Publié le 6 octobre 2014 à 9h45 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h22
Tout comme on ne change pas une équipe qui gagne (Marcello Bielsa, le coach de l’Olympique de Marseille, ne nous dira pas le contraire) on ne change pas un répertoire qui rapporte. Et en la matière, c’est le quadragénaire ténor péruvien Juan Diego Flórez qui en connait un rayon.
Dimanche après-midi, il chantait à guichets fermés sous les ors et les marbres de l’Opéra de Marseille, avec devant lui une salle toute acquise à sa cause qui n’en avait rien à faire du relatif confort de sièges qui étaient déjà installés alors que le ténor n’était pas encore né. Bref, qu’importe le fauteuil pourvu qu’on ait l’ivresse. Et de l’ivresse, il y en eut au cours de cette étape faisant partie d’une longue tournée de promotion de son dernier CD. L’ivresse du bonheur qu’il est impératif de ne pas bouder en pareilles circonstances.
Accompagné idéalement au piano par Vincenzo Scalera, son complice de récital de longue date, le ténor a fait bien plus que le job. Il y avait deux parties au récital, lui en a rajouté une troisième en offrant pas moins de six « bis » au public en délire. Alors on dira ce qu’on voudra mais on s’abstiendra de dire du mal de Juan Diego. Certes, ce n’est pas un grand mélodiste, assurément, il pourrait (encore) faire des efforts de diction lorsqu’il chante en français (« O blonde Cérès » des Troyens de Berlioz en a souffert), oui, il ne sera jamais un grand Werther malgré ce « Pourquoi me réveiller? » à tirer les frissons, et alors ? L’ivresse et le bonheur ne sont-ils point dans la salle ? A-t-il connu une seule défaillance majeure ? Que nenni.
Dans ce répertoire, Juan Diego Flórez est dans son élément. Il peut naviguer à vue, sans compas ni boussole, tant son savoir-faire est grand, tant sa technique est immense. Il joue avec les notes et se joue des contraintes du yo-yo vocal imposé par les partitions. Tour à tour triste, heureux, facétieux, il suffit d’un mezzo-voce langoureux pour faire craquer les groupies et se lever la salle. Alors oui, le ténor reste entre les barrières imposées par son savoir faire et bisse « Una Lacrima » et la série « en altitude » de « La Fille du Régiment » qu’il avait déjà bissé ici même en 2011. Personne ne lui en veut, c’est son air de bravoure. Et c’est tellement bien fait!
Oui, Juan Diego Flórez est de la race des grands. Avec sa voix et sa disponibilité, lui qui après ce récital XXL n’a pas hésité à assurer, avec le sourire, une séance de dédicaces marathon dans le foyer de l’Opéra. Mais c’est vrai qu’on ne change pas un répertoire qui gagne, pardon, qui rapporte ! Un « pro », un vrai…
Michel EGEA