Publié le 5 juillet 2014 à 0h21 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h55
«Étranger je suis arrivé,
Étranger m’en vais aujourd’hui»
Lorsqu’il pose ces mots sur la feuille, Wilhelm Müller subodore-t-il qu’il vient d’écrire les deux premiers vers d’un recueil de poèmes, le Voyage d’hiver qui va traverser les siècles ? Assurément non. Encore que… Quelques mois plus tôt, Franz Schubert s’est emparé des textes de sa Belle Meunière, Die schöne Müllerin, pour en faire un cycle de lieder fort prisé dans les salles de concert. Alors il écrit.
Et 190 ans plus tard ce Winterreise fascine toujours autant. Lorsque William Kentridge propose à Bernard Foccroulle, d’unir quelques-uns de ses films à un récital où serait donné ce cycle, le directeur du Festival d’Aix y voit tout de suite un événement hors du commun. Avec raison puisque ce récital, programmé à six reprises cette année, affiche déjà complet et sera repris dès le Festival 2015 pour que ceux qui se sentent frustrés de ne pas y avoir assisté, ne le soient plus.
Ce vendredi 4 juillet, en fin d’après-midi, entre mouvement social et orage, l’auditorium du conservatoire Darius Milhaud faisait le plein pour l’événement. La star : Matthias Goerne. Le baryton allemand est devenu l’un des interprètes les plus réputés des lieder de Schubert. Pour la première fois dans sa carrière, il a accepté de donner le Voyage d’hiver avec un dispositif scénique. A sa place, même star, nous aurions fait de même; unir son nom à celui de Kentridge c’est plutôt porteur. Pour l’accompagner, au piano, Markus Hinterhäuser.
Goerne est un monument. Physiquement impressionnant, il entre dans ce Winterreise comme d’autres se lancent dans un marathon. Une heure et trente minutes de chant sans aucune interruption sont au programme. Et dans la salle, les quelque 400 auditeurs entrent, eux, en apnée. Le baryton, insolent d’aisance, livre les lieder les uns après les autres avec sensibilité, puissance, affection. Il se penche vers le piano comme s’il voulait attraper une note et partage le voyage, sa dimension humaine, sa spiritualité, son intériorité. Face à lui même avant d’être face à son public, Goerne excelle dans un exercice de très haut niveau. Au piano, son complice Markus, lui, va mouiller la chemise, au sens propre et au sens figuré. Osmose parfaite entre les cordes frappées et la voix, tempi assurés, sensibilité à tous les étages : ce duo fonctionne à la perfection. Fort logiquement, les applaudissements seront unanimement partagés pour les deux.
Sur ces textes mélancoliques et cette musique sublime, William Kentridge, lui, offre les images de ses films en forme de rétrospective de sa vie. Une espèce de mort et transfiguration avec des images terribles d’apartheid, de meurtres, de décomposition avec des arbres qui vivent et meurent, des fleuves qui sont source de vie et de causes de mort. Et ce terrible corbeau ou cette noire corneille, qui prend son envol. Jusqu’à ce défilé final, espèce de danse rituelle de village africain, qui semble ouvrir un nouveau livre sur une vie meilleure.
De cette rencontre entre Kentridge, Goerne et Hinterhäuser nous espérions beaucoup. Espoirs comblés, Schubert servi et, en cette période tendue, tordue, peut être, où l’entrée dans les salles de spectacle se fait entre deux cordons de policiers, c’était un peu de bonheur et de répit pour les esprits. Ça fait du bien.
Michel EGEA
Pratique
Représentations les 6 et 12 juillet à 17 heures, les 8, 15 et 17 juillet à 20 heures. Renseignements et réservations : la Boutique du Festival, place des Martyrs de la Résistance, 13100 Aix-en-Provence. Tél. 0820 922 923. Site : Festival d’Aix
A la télé. En direct le 15 juillet à 20 heures sur Arte concert. Sur grand écran le 15 juillet à 20 heures au musée Granet d’Aix-en-Provence.