Aix-Marseille Université : Impact du changement climatique sur l’efficacité des réseaux d’Aires Marines Protégées en Méditerranée

Publié le 27 octobre 2014 à  22h13 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h23

La mer Méditerranée compte plus d’une centaine d’aires marines protégées (AMP) qui doivent assurer le maintien des espèces exploitées sur l’ensemble du plateau continental. La connectivité des populations, assurée notamment par la dispersion des larves en fonctions des courants, est un élément essentiel de l’efficacité du réseau d’AMP. Dans une étude publiée dans Diversity and Distribution, des chercheurs de l’IRD, d’Aix-Marseille Université, de l’Université de Montpellier 2, du CNRS et de Météo-France montrent que le changement climatique affecterait le degré de connectivité des populations de poissons en Méditerranée (+2.8°C à la fin du 21e siècle). En particulier, la distance de dispersion des larves devrait diminuer de 10 % provoquant une réduction de 3 % des surfaces pêchées essaimées par des larves (1) du réseau d’AMP. Ces résultats révèlent les impacts conjugués, physiques et biologiques, du changement climatique sur l’efficacité des réseaux d’AMP.

(Photo aires-marines.fr Yvan Chocoloff)
(Photo aires-marines.fr Yvan Chocoloff)

Les aires marines protégées en mer Méditerranée

La mer Méditerranée comprend plus d’une centaine d’AMP qui jouent un rôle essentiel dans la protection de la biodiversité marine. Ces AMP participent aussi au maintien des activités de pêche en essaimant des larves de poissons vers les zones exploitées. De nombreux efforts ont été entrepris pour augmenter les surfaces protégées, dans l’objectif d’atteindre 10 % avant 2020 (2). La question du positionnement de ces nouvelles AMP reste entière notamment dans un contexte de changement climatique.

Le rôle fondamental de la connectivité

Parmi les éléments indispensables à l’efficacité des réseaux d’AMP, la connectivité (*) joue un rôle clé pour assurer le maintien des espèces. En cas d’extinction d’une population locale, par exemple suite à la surpêche, la connectivité permet une recolonisation par d’autres populations via la dispersion larvaire. Or, une étude précédente (Andello et al. 2013) a montré que le réseau d’AMP en mer Méditerranée est faiblement connecté et essaime seulement partiellement le plateau continental. L’effort de conservation, à travers la création de nouvelles AMP, doit donc veiller à conserver, voir augmenter ce degré de connectivité.
(*) La connectivité est une caractéristique du paysage qui mesure la capacité de déplacement des espèces entre différentes zones d’habitats. C’est un aspect important dans les habitats naturelle- ment fragmentés, comme les habitats marins ou les îles. La connectivité dépend à la fois des caractéristiques de l’habitat (surface spatiale, présence de barrières à la dispersion, présence de compétiteurs ou de pré- dateurs) et des trait des espèces (mobilité)
(1)- Les larves produites dans les aires protégées peuvent être dispersées vers des zones exploitées avec un effet d’ « essaimage ».
(2) – Objectif revue à la hausse en France, qui vise à protéger 20% des habitats marin en 2020.

Les effets du changement climatique sur la connectivité

La connectivité est influencée par de nombreux facteurs liés au changement climatique. Parmi eux, la diminution de la durée larvaire et la modification de la courantologie apparaissent comme deux contraintes majeures. En effet, l’augmentation de la température de l’eau va diminuer la durée de transport larvaire et affecter l’hydrodynamisme des masses d’eaux. Jusqu’à présent, très peu de recherches ont été menées sur les changements de connectivité suite à l’augmentation de température et surtout, aucune n’a été réalisée sur l’impact que ce changement pourrait avoir sur l’efficacité des réseaux d’AMP. Dans cette étude, les chercheurs ont donc, via la modélisation de scénarii, évalué l’impact potentiel du changement climatique sur la connectivité larvaire en Méditerranée et la capacité du réseau d’AMP à maintenir des populations viables pour des espèces exploitées.

Résultats majeurs

Les chercheurs ont simulé la dispersion de larves en utilisant des modèles hydrodynamiques de circulation marine capables de prévoir la vitesse et la direction des courants marins jusqu’à la fin du 21e siècle. Sur la base de ces simulations, ils ont montré que la connectivité entre AMP sera affectée. En particulier, la distance de dispersion des larves subira une réduction de 10 % au cours du siècle (soit 9 km en moyenne). Les scientifiques ont également démêlé les processus physiques et biologiques responsables de cette diminution. La dispersion des larves est un processus complexe régi non seulement par les courants marins, mais aussi par la saison de reproduction des adultes et la durée de vie larvaire. L’étude a mis en évidence que les changements de vitesse et de direction des courants marins auront très peu d’influence sur la dispersion larvaire. Des changements de saison de la reproduction adulte sont également attendus, mais ils n’auront guère de conséquences sur la dispersion des larves. C’est surtout l’effet de la hausse des températures sur la durée de vie larvaire qui aura l’effet le plus fort sur la connectivité, avec en particulier une accélération des taux métaboliques des larves qui engendreront une croissance plus rapide et une dispersion réduite.
Cette hausse des températures provoquera une réduction de la durée de vie larvaire qui serait responsable de la réduction des distances de dispersion d’environ 68 mètres par an. Une telle réduction entrainerait une diminution des surfaces essaimées par les AMP de 3 % soit environs 2 700 000 hectares de plateau continental exploité par la pêche. Néanmoins des effets positifs sont également attendus puisque la connectivité entre AMP pourraient augmenter jusqu’à 5 % pour certaines espèces. En effet, les espèces dont la reproduction est actuellement limitée par les températures froides du Nord de la mer Méditerranée (comme le mérou brun et d’autres espèces thermophiles) seront favorisées par la hausse de la température avec un plus grand nombre d’AMP alimentant le plateau continental en larves.

Issu de l’article Additive effects of climate change on connectivity between marine protected areas and larval supply to fished areas
Authors : Marco Andrello 1, 2, 3 – David Mouillot 4, 5 – Samuel Somot 6 – Wilfried Thuiller 2,3 – Stéphanie Manel 1, 7

-1 UMR 151 – Laboratoire population environnement et développement, Institut de recherche pour le développement – Aix-Marseille Université, site Saint- Charles, 3, place Victor Hugo, 13331 Marseille cedex 3, (IRD/ Aix-Marseille Université)
-2 Univ. Grenoble Alpes, LECA, F-38000 Grenoble, France (CNRS/Université Joseph Fourier/ Université de Savoie)
-3 CNRS, LECA, F-38000 Grenoble, France (CNRS/Université Joseph Fourier/Université de Savoie)
-4 UMR 5119 – Écologie des systèmes marins côtiers, Université Montpellier 2, cc 093, Place E. Bataillon, 34095 Montpellier Cedex 5, (CNRS/Université Montpellier 1 et 2/IRD)
-5 ARC Centre of Excellence for Coral Reef Studies, James Cook University, Townsville, Queensland 4811, Australia.
-6 Centre national de recherches météorologiques CNRM-GAME, Météo-France, 42 avenue Gaspard Coriolis, 31057 Toulouse Cedex, France (CNRS/Météo France)
-7 UMR 5120 – Botanique et bioinformatique de l’architecture des plantes, CIRAD, Boulevard de la Lironde, PS 2, 34398 Montpellier, France (CNRS/INRA/CIRAD/Université Montpellier 2/IRD)

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