Publié le 23 janvier 2015 à 19h35 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h36
Le «Winterreise» de Schubert fascine; un cycle de 24 lieder pour piano et voix composés un an avant sa mort sur des poèmes de Wilhelm Müller. Un Himalaya du romantisme, un voyage d’hiver en forme d’aller simple et obligatoire, vers la mort. Grande est donc la tentation de sortir du simple exercice piano-voix pour aller vers des versions mises en espace, voire mises en scène. L’été dernier, le festival d’Aix-en-Provence nous proposait le cycle interprété par le baryton Matthias Goerne accompagné au piano par Markus Hintehäuser sur une mise en scène de William Kentridge. Une production qui devrait être reprise dès l’été prochain par ce même festival.
En attendant, ce jeudi soir, au Grand Théâtre de Provence, c’est une autre version mise en scène du Voyage d’hiver qui était proposée aux mélomanes, produite par l’Ensemble intercontemporain. Andreas Staier au piano pour accompagner le baryton Georg Nigl était en haut d’une affiche où figuraient aussi les musiciens de l’Ensemble intercontemporain et le directeur musical Julien Leroy. Double particularité de cette production: elle est mise en scène par Johan Simons et comporte des «interstices musicaux» composés par Mark Andre et placés entre quelques-uns des lieder.
Aux côtés du metteur en scène, assisté par Marcello Buscaino, un travail important et fructueux a été réalisé au niveau de la dramaturgie par Jan Vandenbouwe et trouve toute son expression dans des décors minimalistes, mais cohérents, de Michaël Borremans. On entre dans ce Winterreise à la lumière des bougies et nous en sortirons, fascinés, capturés, toujours à la lumière des bougies. Mais si les premières ouvraient le chemin, les dernières sont celles qui entourent le wanderer dans son cercueil. Entre elles, une vie s’est écoulée. Cette mise en scène fonctionne parfaitement et procure une atmosphère très particulière à l’interprétation. Et si la violence et la noirceur sont dans les poèmes, sur scène le voyage s’effectue sans heurts. Les arbres décharnés prennent place de façon presque magique sur la nappe neigeuse immaculée d’une grande table qui se transforme en scène. Et dans cette forêt étrange, le wanderer se souvient de sa vie, de son village. C’est plutôt réussi.
En ce qui concerne les fameux «interstices musicaux», s’ils sont moins convaincants que la mise en scène, ils ne sont pas du tout perturbants et c’est là l’essentiel. Qu’apportent-ils de plus ? Peut-être ce côté lancinant du voyage… Tout en renforçant l’atmosphère si particulière créée sur scène. Les musiciens de l’intercontemporain font, eux aussi, partie du dispositif scénique. Efficace participation avec une mention au clarinettiste Alain Billard, beaucoup plus exposé que ses camarades.
Puis il y a Andreas Staier et Georg Nigl. Est-il vraiment nécessaire de dresser le panégyrique du premier ? Attentif en permanence, c’est lui qui établit la tension du rapport entre la scène et la salle en quelques notes. Son toucher donne toute sa dimension dramatique à la musique et son rythme au voyage. Andreas Staier est un grand musicien, ici au service d’un grand compositeur… Et du baryton Georg Nigl qui travaille avec une voix franche et assurée de quadragénaire. Le phrasé est beau, la projection est à la fois puissante et sensible. Georg Nigl se sort bien d’un exercice de style pas toujours évident car, en scène de la première à la dernière minute, il doit aussi se plier aux exigences de la mise en scène, ce qu’il réussit particulièrement bien.
De la belle ouvrage et une soirée qui méritait d’être vécue pour son originalité, sa richesse et sa nouveauté qui n’ont pas nuit une seconde à ce monument qu’est le «Winterreise».
Michel EGEA