Publié le 9 septembre 2014 à 18h27 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h10
Pierre Distinguin est directeur de la stratégie et de l’innovation à Provence Promotion, l’agence du développement économique des Bouches-du-Rhône co-financée par le Conseil général des Bouches-du-Rhône et la Chambre de Commerce et d’Industrie Marseille-Provence. A ce titre, il travaille notamment sur la candidature de Marseille Capitale européenne du Sport 2017 et sur la labellisation French Tech. Deux dossiers qui semblent éloignés, mais pour ce fervent avocat de la transversalité, « Aix-Marseille n’échappera pas à une mue identitaire, c’est pourquoi il est temps de fabriquer et d’assumer un modèle économique singulier, d’inspirer le lancement de nouveaux moteurs circulants de croissance qui combinent la qualité de vie à la qualité de travail ». Un modèle qui met en lumière une cohérence, tout autant qu’une pertinence entre Capitale européenne de la Culture, du Sport et du Bien-être, et les nouvelles technologies. Ou comment bâtir du neuf à partir d’une philosophie finale, car, comme disaient les Romains: « Mens sana in corpore sano » (« Un esprit sain dans un corps sain »). Entretien
Destimed: Pouvez-vous expliquer en quoi consiste votre fonction, et, dans ce cadre, en quoi êtes-vous impliqué dans French Tech et la Capitale européenne du Sport ?
Pierre Distinguin: Je travaille à propulser Aix-Marseille dans les radars de l’attractivité à l’international et use de toutes les stratégies et inventivités possibles. Cela notamment en contribuant à l’amélioration de l’image du territoire par des actions de fond, car l’attractivité est une course d’endurance… La course au label est une démarche opportuniste qui fait partie de cette stratégie de montée en gamme.
Marseille-Provence 2013 a en effet été un temps fort qui a fait énormément de bien à ce territoire. Alors ne nous privons pas de briller sur d’autres thématiques telles que la candidature au titre de Capitale européenne du Sport et celle au titre de French Tech. Bien que distinct dans leur contenu, ces deux labels répondent a une même exigence : tirer le territoire par le haut ! l’adhésion des acteurs publics et privés a été rapide.
En quoi de tels labels sont-ils importants ?
Pour mesurer cela, il faut savoir que les grandes métropoles du monde en pointe en matière de développement des nouvelles technologies, le sont aussi en matière d’art de vivre : c’est le cas de New York, San Francisco, San Diego, Sydney, Vancouver, Singapour… Les richesses sont là où les territoires sont équilibrés entre qualité de travail et qualité de vie. Et la raison en en très simple : les cadres diplômés ont une multitude de choix de par la mondialisation, la qualité de vie est donc un facteur important. Or, Aix-Marseille est situé au cœur d’une région parmi les plus attractives de la planète, soyons décomplexé avec cette réalité ! L’obtention de ces labels est un signe de reconnaissance évident qui doit définitivement orienter Aix-Marseille parmi les sites les plus attractifs grâce à cet équilibre qualité de vie/travail.
Mais ces labels, viennent «d’en haut», ils ne concernent pas forcément la population dans un premier temps au moins…?
Effectivement, nous sommes là devant des initiatives qui partent du haut vers le bas ce qui ne manque pas de provoquer un scepticisme, des critiques. Or, pour la Capitale sportive comme pour French Tech, la clé de la réussite réside dans la mobilisation des acteurs privés convaincus de cette cause. C’est particulièrement vrai dans le sport, un champ d’activité économique encore inclassable. Le Sport-Bien-être est sans doute le domaine qui échappe encore aux grandes analyses macro-économiques et études d’impacts ciblées. La France est de ce point de vue généralement un excellent terrain d’expérimentation et de mesures comparatives. Alors que l’on recense en France plus de 71 pôles de compétitivité, et près de 150 clusters d’entreprises sectorielles, 3 territoires revendiquent la présence d’une activité intégrée autour du Sport : Rhône Alpes et son activité montagne, l’Aquitaine et la concentration des leaders de la glisse, la Bretagne et Brest autour des activités marines et nautiques, très anciennes… Pourtant l’économie du spectacle sportif s’élève à plus de 8 milliards d’euros et, en France on compte plus de 1 700 entreprises et 55 000 emplois dans l’industrie et les services. Mais, alors que les fabricants étrangers occupent une place de plus en plus importante dans la répartition de la demande intérieure, la France peine à maintenir le développement et la fabrication d’équipements et articles sportifs à des niveaux compétitifs. Mais dans notre Région, si on explore en profondeur notre tissu d’entreprises, nous constatons que nous disposons de sociétés référentes dans leur domaine. Rien que ces éléments signifient la pertinence de la candidature au titre de Capitale européenne du Sport 2017, tout comme à French Tech d’ailleurs. Et, dans les deux cas, très rapidement, nous avons assisté à une mobilisation de la sphère privée.
Qui sont ces acteurs privés ?
Pour French Tech, des entrepreneurs emblématiques du numérique se sont sentis investis par le développement des filières porteuses d’avenir. Selon eux, le label French Tech représente l’opportunité de mettre leurs talents et leur énergie au service de projets d’entreprises conquérants. Il s’agit de Frédéric Chevalier, fondateur de HighCo, aujourd’hui porteur d’un projet de campus de nouvelle génération dans le domaine de la ville intelligente, Christophe Serna, co-fondateur de voyageprive.com, ou encore Kevin Polizzi, le PDG de Jaguar Networks mais aussi de Gemalto et de Tel-France.
