Publié le 10 juillet 2014 à 0h16 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h56
Une nouvelle confrontation armée entre Israël et Gaza frappe une fois de plus le Moyen-Orient. Cependant l’on aurait tort de penser qu’il s’agit de la répétition des épisodes précédents car, les conditions régionales ont changé et le conflit dépasse largement les deux protagonistes.
Hamas-Israël, la dernière confrontation ?
Une sorte d’accord tacite avait prévalu entre Israël et le Hamas depuis l’opération «Pilier de défense» en 2012. Israël craignant le vide politique et le chaos «à l’irakienne» -qui aurait résulté de l’anéantissement de la branche gazaouite des frères musulmans- a préféré laisser au pouvoir un Hamas affaibli ayant bien compris ce qui lui en coûterait en cas de récidive. De son côté la branche politique de la milice islamiste a fait régner de manière plus ou moins efficace l’ordre dans la bande côtière, sachant toujours jusqu’où ne pas aller trop loin. Mais depuis l’accord de réconciliation signé entre Mahmoud Abbas et le Hamas, ce dernier a cherché par tous les moyens à provoquer une confrontation avec l’État hébreu, de l’assassinat de 3 adolescents jusqu’à une pluie incessante de roquettes et de missiles sur le Sud d’Israël menaçant une population civile de plus de 1,5 millions d’habitants qui ne doivent leur salut qu’aux systèmes antimissiles. Comment expliquer ce changement radical d’attitude de part et d’autre qui pourrait bien signer le glas du mouvement de la résistance islamiste à Gaza, si aucun accord de cesser le feu n’était signé mais, qui poserait dans le même temps le douloureux problème de sa succession ?
La fin des États arabo-musulmans et le retour du Califat ?
Ce qui a changé, c’est un événement majeur dont les occidentaux n’ont pas encore pris la pleine mesure : la création de facto d’un nouvel État au dépend de la Syrie et de l’Irak par les djihadistes de l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) qui prétend réinstaurer le Califat en abolissant les frontières entre les pays musulmans. Ces concurrents directs d’Al-Qaïda qui se sont fait connaître par leurs exactions, forts de leurs récents succès appellent désormais tous les musulmans à les rejoindre dans leur conquête du monde. L’onde de choc se fait déjà ressentir dans tout le Proche et Moyen-Orient et menace la stabilité des États de la région, nés du démembrement de l’empire Ottoman dans le cadre des accords franco-britanniques Sikes-Picot en 1916. Un conflit vieux de 13 siècles opposant les deux principales branches de l’Islam, le Sunnisme et le Shiisme, prend ainsi une nouvelle dimension risquant de tout balayer sur son passage, ce que redoutent également pour des raisons différentes les deux ennemis jurés, l’Arabie Saoudite Wahhabite et l’Iran des Mollahs, mais également l’Égypte de Sissi et Israël.
Dans ce contexte, le Hamas Sunnite soutenu par l’Iran Shiite se trouve écartelé. Il semblerait que la branche politique de la milice islamiste, favorable au statu quo avec Israël se trouve débordée par sa branche militaire et le Djihad islamique qui, ivres des succès rencontrés par l’EIIL rêvent de rejoindre le Djihad mondial et d’attaquer Israël quel qu’en soit le prix pour la population de Gaza prise en otage.
Chasser le Hamas pour permettre la création d’un État palestinien ?
Le statu quo n’étant plus possible, le gouvernement israélien n’a en réalité que très peu d’options. Soit il décide de temporiser en laissant sa population civile à la merci des tirs de roquettes et de missiles, avec le risque majeur de se voir à court terme encerclé par Gaza affiliée à l’EIIL au Sud, une Jordanie déstabilisée tombant aux mains des djihadistes à l’Est et au Nord le nouveau Califat ayant absorbé une partie de la Syrie, de l’Irak et du Liban. Ou au contraire reprendre l’initiative. Plusieurs théâtres d’opérations sont alors à considérer. En tout premier lieu renforcer la Jordanie qui est au bord de l’implosion avec les vagues successives de réfugiés provenant du régime Alaouite, ce que l’État hébreu aurait déjà commencé à entreprendre selon certaines sources, ainsi que des interventions ponctuelles en Syrie comme cela s’est déjà produit en réponse aux provocations et, enfin une intervention massive à Gaza.
En ce qui concerne Gaza, les Israéliens sont devant la terrible perspective d’être contraint de réinvestir l’étroite bande côtière, à moins que l’Autorité Palestinienne n’accepte d’en reprendre les destinées en main. Car laisser un vide politique est inenvisageable. Cela reviendrait à offrir Gaza sur un plateau aux Djihadistes. La solution idéale serait que Mahmoud Abbas saisisse la chance historique qui lui serait donnée de réunir les deux entités palestiniennes sous un même gouvernement pour le bien de son peuple et de lui donner enfin son État. En cas de refus de ce dernier, il faudrait confier les rênes de Gaza à une autre personne, tel Mohamed Darlan qui en fut jadis l’homme fort avant d’être chassé par le Hamas, ce qui aurait pour conséquence de retarder certainement le projet national palestinien, les deux hommes n’étant pas en meilleurs termes.
Et les occidentaux dans tout cela ?
Les gouvernements européens impuissants devant les événements semblent recycler un vieux logiciel sur les causes du conflit moyen-oriental qui n’a plus rien à voir avec la réalité. Mais dans les Chancelleries on doit très sincèrement regretter de ne pas être intervenu alors que c’était encore possible à moindre frais dans le dossier syrien.
En ce qui concerne les USA, plus personne ne comprend la politique étrangère de Barak Obama. Il n’a ni soutenu les alliés traditionnels de l’Amérique, ni accompagné les transitions du pouvoir qui s’imposaient. En désertant le Moyen-Orient et en refusant le rôle de gendarme international qui lui était dévolu en tant que Président de la première puissance mondiale, il a laissé la Russie de Poutine, l’Iran et les extrémistes sunnites occuper le terrain. Il n’est pas exagéré de dire que ses choix sont en grande partie responsables de « l’effet domino » auquel nous assistons.
Un conflit dépassant le cadre israélo-palestinien
De manière paradoxale, cette très grande instabilité a resserré les liens stratégiques entre Israël, l’Arabie Saoudite et les États du Golfe qui sont désormais confrontés aux mêmes dangers existentiels, l’Iran et l’EIIL. Aussi cette dernière confrontation entre Israël et Gaza, ne s’inscrit plus dans le cadre historique du conflit israélo-palestinien, mais dans celui beaucoup plus vaste d’une lutte sans merci entre ceux qui veulent imposer leur propre vision du monde à tous et ceux qui n’en veulent pas. Dans cette perspective, un Califat Sunnite ou un axe Chiite allant de la Perse à la Méditerranée, voire au-delà, se valent.