Du 27 septembre au 18 octobre, des milliers de chercheurs, d’enseignant-chercheurs, de techniciens, d’administratifs, d’ingénieurs travaillant pour la recherche française vont partir de plusieurs villes de France pour converger vers Paris, à pied ou en vélo. Le premier cortège partira de Marseille le samedi 27 septembre à 11h, de l’ombrière du Vieux Port pour se rendre à Aix-en-Provence, avec une arrivée prévue aux Allées provençales vers 16h.
Quel est l’objectif de ce mouvement ?
L’objectif est d’attirer l’attention de la population, des média et des élus sur la très grave crise que traverse la recherche française et de demander au Président de la République de prendre trois mesures pour stopper le déclin de notre domaine:
-1) La mise en œuvre d’un plan pluriannuel ambitieux pour l’emploi statutaire de scientifiques,
-2) Le renforcement des crédits que les laboratoires et les universités reçoivent de leurs tutelles,
-3) Une meilleure reconnaissance du doctorat d’Université dans les entreprises privées et dans la haute fonction publique.
La situation de la recherche est-elle vraiment si grave ?
Les chiffres sont sans appel : la plupart des universités françaises ont de sérieux problèmes budgétaires, et plusieurs sont en déficit. Cela se traduit par une baisse drastique des recrutements : d’après les chiffres du ministère, le nombre de postes offerts au concours de maître de conférences a baissé de 22% entre 2007 et 2013 ! La situation est tout aussi grave dans les organismes de recherche : au CNRS par exemple, les effectifs du personnel permanent ont baissé de plus de 800 postes entre 2002 et 2012.
A l’université d’Aix-Marseille comme ailleurs, plusieurs dizaines de postes sont gelés chaque année (Pour le seul secteur « sciences », 15 postes de maître de conférences/an ces deux dernières années).
Mais la recherche et l’enseignement supérieur sont censés être des secteurs qui échappent aux coupes budgétaires ?
Apparemment pas, de l’aveu même de la secrétaire d’état à l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR), Geneviève Fioraso, qui a déclaré : «Je tiens à rassurer les chercheurs : les campagnes de recrutements vont se poursuivre, même si les recrutements seront moins nombreux que précédemment.»
Actuellement, il n’y a aucune création de postes. Au mieux, seuls les personnels partant à la retraite sont remplacés. Or, Dans les universités, ce nombre de départs va baisser de 30% entre 2007 et 2016. Au CNRS, ils vont être quasiment divisés par deux sur la même période. Résultat : de moins en moins de postes accessibles pour nos jeunes chercheurs.
Deux derniers chiffres qui illustrent parfaitement l’angoisse actuelle des jeunes docteurs français : au CNRS, le nombre de postes mis au concours diminue (400 en 2010, 300 en 2014), tandis que le nombre de candidats par poste de Chargé de Recherche a explosé sur la même période : 18 à 28. A l’université, c’est pire : 37 candidats en moyenne par poste de maître de conférences en 2013, soit un taux de réussite de 2,7 %, incompréhensible à ce niveau d’étude (bac+8 au minimum). A titre de comparaison, le taux de réussite à l’entrée en première année de médecine est de 15%, alors qu’il s’agit d’un concours niveau bac !
Pour ces jeunes docteurs qui cherchent désespérément à obtenir une poste permanent, cela se traduit par un enchaînement de contrats post-doctoraux en France ou à l’étranger, des vacations sans lendemain voire des périodes sans emploi (avec un taux de chômage des docteurs de 10%, la France est dans le wagon de queue de l’UE). Pour nombre d’entre eux, ces nombreuses années de précarité et de sacrifices les conduiront à jeter l’éponge et à se diriger vers des métiers bien éloignés de la recherche, ce qui, au-delà du drame humain évident, constitue un gigantesque gâchis de compétences et d’argent public consacré à leur formation.
