Publié le 16 août 2014 à 20h04 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h44
Avec septembre, une vague d’essais et de documents renforce le phénomène très français de la rentrée littéraire. L’automne 2014 n’échappera pas à cette habitude et quelque 287 nouveautés vont nous expliquer le monde comme il va ou plutôt ne va pas…
Si le marché du livre souffre, le secteur des idées, du livre politique ou des essais sociologiques et politiques, a été marqué par un fort ralentissement des ventes. Ce recul (-10% sur les premiers mois de l’année) est très certainement à l’origine de la prudence des maisons d’édition qui se replient sur des bases traditionnelles. En période de crise, entre hésitations et incertitudes, rien ne vaut les valeurs sûres de la polémique ou de la réflexion.
Parmi ceux qui apportent leur contribution, à tout seigneur tout honneur: Edgar Morin se penche sur la formation avec «Enseigner à vivre, manifeste pour changer l’éducation», chez Actes-Sud. A noter aussi, chez Belin, «Les métiers ont-ils un sexe: pour sortir des sentiers battus de l’orientation des filles et des garçons» dans la collection « Égale à égal ». Notons que plus d’une dizaine d’ouvrages s’attaquent à la question du genre et de la place de la femme…
Nous ne citerons dans ce bouquet que le seul livre de Geneviève Fraisse, «Les excès du genre» (Nouvelles éditions lignes) qui prend à rebrousse-poil opposants et défenseurs de cet objet de polémique.
Témoignages et coups de gueule
Dans la série coup de colère, «A l’école des cancres: coup de gueule d’un instituteur» de Jean Tévilis chez City, ou encore «Molière à la campagne», d’Emmanuelle Delacomptée (Lattès), ou «Éclat du collège», de Mara Goyet, chez Flammarion.
Pour ceux que le perpétuel chantier de l’éducation ne passionne guère, côté écologie politique Corinne Lepage, ancienne ministre, dénonce avec «L’état nucléaire», les apparentements terribles entre Areva, EDF et les politiques.
Autre témoignage, celui de Paul Amar «Mes blessures» (Taillandier) s’inscrit dans une série de textes sur l’antisémitisme décomplexé qui fait des ravages en France et en Europe. Rony Brauman, lui, publie «Pour les Palestiniens» (Autrement), texte qui ne se cramponne pas à un processus de paix inexistant et s’attaque sans ménagement à la défense française du gouvernement israélien.
Autre bataille, celle que mènent certains contre l’industrie pharmaceutique. Au Cherche-Midi, Ben Goldacre passe ainsi en revue «Les heures noires de l’industrie du médicament», ou encore «Capital santé: quand le patient devient client», de Philippe Batifoulier (La Découverte).
Bien évidemment, l’économie occupera une place de choix dans cette vague d’essais.
La crise, le capitalisme, la finance sont traités par des dizaines d’ouvrages.
On remarque chez Albin Michel, «Histoire d’une névrose, la France et son économie», de Jean Peyrelevade, mais aussi de Claude Halmos, chez Fayard,«Ce n’est pas vous qui êtes malade, c’est le monde» ou comment la psychanalyste dénonce le silence entourant les ravages psychologiques de la crise économique.
Un regard attentif doit également être porté sur «Penser l’économie autrement», de Bruno Colmant et Paul Jorion (Fayard), essai sur les crises et les tensions sociales qu’elles engendrent.
Il est intéressant de noter un réel effort de vulgarisation de ces écrits afin de les ouvrir au plus grand nombre.
Quant aux titres « coups de poing » portés par des auteurs télégéniques, ils rassurent les non initiés. Le dernier livre de Marc Fiorentino «Faites sauter la banque!» en est un bel exemple. Quelle accroche ! Pour cet habitué des plateaux télé qui signe ainsi son arrivée chez Stock «remettre les banques à leur place serait ainsi le meilleur moyen d’économiser de l’argent». A méditer… mais à lire d’abord !
Et puis, n’en déplaise à tous les savants économistes qui participent à cette rentrée littéraire, il serait bon de jeter un regard très attentif sur le livre de Bernard Maris, «Houellebecq économiste» (Flammarion) qui passe au tamis notre crise de société au travers des textes de l’écrivain.
Mal à la gauche
Mais en ces temps de ressac pour les idéologies, la suite logique des épisodes électoraux du printemps dernier est donnée par une série d’ouvrages passant au tamis la gueule de bois de la gauche et de ses électeurs. «A bas cette gauche là», de Jean-François Kahn, (Plon), pilonne le pouvoir en place, tandis que deux journalistes et deux historiens (Dely, Askolowitch, Blanchard et Gastaut), s’inquiètent et s’écrient chez Flammarion, «Au secours, les années 30 reviennent».
Cet éditeur publie également «La gauche et le peuple», de Jacques Julliard et Jean-Claude Michéa.
Quant à la droite, si Sarkozy et son retour sont toujours d’actualité :«Sarkozy: le temps du retour» de Philippe Cohen et Laureline Dupont il n’en est pas moins sous-titré «dans les coulisses d’une stratégie à haut risque».
