Publié le 26 mars 2015 à 16h24 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h47
Les spectateurs aixois du Théâtre du Jeu de Paume découvraient subjugués en mai 2012 «Ô Carmen », spectacle mis en scène par Nicolas Vial adapté du chef d’œuvre de Bizet, avec le phénoménal Olivier Martin-Salvan incarnant tous les personnages du plus connu des opéras français. Ce qui frappait tout d’abord, c’est l’aspect pictural de la pièce. Chaque scène conçue comme un tableau offrait plusieurs niveaux de lecture, explorant différentes pistes dont celles conduisant vers le burlesque. Hymne à la création, hommage à tous les acteurs, «Ô Carmen» signalait, et c’est le deuxième élément frappant du spectacle, la force d’interprétation d’Olivier Martin-Salvan. Seul en scène, il semblait posséder un sens du dédoublement infini. Même impression avec ce «Pantagruel» donné au Jeu de Paume en partenariat avec les A.T.P. où l’acteur campe avec un bonheur égal toute la galerie des personnages créés par Rabelais. Performance physique, (il se transforme sans cesse, il se démultiplie, il enchaîne les scènes très différentes,) mais aussi intellectuelle car il faut un sacré don de mémoire et d’analyse conceptuelle pour intégrer pareil texte, et en rendre dans un élan continu toute la saveur. Acteur né sachant tout faire de sa voix qu’il module et à qui il fait prendre tous les timbres, (l’entendre imiter Pantagruel bébé ou imiter les farfadets est irrésistible), Olivier Martin-Salvan impressionne une fois encore, et impose admiration et respect. Le passage où il énonce tous les enfantements successifs pour arriver jusqu’à Pantagruel confine à l’exploit. Les scènes à Angers, Orléans puis à l’Université de Paris sont elles aussi inoubliables. Mais ce «Pantagruel» là ne se résume pas uniquement à une fabuleuse prestation d’acteur. C’est aussi un spectacle d’une beauté formelle confondante. Mis en scène par Benjamin Lazar qui, aidé dans cette tâche par l’acteur, ne s’est pas contenté de découper le texte avec pertinence, «Pantagruel » est une fête des mots mais aussi du son. L’apport musical des flûtes, du cornet, du luth joués par Benjamin Bédouin et Miguel Henry apporte un supplément de couleur aux verbes. Couleurs justement car là encore nous semblons passer d’une œuvre picturale à l’autre avec ce sentiment que le metteur en scène ne s’en est pas tenu à un seul regard sur les choses dites, inventant à chaque seconde des manières nouvelles de mettre les éléments en relation et de les faire cohabiter dans un grand élan fictionnel. Pantagruel qui raconte mille histoires est d’une beauté à couper le souffle. Jeux de lumière, mélange d’ombre et de fulgurances, le pays de l’utopie est signalé par des ballons représentant des sortes de méduse, tandis qu’avec une seule lampe néon portée par Olivier Martin-Salvan tout un monde fantasmagorique surgi aux yeux du spectateur. Merveille servant à la fois Rabelais et l’acteur, «Pantagruel» conçu ainsi par Benjamin Lazar fera date. Le genre de spectacle parfait qu’on se surprend à vouloir retourner voir dès que le rideau est tombé.
Jean-Rémi BARLAND
Au Jeu de Paume jusqu’au 28 mars à 20h30