Publié le 10 janvier 2015 à 19h47 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h35
J’aurais bien évidemment préféré mille fois commencer ces chroniques pour mes amis de Destimed par un article plus léger, fluide, seulement parler de communication et de politique finalement, puisque tels seront nos rendez-vous à venir. L’attentat de Charlie Hebdo est depuis ce mercredi 7 janvier dans tous les esprits et va sans doute nous hanter pendant très longtemps. Impossible de penser, de parler d’autre chose pour l’heure.
Très vite, sur les réseaux sociaux, les réactions ont été multiples, la très grande majorité sur la même tonalité. Tout le monde écrit avec ses tripes. Tous, nous sommes horrifiés, sonnés, incapables de vraiment réaliser.
Sur les ondes, à la TV, on écoute, on regarde les amis des journalistes de Charlie. En larmes, dignes toujours. Philippe Val, Patrick Pelloux, François Morel notamment sont parvenus à trouver des mots justes.
Très vite aussi, parce qu’il faut remplir l’antenne sur BFM, I-Télé, LCI, on voit défiler des experts, des politologues, d’anciens juges anti-terroristes, des politiques. Qui expliquent et, expliquent encore comment on a pu en arriver à une telle tragédie en plein cœur de Paris. En plein cœur de la République. Il ne s’agit aucunement de désigner des coupables au sein de notre système démocratique. Cela serait indécent. Philippe Val le rappelait parfaitement jeudi matin sur BFM : non, la démocratie occidentale ne construit pas de tels pervers. Partout, dans toutes les régions du monde, Al Quaïda, Daesh, tuent, assassinent. Ces barbares qui ont perpétré le massacre de la rédaction du journal ont cependant grandi dans notre pays, sur les mêmes bancs de l’Éducation nationale que nous.
Tant de questions se posent cependant. Presque des questions d’enfants, posés d’ailleurs dès mercredi soir dans de nombreuses familles.
-«Dis, maman, c’est quoi un intégriste?»
-«Dis, papa, on va pouvoir continuer de dire ce qu’on pense, même si on n’est pas d’accord?»
-«Dis, maman, ils ont un peu cherché les problèmes, à Charlie, non? »
Non, mon enfant, ils n’ont rien cherché d’autre que de s’amuser, boire des coups, et rester libre. Libre de dire, de dessiner, de se moquer, de provoquer parfois à outrance, d’être drôles, ou pas d’ailleurs. Quelle importance, finalement.
Pour ma part, cela faisait quelques années que je n’achetais plus Charlie. Étudiante, c’était un rituel, avec le Canard Enchaîné. Et puis, la vie, les activités chronophages, des journées trop courtes, un peu d’indifférence aussi, ont fait que nous avons été nombreux à délaisser le journal.
En 2006, au moment des plaintes portées contre cette rédaction après la publication des caricatures de Mahomet reprises d’un journal danois, lui aussi menacé, j’avais animé un débat, au nom du journal pour lequel je travaillais, La Provence. Un débat qui portait, déjà, sur le droit de tout dire en France. Un débat animé, où chacun avait pu s’exprimer. Librement justement.
La question de la liberté d’expression va se poser et, il faudra y répondre d’une manière intraitable, sans nuance aucune. Il y a en France des lois (contre le racisme, l’antisémitisme, contre l’homophobie notamment) qui donnent un cadre. Et à l’intérieur de ce cadre, oui, tout est possible. Même le mauvais goût parfois de Charlie Hebdo.
Sur France 2 dans le JT de David Pujadas mercredi soir, après de brillantes interventions de Robert Badinter et de Caroline Fourest, c’est un représentant de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) qui s’est exprimé, arguant que l’organisation était favorable à la liberté de la presse et que c’était au nom de la liberté de penser qu’elle avait porté plainte contre Charlie après la diffusion des caricatures de Mahomet.
Gros malaise : mercredi soir, ce n’était pas le moment de débattre justement et l’on a senti monter la colère de Caroline Fourest. On ne donne pas la parole impunément à l’UOIF, à Tarik Ramadan sans contradicteurs éclairés. La petite musique de la restriction de nos libertés se fait entendre en France depuis des années et, l’on s’y est presque habitué. Comme aux Etats-Unis, où l’on a flouté quelques dessins de Charlie Hebdo pour ne pas choquer. Comme au Financial Times où un éditorialiste a écrit qu’à force de jouer avec le feu…
La France, le pays de Voltaire, de Brassens, de Charb reste un pays à part, laïc, gueulard. Un peu anarchique mais passionné de politique et de débats. Où l’on peut se moquer des curés, des rabbins, des imams mais aussi des adjudants chefs et des politiques.
Un grand frisson nous parcourt depuis l’attentat. Faisons confiance à l’intelligence. Un sacré pari.