Publié le 1 août 2014 à 14h59 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h06
Lancer Jean-Luc Chauvin, le président de l’UPE 13, sur les enjeux de la métropole et il devient intarissable. Il parle aménagement du territoire, emploi, transport, logement, cherté de la vie, importance du tourisme et refus de voir cette région se réduire à un «bronze cul» de l’Europe. Entretien
Destimed : Qu’est-ce qui a poussé le patronat marseillais à s’intéresser à ce point à la question métropolitaine ?
Jean-Luc Chauvin : En 2010, il est question d’aménagement du territoire, d’opportunité de s’organiser en tant que métropole. C’est pour nous l’occasion de faire le point sur les carences que nous connaissons par rapport à d’autres territoires avec lesquels nous sommes en compétition, de nous comparer avec les grandes métropoles nationales que sont Lille, Lyon, Toulouse, Nantes… Et, force est de constater que nous avons un bassin de vie qui n’est pas organisé à l’échelle du quotidien de ses habitants. J’ai des collaborateurs qui habitent sur Aix-en-Provence, j’ai essayé d’en faire venir certains pour travailler à Marseille, ils n’ont pas tenu plus d’un an et demi car les transports en commun ne sont pas assez performants, la voiture trop chère et, dans tous les cas, c’est trop long. J’ai eu le même cas avec quelqu’un de La Ciotat. Pire, j’ai discuté voilà peu avec une jeune mère de famille élevant seule ses enfants qui avait trouvé un emploi à Aix. Le travail commençait à 9 heures, finissait à 17h30. Sans voiture, elle devait partir à 7h30, rentrer à 19 heures et donc prendre quelqu’un pour garder ses enfants. Trop cher, elle a dû refuser. Ce n’est pas normal. On ne peut pas accepter cela. Pas plus que des salariés qui perdent jusqu’à 300 euros par mois et des heures dans la circulation alors que nous sommes sur un même bassin de vie. C’est à dire que l’on peut habiter Martigues, La Ciotat… et venir faire ses courses et aller au cinéma à Plan de Campagne, Aix, Marseille. Sans parler des embouteillages en direction de la mer dès que les beaux jours sont là. Tout cela fait que nous avons la deuxième métropole la plus saturée d’Europe. Or, tout le monde doit bien être conscient que les freins aux déplacements deviennent très vite des freins pour l’emploi et donc au développement économique. Nous avons là une partie de l’explication des 120 000 emplois de retard que nous avons sur l’agglomération lyonnaise
Les transports inter-cités seraient-ils les seuls freins au développement de ce bassin de vie?
Bien sûr que non. Il y a tout autant à dire sur le foncier. On ne construit pas assez de logements sur notre aire métropolitaine, ce qui entraîne un coût élevé pour se loger et donc des personnes qui habitent de plus en plus loin de leur lieu de travail avec tous les inconvénients que nous avons vus en matière de transport. Ce problème du foncier touche aussi des entreprises qui ne trouvent pas d’espace pour s’installer ou se développer. Ainsi les établissements Chiri, installés sur la zone des Paluds n’ont pu se développer et ont été contraints de construire à Signes une nouvelle unité avec tous les problèmes et les coûts supplémentaires que cela représente. D’autres quittent notre territoire voire la France. Et le pire, concernant les Paluds, c’est que la mairie d’Aubagne a prévu depuis 12 ans une extension de cette zone, les terrains ont été achetés. Problème, ils sont à côté de Gémenos qui a son mot à dire en matière de voirie, une autre commune donc et une autre intercommunalité et tout est bloqué depuis 12 ans.
Est-ce que l’absence de métropole serait le seul problème de ce territoire ?