Enfin, la quasi-totalité de l’augmentation du budget de la recherche publique depuis 2006 est constituée par le Crédit Impôt Recherche.
Mais nous sommes dans une période d’austérité budgétaire sévère, où trouver l’argent pour la recherche ?
L’austérité n’est apparemment pas la même pour tous : le montant des exonérations fiscales accordées aux entreprises via le Crédit Impôt Recherche (en théorie pour des investissements en recherche et développement – R&D -) dépasse les 6 milliards d’euros, soit plus que le financement public de tous les organismes de recherche français réunis ! Problème : la cour des comptes a encore pointé récemment que « l’efficacité du CIR au regard de son objectif principal (…) est à ce jour difficile à établir, faute de données avec un recul suffisant, mais aussi d’un accès des chercheurs aux données disponibles », et que « l’évolution qu’a connue la dépense intérieure de R&D des entreprises n’est pas à ce jour en proportion de l’avantage fiscal accordé aux entreprises ».
Mais aider les entreprises à investir dans la recherche, c’est plutôt une bonne idée, non ?
Bien sûr ! Mais il faudrait distinguer les procédures d’accès au CIR entre les grandes entreprises et les PME. Ces dernières emploient plus de docteurs, et ont vraiment besoin de budgets pour financer l’innovation. Pour les grandes entreprises par contre, qui absorbent 65% du CIR, ses conditions d’attribution devraient être revues en profondeur, et cette attribution devrait a minima être conditionnée à l’emploi de docteurs.
Mais si ce ne sont pas les docteurs, qui fait la recherche dans les entreprises françaises ?
Essentiellement des ingénieurs, dont la formation n’est pas axée sur la recherche. La France est probablement la seule nation où le diplôme d’ingénieur est mieux reconnu dans les conventions collectives que le doctorat ! Une conséquence directe de l’omniprésence d’anciens élèves des grandes écoles (ENA, HEC, Polytechnique, Pont et Chaussée, les Mines etc…) dans les gouvernements. D’où notre demande d’une meilleure reconnaissance du doctorat d’Université dans les entreprises privées et dans la haute fonction publique.
Pourquoi demandez-vous « le renforcement des crédits que les laboratoires et les universités reçoivent de leurs tutelles » ?
Car les recherches les plus ambitieuses demandent du temps, or ce sont désormais les financements sur des projets à court terme, notamment via l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR), qui sont majoritaires. Les laboratoires ont besoin de crédits récurrents beaucoup plus importants pour que les projets puissent être menés à bien, et pas abandonnés en cours de route faute d’argent. De plus, alors même que l’ANR est progressivement devenue leur principale source de financement, seuls 8,5% des projets soumis seront financés dans la campagne 2014! La situation de pénurie que nous vivons démobilise les personnels, qui se sentent floués, de nombreux laboratoires n’ayant plus les moyens de travailler.
En fin de compte, pourquoi est-ce si important d’investir dans la recherche ?
Pour deux raisons principalement Tout d’abord, le développement des connaissances, dans toutes les disciplines, a toujours été l’un des fondements de l’humanité. Ce développement est d’autant plus crucial pour comprendre et appréhender les changements très rapides que connaissent nos sociétés modernes, et pour éviter de léguer aux générations futures un monde à l’agonie.
-D’un point de vue économique, nous ne pouvons rivaliser avec les pays émergents sur les secteurs où la main d’œuvre est peu qualifiée et les salaires très bas. Pour maintenir notre économie, nous n’avons d’autres choix que d’augmenter les investissements dans la recherche et l’enseignement supérieur. Au niveau public, ces investissements doivent aller en majorité à la recherche fondamentale, sans laquelle il ne peut y avoir d’innovation. Nos entreprises ne pourront être performantes sur le marché mondial que si elles innovent grâce à une main d’œuvre très qualifiée.
Pour soutenir la recherche française, venez à la rencontre des chercheurs lors du passage de « Sciences en Marche » dans votre ville. Renseignements : Sciences en marche