sur une planète magique. Et l’économie circulaire existe depuis la nuit des temps puisque la nature en est le symbole». A contrario, souligne-t-il: «L’économie linéaire coûte cher, très cher, en matière première, en site à dépolluer. On jette et pas que du plastique, on jette des jeunes, des vieux, des Roms… ». Ajoutant immédiatement : «Pas question pour moi d’opposer deux mondes, de jeter tous les torts sur le monde de l’entreprise alors qu’il est formidable. Il faut, tous ensemble, construire quelque chose d’ambitieux. Créer une économie circulaire qui crée de l’emploi, de la prospérité, qui soit bonne pour la terre comme pour les humains».
«L’économie circulaire c’est finalement simplement du bon sens»
Il revient à Alain Lacroix de conclure. Il avoue son étonnement lorsqu’on lui a proposé de participer à une réunion sur l’économie circulaire avant de lui expliquer les enjeux.
Avançant: « D’ici 2050 la consommation mondiale, si rien n’est fait, va conduire à une multiplication par trois de l’utilisation des ressources naturelles de la planète. Peut-on penser une seule minute que nous pourrons continuer à faire comme avant ? L’économie circulaire représente un changement profond qui doit permettre de diminuer notre impact sur la planète. Il faut passer d’une vente de biens à celle d’un usage. L’économie circulaire c’est finalement simplement du bon sens à propos d’un sujet majeur pour notre avenir».
Michel CAIRE