Non, mais c’est certainement une partie de la solution car unis on est toujours plus fort. On peut, parfois, aller moins vite mais on va toujours plus loin. Et c’est bien de cela dont ce territoire a besoin. Prenons un exemple, nous avons la chance de disposer sur notre territoire du Grand port maritime, un outil extraordinaire pour attirer des entreprises, créer de l’emploi. Et bien cela marche de partout sauf ici. Nous voyons tous que nous perdons des places alors que, et c’est le pire, nous sommes ceux qui avons inventé le Grand port moderne en installant la logistique à côté des quais. Mais voilà, tout le monde est conscient qu’un port, pour se développer, à besoin de se connecter, sauf ici. Nous avons une route qui traverse une commune avec tous les dangers que cela représente. On n’a pas mis les moyens sur le routier, pas plus sur le ferroviaire et, le pire, c’est que l’on s’est privé avec Dominique Voynet, d’un des moyens de transports les plus écologiques : le fluvial. Mais on voit bien que si nous avons pu rater toutes ces opportunités c’est bien parce que le territoire n’a pas joué collectif. Et là, l’Europe vient de définir trois corridors de fret européen, résultat nous avons le seul Grand port à ne pas être relié à un corridor. Le port méditerranéen choisi étant celui de Gênes… Et, pour rester dans les transports, je ne comprends pas pourquoi ce qui est possible partout est impossible ici. Prenons la gare de l’Arbois, en pleine campagne. Pourquoi n’est-elle toujours pas reliée par le ferré à Aix et Marseille? En 2008, le Maire de Lyon a décidé qu’il fallait une liaison rapide entre la gare TGV et Lyon; en 2011, il inaugurait les 17km entre la gare TGV et la Ville. Et que dire de l’aéroport ? Il faut une ligne reliant l’Arbois, l’aéroport, Marseille et Aix. On va sur la Lune, sur Mars, cela ne devrait donc pas être irréalisable.
Mais alors, il est trop tard pour le Grand port maritime de Marseille ?
Je déteste le défaitisme. Il est vrai que nous avons laissé passer notre tour mais il n’est pas trop tard si nous sommes capables de porter, ensemble, un bon projet. On peut par exemple très bien imaginer un lien avec le corridor Lisbonne-Kiev. Il va nous falloir déjà gagner l’État français qui ne se bat pas pour cela. Alors pour développer toutes les potentialités des infrastructures que nous avons payées avec nos impôts afin de permettre le rayonnement de notre territoire il nous faut changer d’échelle. Je dois d’ailleurs dire que les universitaires l’ont compris plus vite que les autres avec l’université unique (Aix Marseille Université). Puis nous avons été capables, avec quel succès, de jouer collectif pour le titre de Capitale européenne de la culture, une année qui ne doit pas rester sans lendemain. Il nous faut, concernant le Port, obtenir le contournement autoroutier de Fos, le développement du fret ferroviaire, remettre en action le canal du Rhône et cela d’autant plus que Lyon explique que nous sommes son grand port.
En matière de métropole, où en êtes-vous de votre réflexion ?
Je ne sais pas faire les contours mais je sais que pour bénéficier, tous, des potentialités, il nous faut prendre en compte le grand Port, l’Étang de Berre, Istres, Salon, Aix, Iter… Et nous avons là une vraie richesse industrielle qu’il faut préserver, développer. Il faut le tourisme aussi, bien sûr, comment pourrait-on s’en passer mais il ne doit pas devenir la seule activité de ce territoire.
Les compétences, il me semble que la métropole doit avoir l’économie, le transport, l’aménagement du territoire ainsi que sa promotion. Pour cette dernière, il faut savoir que, lorsque l’on globalise l’ensemble des budgets des diverses collectivités on arrive à la somme de 16,7 millions d’euros. Pour ne donner que quelques exemples: Londres ne dépense que 16M€ et Lyon 10,3M€. En ce qui nous concerne chaque collectivité va de son côté, saupoudre. Attention, disant tout cela, je ne veux absolument pas jouer les donneurs de leçons, laisser croire que, contrairement à tous les autres, nous aurions tout compris. C’est faux. Les entrepreneurs ont aussi commis des erreurs historiques en allant investir ailleurs les richesses qu’ils construisaient du temps de l’économie coloniale. Et cela, contrairement à ce qu’a fait par exemple la bourgeoisie lilloise. Comme d’autres nous avons raté des rendez-vous. Comme d’autres nous devons nous remettre en question pour reprendre notre destin en main. Il faut utiliser toutes les bonnes volontés, il y en a partout, et s’appuyer sur toutes les bonnes idées pour fédérer. Il faut sortir des divisions d’autant que tous, dans nos différences, nous sommes viscéralement attachés à ce territoire.
Propos recueillis par Michel CAIRE