Publié le 18 mars 2015 à 20h06 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h43
Deux ans après « Le sermon sur la chute de Rome » (prix Goncourt 2012) le dernier livre de Jérôme Ferrari, raconte au milieu des années 70, la fascination d’un jeune aspirant-philosophe pour le physicien allemand Werner Heisenberg dont les avancées théoriques dans les années 1930 ont révolutionné le monde scientifique. Génie pour certains, salaud pour d’autres pour avoir tenté de doter les nazis de la bombe atomique, il n’en demeure pas moins l’une des figures marquantes du siècle dernier pour ses travaux sur la mécanique quantique.
Dans la chambre à brouillard, les électrons dansent leur course folle. Le fameux « principe d’incertitude » est né. Werner Heisenberg, jeune allemand, savant prodige, observe la beauté de leur illisible trajectoire. Il a tout juste 26 ans et très vite ses recherches dans le domaine de la mécanique quantique lui vaudront le prix Nobel en 1932. Encore aujourd’hui sa personnalité divise, car ce scientifique hors pair, encensé ou dénigré, reste celui qui a tenté de doter les nazis de la bombe atomique.
Il se dévoile dans toutes ses facettes, y compris les plus inattendues dans ce livre de Jérôme Ferrari porté par de longues phrases ondulatoires comme les aime l’auteur. Mais ce qui est le plus touchant est la façon dont ce roman qui convoque forcément les grandes tragédies du dernier conflit mondial oscille en permanence, comme une vague qui s’échoue sur la rive entre l’âme de l’homme et la beauté du monde, aussi mystérieuses l’une que l’autre.
Une lourde décision
Né en Bavière, Heisenberg décide en effet de rester en Allemagne en 1936. Cette décision va l’obliger à accepter des compromis, de répondre aux sollicitations pressantes du régime nazi, qui l’enjoint de mettre patriotiquement ses géniales compétences au service du programme atomique voulu par Hitler. Contrairement à d’autres scientifiques qui vont fuir devant les horreurs de la guerre et leur contribution à celle-ci que l’on exigeait, lui se maintient à son poste. Il n’a pourtant aucune sympathie pour Hitler, mais chaque matin, à l’université où il enseigne il fait devant ses élèves le salut nazi. Très vite, ses moments d’extase scientifique, cette liberté d’évasion qu’offrent à l’imaginaire les sciences pures seront confrontés à la plus effroyable des réalités. Ce qui n’empêche pas Heisenberg de poursuivre ses recherches, de travailler sans relâche au concept, puis à l’élaboration de cette bombe atomique que l’Allemagne veut être la première à posséder.
Quand l’onde de choc d’Hiroshima le soir du 6 août 1945 l’atteint à son tour, son comportement va à tout jamais diviser la communauté scientifique.
« Après une tempête de réactions confuses où se succèdent et se mêlent l’incrédibilité, l’horreur, la curiosité, la déception, l’amertume« , rapporte l’auteur, si dans un premier temps tous ceux qui l’entourent se montrent soulagés de ne pas avoir construit cette arme fatale, très vite ils sont aussi terriblement vexés que les Américains y soient parvenus en exploitant sans vergogne une découverte allemande.
Aujourd’hui encore le cas Heisenberg reste une énigme. Génie pour certains, «figure stéréotypique de l’érudit allemand aveugle à la politique; aux ordres, il incarne la capitulation des universitaires allemands», résume un spécialiste du nucléaire. Il n’en reste pas moins un salaud pour ceux qui voient en Heisenberg à l’inverse d’Einstein, effigie antinazie, une collaboration active et passive avec le Mal.
Alors, qui était-il vraiment ? Enseignant et chercheur génial, ou sinistre collabo? Ou bien encore traître accusé d’avoir en sous-main travaillé pour l’ennemi?
Il ne semble pas y avoir une seule réponse à ces questions. Pour Jérôme Ferrari « c’est même indécidable » avant de préciser : « mettez tous les éléments de sa vie sur papier: vous lui décernerez une médaille ou vous l’enverrez en prison« .
Le Principe de Jérôme Ferrari, Actes Sud -161 pages – 16,50 €