Publié le 10 janvier 2015 à 22h55 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h35
C’est une véritable marée humaine qui est partie du Vieux-Port et a dû poursuivre jusqu’au boulevard Périer puisque l’arrêt prévu, comme le veut la tradition, à Castellane était trop proche du point de départ, certains, plus d’une heure après le départ, ne pouvant toujours pas avancer. C’est en effet plus de 100 000 personnes qui ont défilé dans les rues de Marseille seul , en famille, entre amis…, silencieusement, silence interrompu par des salves d’applaudissements, telles des vagues. Moment d’intense émotion réunissant des citoyens de tous âges, toutes catégories, regroupant ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas. Une première manifestation précédent une seconde qui se déroulera ce dimanche à 14 heures.
Ils sont jeunes, tiennent une pancarte portant le nom de leur association qui répond au beau nom de «coexister», avec les symboles du croissant, de l’étoile de David et de la Croix. Ils sont photographiés, applaudis, interrogés. Ils expliquent que ce mouvement a vu le jour voilà six ans à Paris, quatre ans à Marseille, qu’il compte une vingtaine de groupes en France aujourd’hui et commence à se développer à l’international, en Belgique, en Angleterre. «Notre raison d’être est le dialogue inter-religieux, la solidarité, explique Samir, nous sommes invités dans des écoles pour débattre du fait religieux, de la laïcité. Nous insistons sur l’importance de l’éducation, sans elle rien de possible». Puis de prévenir: «Il en est pour penser que, parce que morts, les terroristes ont perdu. Attention, ils sont peut-être en train de gagner en divisant. Nous le disons clairement, la division est un piège à con. Soit nous construisons tous ensemble soit nous nous divisons et alors nous nous détruirons».
«Je suis là pour dire que la barbarie passe, la liberté reste»
Thierry, à quelques mètre de là indique : «Je suis là pour éviter que l’on mélange tout, les musulmans et l’islamisme. Je suis là en solidarité avec toutes les victimes; là pour dire aussi ma colère face à ceux qui s’en sont pris à des dessinateurs, des journalistes, des policiers, des juifs. Je suis là pour dire que la barbarie passe, la liberté reste. Je suis là et je reviendrai demain».
Ali est universitaire, il explique : «Je suis là pour deux raisons. Premièrement en tant que citoyen par choix d’un pays emblématique des valeurs universelles, de l’humanisme et de la liberté d’expression. Deuxièmement, je suis là en tant qu’individu naît par hasard de culture musulmane. Et je suis révulsé que des gens se réclamant de ce patrimoine puissent commettre de tels crimes».
«La violence, ce n’est pas seulement des armes, c’est aussi des mots»
A ce propos, il interpelle: «Ceux qui prétendent parler au nom de l’Islam, que ce soit les autorités religieuses ou ceux qui se revendiquent de sensibilité islamique. Il ne suffit pas de dire que l’Islam ce n’est pas cela. C’est trop facile, c’est trop consensuel. Dites nous ce qu’est votre Islam. Déconstruisez théologiquement ce que vous prétendez ne pas être l’Islam. Sortez de l’ambiguïté, dénoncez le fondamentalisme religieux, terreau de la violence. La violence, ce n’est pas seulement des armes, c’est aussi des mots».
Dans le même temps il constate la montée de l’islamophobie: «Il y a deux fascismes, un vert l’autre brun, les deux, sur le fond, disent la même chose. L’État Islamique a un drapeau noir comme les fascistes espagnols et tous deux disent Viva la muerte. Tous les deux détestent les Juifs».
«Rebâtir une République solide pour le pays en excluant toute forme de haine, de racisme, de xénophobie»
Jean-Marc Coppola, Front de gauche, d’insister sur le fait qu’il n’oppose pas les deux manifestations. «Je serai à celle de demain à l’appel du maire de Marseille et avec tous les républicains. S’il y avait les responsables du Front national cela aurait été autre chose. Je vais être clair, je ne peux pas être aux côtés de ceux qui attisent la haine, le racisme. Je participerai donc aux deux marches même si, je suis pour clarifier le contenu de l’unité nationale qui doit être sur les valeurs et les droits républicains.» «Je pense, poursuit-il, «que l’on est aujourd’hui encore fortement sous le coup de l’émotion et sort l’idée de bâtir et de rebâtir une République solide pour le pays en excluant toute forme de haine, de racisme, de xénophobie. La république est malade, il faut consolider ses valeurs, la liberté qui a été malmenée à travers cet attentat meurtrier. On a besoin d’actions politiques au sens noble du terme.»