Enfin la France comme elle va implique aussi de se pencher sur les conflits et manifs qui agitent notre pays. Certains auteurs comme Gaël Brustier préfèrent ainsi questionner les mouvements sociaux de l’année écoulée, en se demandant, «Au cœur du cortège: que restera-t-il de la manif pour tous» (Ed. Cerf).
Les amateurs de narcissisme s’intéresseront peut-être au «Montebourg…et moi, et moi et moi», de Valentin Spitz, à l’Archipel. A moins qu’ils ne préfèrent de vraies figures, comme celle de «Roland Dumas, le virtuose diplomate»(L’Aube), livre d’entretiens.
Les politiques, eux aussi, participent à cette rentrée. De la liste bien longue de ces essais, citons, pèle-mêle, de droite comme de gauche, quelques noms: Jean-Luc Mélenchon, «Avant le déluge», titre non certain à l’heure où nous écrivons, chez Fayard, Robert Hue, «Les partis vont mourir, ils ne le savent pas» (L’archipel), Claude Bartolone «Je ne me tairai plus», (Flammarion) , Michel Rocard, «Aux générations futures qui devront assumer nos erreurs» (Bayard), Bruno Lemaire, «A nos enfants», (Gallimard), Hervé Morin, «Lettre à Alma sur le monde qui l’attend», (Albin Michel), Gilbert Collard, «Les vérités sont bonnes à dire» (City) et encore Christian Troadec, maire divers gauche de Carhaix, «Nous les bonnets rouges», (Le cherche-midi).
Faut-il classer dans cette catégorie l’inévitable Bercoff, qui se fait biographe avec «Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi: chronique d’une implosion annoncée» (First). Voilà tout un programme…
D’autres, plus gourmands d’anecdotes iront plus facilement vers «Premières dames: Yvonne, Claude, Anne-Aymone, Danielle, Bernadette, Cecilia, Carla, Valérie», de Robert Schneider (Perrin).
Cette sélection, subjective forcément, ne dégage pas de tendance, voire de mode précise. Les lecteurs feront leur choix et trouveront peut-être leur bonheur là où on ne les attend pas, comme ils l’ont fait ce printemps avec Thomas Piketty.
Piketty, c’est Capital!
C’est le best-seller surprise de cette année. Qui aurait pu un seul instant imaginer que Le Capital au XXIe siècle », pavé de 900 pages de Thomas Piketty allait s’installer dans le hit-parade des ventes, pour grimper, grimper encore et toujours ?
Près de 50.000 exemplaires achetés dans l’Hexagone, et plus encore au pays de l’Oncle Sam, où près de 400.000 livres ont été vendus! Pas mal pour une analyse de l’évolution des revenus du capital depuis le 18eme siècle!
Alors, quoi de plus logique au regard de ce succès public, que les conseillers d’Obama prennent attache auprès de l’économiste français, tandis que François Hollande continue de le snober…
Face à la thèse des libéraux pour qui le développement économique entraînerait mécaniquement une baisse des inégalités, le livre de Piketty, rappelle que l’accumulation des revenus du capital, en progressant plus vite que la croissance, a bel et bien creusé le fossé des inégalités.
Conséquence? Les pauvres sont toujours plus pauvres, toujours plus nombreux, les riches, eux, sont toujours plus riches, et nettement, très nettement, moins nombreux que les pauvres!
Un succès d’édition qui tient aussi au fait que ce livre se lit comme un roman.
Polémiques
Face à cette popularité inattendue, les détracteurs de Piketty ont cru dénicher la parade. L’auteur, accusent-ils, élaborerait ses thèses sur de faux chiffres, comparant des patrimoines dans des pays incomparables, en raison de leurs différences de superficie et de population. Cela ne dit pourtant pas pourquoi le cercle des fortunés s’élargit mollement, tandis que celui des déshérités s’étend exagérément.
Ainsi, 1% de la population américaine dispose de 22 % des revenus. Les records de 1913 sont battus ! Sans aller aussi loin, côté pauvreté, les statistiques que l’on relève dans les Bouches-du-Rhône sont tout aussi parlantes. Dans ce département, 22% de la population vit en marge ou en dessous du seuil de pauvreté, contre 14% en France.
Ce qui est certain, c’est que ce succès de librairie, aura fait de Piketty la coqueluche des médias français et cerise sur le gâteau, il a reçu le prix Pétrarque de l’essai, décerné par France-Culture. Malgré ce triomphe de librairie, Piketty sait garder la tête froide. Flatté, il continue à se présenter comme chercheur en sciences sociales plutôt qu’en économiste et en appelle à la mise en place d’un système fiscal plus juste, favorisant un accès équitable à la santé et à l’éducation.
C’est donc en citoyen qu’il entend contribuer à un échange démocratique, indispensable dans une société inégalitaire.
Ce qui est certain, c’est que les thèses de Piketty éclairent d’un jour nouveau un nécessaire débat sur l’accumulation de richesses et sur l’importance d’une profonde réforme fiscale…
« Le capital au XXIe siècle ». Thomas Piketty. Seuil. 900 pages. 25 €.