Publié le 26 juin 2014 à 15h22 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h44
Ici, du sable s’écoule dans une sphère de verre, plus loin, c’est du riz… Des cailloux courent sur une goulotte en bambou, des petits marteaux frappent délicatement des cônes de papier, des cymbales sont activées par la chute d’une petite pierre, des monocordes sonnent sous la caresse d’un plectre mu par un moteur microscopique et les grandes plaques métalliques vibrent sous l’effet des ultrasons. Il est pour le moins fascinant cet instrumentarium né dans le cerveau du compositeur Benjamin Dupré et mis en branle pour une trentaine de représentations depuis mercredi soir au centre de la salle du Bois de l’Aune au Jas de Bouffan, à l’ouest du centre ville d’Aix en Provence.
Un lieu apprécié par le compositeur car il permet à son œuvre de respirer sans être à l’étroit et au spectateur de passer à côté de la claustrophobie. Car en assistant à «Fantôme un léger roulement, et sur la peau tendue qu’est notre tympan» l’auditeur est totalement intégré au cœur du dispositif sonore. Cinquante et une places, pas une de plus, sont délimitées par des coussins disposés tout autour d’un centre ensablé. On est à mi-chemin entre une maison de thé et un temple extrême-oriental.
Les spectateurs auditeurs sont en place, la douce lumière qui baigne le lieu peut s’estomper. C’est dans le noir que débute cette expérience musicale étonnante, ce périple unique au pays des sons. Au début il faut être attentif, presque à l’affût. Cette concentration permet d’entrer dans le monde du « fantôme » puis d’y laisser vagabonder son esprit.
Tout est réglé au millimètre, à la microseconde. Et les cailloux qui roulent sur le bambou ont des sons différents en fonction de leur vitesse donc de la puissance avec laquelle ils ont été lancés. Les silences du grand royaume sont envoûtants ! Un temps intersidéral, le voyage se poursuit non loin d’une chapelle de la campagne. La cloche sonne, lancinante, bientôt rejointe par d’autres sons qui nous transportent : vallée du Dra, temple à Hôi-han, des images envahissent l’écran de notre imaginaire. Puis tout s’accélère, tout tourne dans la tête et tout va se figer sur cette bande de sable centrale où les pas du fantôme vont se matérialiser, pied après pied alors que l’Orfeo de Monterverdi est servi pas les haut-parleurs. Puis, par magie, les traces du passage de l’ectoplasme vont s’effacer, le sable va se lisser, le rêve touche à sa fin, le voyage aussi… Visuelle et sonore, cette installation imaginée par Benjamin Dupé et le scénographe Olivier Thomas est fascinante, tout comme le spectacle qui est d’une douceur bienfaisante. Dupé réussit la performance de ne pas laisser le public s’ennuyer une seul seconde, jouant avec la répétitivité augmentée, régulièrement, d’un son, d’un effet, pour conserver l’attention de son monde. Autre qualité primordiale : ici le stress n’a pas sa place et c’est divin.
Le seul problème, qui en fait n’en est pas un, c’est que le spectateur va vivre une première audition avec son attention fixée sur les instruments et leur fonctionnement. Il est indéniable qu’une deuxième participation, avec un détachement intellectuel par rapport au « matériel » mis en œuvre, sera totalement différente au niveau de l’écoute et de la perception des sons.
Une forme extraordinaire, au sens propre du terme, qu’il convient de découvrir séance tenante.
Michel EGEA
Pratique
Représentations jusqu’au 5 juillet. Réservations au 0820 922 923.