Publié le 3 mai 2015 à 21h55 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h55
Hervé Balladur est né à Marseille en 1951, d’une mère normande et d’un père marseillais mais né en Turquie : «Dans ma famille paternelle, on était des Levantins, des Français installés en Turquie pour faire du commerce avec le pays, mais en 1925 Mustafa Kemal profite du complot de Smyrne pour se débarrasser de tous les ressortissants étrangers, de manière un peu sanglante d’ailleurs. Mon grand-père s’est donc retrouvé à Marseille, après avoir quitté précipitamment la Turquie, avec sa femme et ses six enfants, trois filles et trois garçons, dans un appartement du boulevard Chave. Pourquoi Marseille ? Sans doute parce que c’était un port tout simplement…». Des années plus tard, Robert, le père d’Hervé, fait une brillante carrière dans l’Armée, un de ses frères dans la politique -et une belle carrière également puisqu’il s’agit d’Édouard Balladur, ancien Premier Ministre- et Pierre, l’aîné, a créé une affaire de transit à Marseille. Il était spécialisé dans le café, à l’époque c’était du café en vrac, dans des sacs, il n’y avait pas de containers. Les cargaisons se négociant durant le voyage, le dernier acheteur demandait à son transitaire de s’occuper de l’importation après avoir agréé que le café était bien conforme à sa commande en terme de quantité et de qualité. Il était également en charge des opérations douanières et de livraison. Hervé, qui travaillait pendant les vacances chez son oncle, rentre naturellement à la fin de ses études chez Godrand, un gros transitaire. Là, il va apprendre le métier sur le terrain… c’est-à-dire sur les quais ! «Aujourd’hui le métier de transitaire a beaucoup évolué, le contact avec la marchandise et le navire s’est perdu, c’est devenu un métier différent mais tout aussi passionnant», explique-t-il.
Après cinq années passées chez Godrand dont un an et demi dans le Pacifique à Tahiti, Hervé démissionne et part avec un sac à dos à New York. Il veut voyager et parcourt durant une année les États-Unis et l’Amérique du Sud, une belle aventure de globe-trotter, sa «crise d’adolescence», dit-il. Après quoi, il revient tranquillement à son métier. Il travaille alors deux ans à Lyon pour un transitaire marseillais qui avait un bureau là-bas, ensuite chez Cavalier à Marseille et puis il est embauché chez Daher, son dernier employeur. Mais en 1987, il quitte cette belle entreprise familiale: «Parce que les orientations qu’ils prenaient ne me correspondaient plus, la preuve c’est que Patrick Daher aujourd’hui ce n’est plus un transitaire, c’est un assembleur, presque un industriel. Il a réussi une mutation fabuleuse mais qui m’éloignait de mon métier, alors j’ai pris ma machine à écrire portable et je me suis installé dans les bureaux d’un transporteur routier. J’ai démarré comme ça !».
Depuis Hervé Balladur est PDG de HBI (Hervé Balladur International), un «Organisateur de transport maritime» qui en plus des opérations douanières classiques, fait de la coordination de transport pour lequel le transport principal est un transport maritime. L’entreprise emploie une quarantaine d’employés, avec trois bureaux extérieurs (Lyon, le Havre et New York). Une grosse PME donc et non une multinationale, ce qui pour Hervé est «un choix personnel» car il n’a jamais voulu trop grossir, et ce pour deux raisons : pouvoir continuer à exercer son métier de transitaire et rester vivre à Marseille. HBI fait partie des dernières entreprises indépendantes dans le maritime. «Une ville portuaire comme Marseille a vécu du commerce maritime depuis 2 600 ans et cela était basé sur des hommes qui avaient leur ancrage et leur entreprise ici. La mondialisation, la globalisation, la centralisation parisienne et aussi l’incapacité des hommes politiques locaux à avoir une vision économique d’avenir ont fait que toutes ces familles du maritime ont disparu petit à petit. Les boîtes ont été rachetées par des groupes, confie-t-il, des indépendants dans notre monde professionnel qui compte 22 professions, il n’y en a quasiment plus, d’où la difficulté d’animer nos associations professionnelles car on a maintenant des directeurs d’agences ou de succursales qui ne sont pas aussi impliqués que l’était un patron local».
Très engagé dans son métier, Hervé Balladur est également Président de Via Marseille Fos, une association de promotion du Port de Marseille-Fos qui regroupe l’Union Maritime et Fluviale (UMF), la Chambre de Commerce (CCIMP), le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) et dorénavant Marseille Gyptis International (MGI) et la Ville de Marseille. «Il y a peu de gens aujourd’hui qui s’engagent dans la promotion du Port de Marseille, car pour faire ça, il faut croire en sa ville, il faut avoir envie de pérenniser l’activité de son territoire. Et, je reste convaincu que Marseille est un port de commerce et non d’industrie, la preuve c’est que contrairement à beaucoup de ports dans le monde -la plupart vivent sur les containers de passage, ce qu’on appelle le transbordement- nous, à Marseille, c’est le commerce qui passe par notre port, qui nous fait vivre. Marseille est un port marchand et le restera parce qu’on a une culture méditerranéenne de l’échange, cela fait partie de notre capital génétique», ajoute-t-il. Cette association est née après des années de grèves dont tout le monde est sorti en morceaux… Il a fallu partir à la reconquête des clients perdus. Mais après la réforme des ports en 2008 qui a consisté à transférer les employés des ports aux entreprises de manutention, et donc au privé en quelque sorte, il n’y a plus eu de grèves de dockers : «En même temps on a fait une grosse action pédagogique, on a associé les dockers à notre réflexion professionnelle, à la récupération de la clientèle et aux difficultés que l’on a à augmenter nos parts de marché. Ils ont pris conscience de la fragilité du Port, ce n’est plus la poule aux œufs d’or depuis longtemps ! Et ils ont compris aussi que le corporatisme avait ses limites. Même si la CGT reste la CGT… aujourd’hui je les trouve très constructifs et j’entretiens avec eux de très bonnes relations». Hervé Balladur est optimiste. Il ne parle pas de crise parce que «la crise, c’est pour les gens qui profitent de la crise !» mais pense au contraire que le Port de Marseille se porte plutôt bien, qu’il a retrouvé une certaine fiabilité et que de toute façon le commerce maritime jouit d’une croissance naturelle, presque mécanique, puisque 90 % des produits que l’on consomme sont transportés par voie maritime. «Et puis, j’ose à penser que les efforts et la promotion que l’on fait depuis quelques années a porté ses fruits», avoue-t-il. Une belle histoire de port et de transport qui n’est pas finie, loin de là, puisque Hervé est en train de passer la main à son fils, Clément Balladur.