Publié le 12 mars 2015 à 19h21 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h42
«Vox populi, vox Dei». Si la citation a du sens, Dieu a aimé la nouvelle production de «Tosca» dont la première représentation était donnée mercredi soir à l’Opéra de Marseille. Dieu, mais aussi le peuple des « lyricomanes» (et womanes…) qui avait garni copieusement les sièges (de moins en moins confortables et de plus en plus délabrés) ainsi que les strapontins de la vénérable institution. Avec la présence d’une forte colonie de tifosi qui n’a pas hésité à franchir les Alpes et n’a pas ménagé sa peine pour encourager le ténor, Giorgio Berrugi. Bref, ambiance des grands soirs matinée, parfois, d’une certaine complaisance pour ne pas faire cas des quelques imperfections relevées, ça et là, au sein de la distribution. Les temps changent, mon bon Monsieur, et il est loin le temps où le public réagissait à la moindre incartade vocale. Et qu’auraient pensé nos anciens d’un final où Tosca, déchirée de douleur, ne se jette pas dans le Tibre du haut de la tour du Château Saint-Ange mais donne rendez-vous à Scarpia devant Dieu, en s’accrochant au rideau de scène, éclairée par une poursuite qui va decrescendo pour s’éteindre alors qu’elle n’éclaire plus que le visage de l’héroïne?
S’il n’y a qu’un reproche, mais vraiment qu’un seul, à faire à Louis Désiré, le metteur en scène, créateur des décors et des costumes, c’est celui-là. Et seulement celui-là. Ce final iconoclaste surprenant pour ceux qui hissent cette œuvre au rang du mythe et peu compréhensible par les autres qui, s’ils ne connaissent qu’une chose de cet opéra de Puccini, c’est le «saut de l’ange»… Dommage, car jusque-là, Désiré le Marseillais avait fait un sans faute.
Usant d’un intelligent dispositif scénique central rotatif pour installer les lieux de l’action, il instaure d’entrée de jeu une ambiance dramatiquement pesante qui perdurera tout au long de l’œuvre. Ce avec la complicité, et le talent, de Patrick Méeüs qui signe les éclairages. «J’ai voulu tenter le pari d’une Tosca cinématographique», écrit Louis Désiré dans sa note d’intention. Pari gagné en installant les protagonistes dans une intimité de tous les instants, jouant seulement avec un effet panoramique au moment des entrées et sorties des personnages. Action resserrée, intense, exacerbation des sentiments : cette production a du caractère. Ajoutez à cela quelques trouvailles de génie comme le double portrait chargé de symboles de la Madone (une brune, une blonde) dans le chœur de l’église Santa-Andrea ou la cage prison de Mario au dernier acte qui fonctionne merveilleusement bien, vous obtenez une belle réussite… Jusqu’au fameux final évoqué plus haut. Concédons cependant un solde largement créditeur à Louis Désiré et à ceux qui ont travaillé à ses côtés. Largement créditeur, aussi, au soir de cette première, le compte du maestro Carminati. Sa direction sublime la musique de Puccini. Il travaille un son étonnant d’intensité et de tension dramatique à l’instar de ce qui se déroule sur scène. C’est puissant, solide, charpenté, sombre; une musique parfois à fleur de nerfs servie par cet orchestre de Marseille se trouvant face à une partition qu’il affectionne tout particulièrement. Ici rien n’est fait au hasard et le rendu est magnifique.
Un «Te Deum» d’anthologie
Puis, il y a la distribution. Dans un environnement sombre et pesant, Tosca se meut comme une étoile parée d’or. Autour d’elle, tout est gris, depuis les enfants de chœur incarnés par les pensionnaires de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône, une fois de plus parfaitement préparés par Samuel Coquard, leur directeur musical, jusqu’au teint de Mario qui part à la mort sans le savoir, en passant par les curés calottés qui ne sont autres que les membres du chœur de l’Opéra. Une seule apparition, pour eux, mais quelle prestation ! Un «Te deum» d’anthologie, point final d’un premier acte ravageur écrasé, broyé, par la voix de fer d’un Scarpia que l’on voudrait étrangler. Ce dernier, c’est Carlos Almaguer, massif, inquiétant, cruel, voix sombre et noire d’un baryton maîtrisant son art. Projection idéale, puissance, jeu assuré, le Mexicain est tout à fait à sa place dans ce rôle. Tosca, c’est Adina Aaron. Nous l’avions quittée, avec les larmes aux yeux, il y a quelques mois en Avignon, aux côtés de Roberto Alagna dans cette géniale production du «Dernier jour d’un condamné» mise en scène par Nadine Duffaut et, nous la retrouvons ici, élancée, amoureuse, jalouse, Tosca pleine de grâce et de vie entre l’église Santa-Andréa, le palais Farnese et le château Saint-Ange. Tout le monde a pour elle les yeux de Chimène et elle le mérite bien. Elle donne une belle dimension, ainsi qu’une épaisseur psychologique intéressante, à l’héroïne. Vocalement, la ligne de chant est là, belle mais, Adina Aaron semble parfois être un peu sur la retenue. Il est vrai qu’un soir de première, et encore plus pour Tosca à Marseille, la tension et l’attention doivent être extrêmes. Son «Vissi d’arte» fut émouvant et rien que pour ça son succès est mérité.
Le Mario de Giorgio Berrugi n’a pas vraiment séduit. S’il est, physiquement, un idéal Cavaradossi, vocalement il nous a semblé mal à l’aise, manquant parfois d’assurance, prenant quelques libertés avec la justesse. Certes, il a donné un «lucevan le stelle» fort en sentiments mais nous aurions aimé un ténor plus assuré, surtout pour l’acte deux. Aux côtés du trio majeur, une mention à Antoine Garcin pour son interprétation d’Angelotti : beau jeu, belle voix. Bravo. Jacques Calatayud, le sacristain, Loïc Félix, Spoletta, Jean-Marie Delpas, Sciarrone, Rania Selmi, Antoine Bonelli et Marc Piron ont livré des prestations de qualité, participant eux aussi activement au succès de cette représentation. Une nouvelle production 100 % marseillaise à découvrir sans hésitation. En espérant qu’elle fasse ensuite du chemin sur d’autres scènes. Elle le mérite bien.
Michel EGEA
Pratique. Autres représentations les 13, 18 et 20 mars à 20 heures, le
15 mars à 14h30. Renseignements et locations au 04 91 55 11 10 ou 04 91
55 20 43. opera.marseille.fr