Publié le 5 octobre 2014 à 22h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h22
« Une éducation catholique » de Catherine Cusset et « Madame« , de Jean-Marie Chevrier, deux livres qui se faufilent dans le sillage du vaisseau amiral « Le Royaume » d’Emmanuel Carrère d’Encausse, « l’événement » de cette rentrée. Le lien entre ces trois textes, pourtant diablement différents? De manière distanciée, mêlant roman et autofiction, histoire et imagination, ils exhalent un parfum de religion dont on pourrait dire qu’il est bigrement tendance en ces temps de crise morale.
Sous la plume de Catherine Cusset, Dieu est ici le compagnon d’infortune d’une autofiction légère et distrayante tandis que Jean-Marie Chevrier choisit d’en faire l’acteur sombre et envoûtant du drame de « Madame ».
Mais ne nous y trompons pas. Aussi différents soient-ils, voilà deux auteurs qui, l’affichant clairement ou laissant jouer le rôle à leurs personnages, règlent leur compte avec Dieu. A mots couverts ou sur un ton enjoué, ils mettent en question le poids de la religion catholique, pointant ses incohérences pour mieux dessiner l’empreinte qu’elle peut laisser sur l’esprit d’un jeune enfant, les préceptes qu’elle inculque, la foi qu’elle injecte, avec ses obligations qui musèlent mais formatent aussi. Deux livres qui labourent deux vécus totalement différents pourtant résultant de la même religion. Mais n’est-ce pas là l’un des grands mystères de la foi catholique, sa faculté à s’interpréter de multiples façons, elle pourtant si rigide dans ses principes et ses commandements.
Le mariage comme une rédemption
Tous ceux qui ont eu une éducation catholique, qui s’en sont libérés sans en renier les acquis et sont finalement heureux d’être ce que la religion a fait d’eux, partageront en souriant le cheminement de l’héroïne de Catherine Cusset, l’espiègle Marie qui dira un jour « J’ai cru en Dieu bien plus longtemps qu’au père Noël« . Autant de souvenirs d’une enfance jouant avec Dieu comme à la marelle en essayant de gagner le ciel en sautant par-dessus les interdits !
C’est cela le cœur du récit de Catherine Cusset, léger, savoureux comme une hostie rafraîchissante. Elle nous parle d’une fillette otage de deux parents, d’un père grenouille-de-bénitier et d’une mère totalement athée. L’un prêchant la bonté, l’humilité, la générosité, l’autre l’encourageant à bazarder tout ça.
Qui l’emportera? Pas de meilleure manière pour le savoir que de s’abandonner à ce court récit, qui prouve qu’il n’est pas besoin d’en faire des tonnes pour évoquer avec bonheur la basculement de l’adolescence à l’âge adulte. Le détachement? Il se cristallise comme une boucle, laissant revenir à l’église celle qui s’en est détachée, pour un mariage religieux, preuve de la rédemption qu’apporte l’amour, d’abord vécu comme un chemin de croix.
Un polar pas très catholique…
Avec Chevrier, l’affaire est différente. Là non plus, pas de thèse philosophante, pas d’introspection torturée.
Ombrageux, cruel, mais tout aussi réussi, « Madame » tisse sa toile sur le drame d’une veuve excentrique et solitaire qui ne s’est jamais consolée de la perte de son enfant. Que sait-on d’elle? Très peu de chose. On l’appelle Madame. Pas de fioritures, jamais. Austère, blessante, elle oblige le fils de ses fermiers à suivre une éducation très stricte. Qu’elle même lui prodigue. Pourquoi? Quelle mystérieuse connivence entretient-elle avec le collégien? Et cette foi qu’elle veut à tout prix qu’il ait ? Jusqu’où poussera-t-elle cette éducation religieuse qu’elle a, elle, chevillée au corps? Cet enfant que Dieu un jour lui a offert et lui a repris lorsqu’il avait 16 ans, pourquoi? Un tel châtiment ne mérite-t-il pas une vengeance? Et si Madame, à son tour, se prenait pour Dieu tout puissant… Haletant comme un polar, le livre de Chevrier est une des jolies surprises de cette rentrée.
Une éducation religieuse de Catherine Cusset. Ed.Gallimard. 132 pages, 15,90€. Madame, de Jean-Marie Chevrier, Ed. Albin Michel, 200 pages, 16 €