la France, c’est ma terre d’accueil, celle qui m’a donné la parole où j’ai enfin pu, librement, commencer à m’exprimer
Soher est une grand-mère qui ne pratique pas la langue de bois et elle lance:
«Ce n’est pas mon Islam et si mon Islam est comme cela, j’arrête tout. On ne tue pas les gens comme cela. J’ai peur pour tous les humains, chacun de nous. On ne peut pas accepter cela. La France est un pays d’accueil pour tout le monde. Et, celui à qui cela ne plait pas, qu’il dégage! Ici on a la liberté, il faut respecter cette liberté. Cela fait 40 ans que je suis en France, c’est ma terre d’accueil. Celle qui m’a donné la parole où j’ai enfin pu, librement, commencer à m’exprimer. Et je la défendrais. Et le voile que je porte, ici, j’ai la liberté de l’enlever. Si on ne met pas de limites à ces actes qui va encore payer les pots cassés? Les juifs et les arabes. Il faut que l’on soit tous ensemble pour arriver à la paix.»
Mathieu, pancarte «Charlie» flanquée dans le dos, est fier de participer à cette marche «pour affirmer mon désaccord face à cette horreur. C’est aussi dommage qu’il faille attendre une situation comme cela pour se rendre compte que l’on peut être solidaire dans des moments difficiles. Il faudrait que ce soit le cas tous les jours chaque matin quand on se lève.»
Fatima Orsatelli, représentante du Conseil régional du culte musulman (CRCM) Paca: «Depuis 3 jours je vis un cauchemar. Comment peut-on faire cela? Et dans le même temps quand je vois la mobilisation, je me dis que de cette tragédie pourra naître quelque chose de bon»
Louise brandit une pancarte où l’on peut lire: «Je soutiens tous les musulmans face à l’État islamique. Non au racisme, non aux amalgames». Et d’expliquer: «Je tiens à soutenir tous les musulmans parce que, après coup, ils risquent d’être fortement punis parce que beaucoup de gens risquent de faire l’amalgame».
Emma est venue en famille de la Ciotat, pour elle: «C’est le devoir de tout Français d’être présent aujourd’hui, de manifester sa solidarité pour Charlie Hebdo, les policiers et les otages et de montrer que l’on ne se laissera pas faire. Il faut que l’on réagisse violemment parce que c’est une guerre que l’on doit mener contre les extrémistes pas contre les musulmans.» Et de regretter qu’:«Il n’y ait pas eu d’unité à Marseille. Nous sommes venus aujourd’hui et demain nous assisterons la marche organisée à la Ciotat.»
Cette jeune fille vient pour la première fois manifester, elle porte bien haut «Je suis Charlie» et lance : «C’est si dur d’être aimé par les cons ».
Une première salve d’applaudissements s’élève. Chair de poule, et puis un cri: «Charlie, Charlie».
«Ils ont voulu nous diviser, ils nous rassemblent»
Alain est venu de Cabriès : «Je suis venu manifester avec mes amis. Je suis là pour faire en sorte que le fascisme, religieux ou d’extrême-droite ne passe pas». De son côté Patrick avance : «Ils ont voulu s’attaquer aux libertés, à la police, aux juifs. Ils ont voulu nous diviser, ils nous rassemblent. Je n’ai jamais connu une manifestation d’une telle ampleur». Pour Jean : «Les terroristes s’en sont pris à la liberté d’expression, à la culture, au concept même d’humanité et un cœur se soulève, une communion d’esprit. C’est notre famille même qu’on a tuée».
«Ce qui est en jeu c’est notre présent mais aussi notre avenir»
Andrée est venue parce que la situation lui est insupportable : «On ne peut que manifester lorsque l’on s’en prend à la liberté d’expression, à la police, aux juifs».
Sebastien Barles, EELV explique s’être inquiété du fait qu’il y ait deux manifestations à Marseille. «Résultat, le monde est là et je me sens bien derrière cette banderole de tête : pour les libertés, contre tous les fascismes. Et demain EELV sera présent aussi car l’heure n’est pas à la division».
Tatiana est venue de Manosque, avec sa grand-mère. Cette dernière de lancer : «Mes parents étaient des immigrés, ils sont venu dans ce beau pays qu’est la France, c’était une évidence que de venir manifester», Tatiana d’ajouter : «C’est épouvantable. Il nous fallait faire un geste, on ne pouvait pas rester chez nous».
Magalie avoue : « De voir autant de monde se mobiliser, cela me donne la chair de poule. C’est important car, ce qui est en jeu c’est notre présent mais aussi notre avenir. Ne pas se rassembler aurait signifié abandonner toute liberté ».
Et on laisse le mot de la fin à Eric qui déclare : «Je suis Charlie, je suis policier, je suis juif».
Patricia MAILLE et Michel CAIRE