En matière de sport, nous avons vu se mobiliser des entreprises aussi emblématiques que Beuchat, Gymnova, Shark, Sun Valley sans oublier l’OM. Dans les deux cas ces prises de position ont agi comme un facteur déclenchant et permis d’assister à nombre d’adhésions spontanées. Et l’État pour sa part est mobilisé à différents niveaux : les ministères des Sports et de l’Économie. Il y a donc bien un lien entre le bas et le haut. Le haut a lancé un mouvement mais c’est le bas qui lui donne sens, vie.
Mais, contrairement à la Capitale européenne de la Culture ces deux labels n’entraînent pas des financements, ne s’agit-il pas alors que d’une coquille vide ?
Il est vrai que ces labels ne sont pas des courses aux financements publics. Alors, s’il est vrai que la Capitale européenne de la Culture a pu permettre d’accélérer ou de lancer des co-financements, la capitale du Sport et French Tech seront eux des accélérateurs de projets innovants. French Tech accélère le nombre d’entrepreneurs et d’entreprises susceptibles de générer de l’innovation et de créer de l’emploi dans les quatre, cinq prochaines années. Et l’objectif est tout sauf insignifiant puisqu’il est d’un delta de 50% par rapport à une courbe organique.
En ce qui concerne le Sport-Bien-être l’objectif est de resserrer la stratégie sur la pratique sportive, la professionnalisation, l’animation d’un cluster sport, la rénovation des infrastructures et des équipements, la candidature à de grands événements internationaux… Il s’agit ni plus ni moins de placer notre métropole parmi les grandes destinations d’événementiels sportifs en France et en Europe. Cette candidature doit nous permettre de relever ce défi mais aussi, et dans un même temps, de relever celui de la cohésion sociale au travers du sport et du bien-être. L’Europe, la France, sont en panne d’idées innovantes pour resserrer le lien entre les individus, les communautés. Le sport, le bien-être, le tourisme, la culture, doivent être remis à leur juste place car ils apportent des réponses en ce domaine. Et donc ils jouent un véritable rôle en faveur de l’attractivité du territoire car, in fine, ce sont des leviers économiques.
Quelles sont les villes qui ont obtenu le titre de Capitale européenne du Sport ?
Ce sont des villes d’influence en Europe, citons, parmi celles qui depuis 2000 ont obtenu le titre : Anvers, Cardiff, Istanbul, Turin… Aucune ville française n’a, à ce jour, obtenu ce label. Les chances d’obtention sont là, fortes. Malgré la qualité du dossier de Sofia, celui déposé par Marseille est solide sur les points évalués par l’Aces (Association qui évalue les candidatures). A savoir la cohésion sociale, sport et citoyenneté, recherche et formation, pratiques sportives, événements et infrastructures. Et le dossier propose une nouveauté : le sport comme vecteur d’attractivité du territoire est pour la première fois présenté dans un dossier de candidature.
On retient de votre propos que ces candidatures, loin d’être anecdotiques, dessinent un nouveau modèle de développement économique ?
Comment en effet ne pas constater que la perspective horizontale tient sa revanche sur une histoire économique qui n’est lue et étudiée que de bas en haut et qui peine de ce fait à renouveler des idées.
La vraie rupture n’est pas seulement technologique mais tectonique à l’image d’une plaque qui est un territoire comme Aix/ Marseille, cherchant à maintenir coûte que coûte ses poussées verticales (filières) mais qui ne pourra résister longtemps aux contraintes horizontales (hommes et services) qui s’exerceront toujours plus fortement sur toutes les strates de la vie de chacun (culture, loisirs, services à la personne, qualité de vie, tourisme..). Dans un article publié en avril 2014 dans Forbes magazine, Michael Sekora exprime ses doutes pour l’économie américaine de renouer avec la croissance durable, en misant à tort sur le maintien de son appareil productif, arguant que l’explosion des moyens investis en R&D ne servent pas, in fine, les intérêts américains mais chinois, à cause d’un déficit de vision long terme notamment sur les transferts de valeurs d’un champs vers un autre (en l’occurrence de la High Tech vers la Low Tech). Aux États-Unis comme en France, la clef est de produire plus de transversalité, dans les Centres de recherche, les universités, les entreprises, les lieux d’innovation…
Force est de constater que le Royaume Uni par exemple, excelle dans cet exercice de produire de la valeur dans les services et les intersections, a l’image du transport, de la finance, du tourisme, ou du sport. Google également a pris ce virage en misant des milliards d’euros sur la convergence entre les bio Tech, les clean Tech et les high-tech, au pari de rendre un jour l’homme «immortel».
En assumant son statut de future grande métropole européenne, Aix-Marseille n’échappera pas à cette mue identitaire, c’est pourquoi il est temps de fabriquer et d’assumer un modèle économique singulier, d’inspirer le lancement de nouveaux moteurs circulants de croissance qui combinent la qualité de vie à la qualité de travail.
Propos recueillis par Michel CAIRE