Publié le 22 mai 2015 à 21h30 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 18h57
Futurs, un beau titre plein de promesses pour une belle exposition qui permet d’appréhender ce qu’est l’avant-garde artistique. Au Centre de la Vieille Charité elle rassemble du 22 mai au 27 septembre une centaine d’œuvres de 80 artistes mondiaux universellement connus qui ont laissé sur les toiles la trace de leur vision du futur.
Une exposition qui montre l’importance de l’imaginaire de ces grands maîtres de la peinture inspirés des découvertes scientifiques et techniques des 20e et 21e siècles. Malgré les contraintes de ce lieu historique dont on ne peut malheureusement pousser les murs des salles voûtées de la Vieille Charité pour prendre du recul et admirer à loisir des œuvres jamais vues à Marseille de Matisse et Miro ni rehausser les plafonds pour profiter de la vision aérienne des mobiles de Calder dont la scénographie permet de se représenter l’évolution de l’imaginaire.
Le titre de cet événement présenté tout l’été est «Futurs. Matisse, Miro, Calder… » et en sous-titre «De la ville aux étoiles». On commence à Metropolis et on finit dans l’espace. Mais ces trois grands ne sont pas les seuls artistes présentés à s’être saisis de la science dans l’industrie et des bouleversements de l’architecture grâce aux nouvelles technologies permettant la construction de gratte-ciel et la multiplication de cheminées d’usines crachant des vapeurs aujourd’hui condamnées au nom de l’écologie. Au nombre des visionnaires de ce bouleversement, le plus connu des artistes est le soviétique Kasimir Malevitch et sa vision futuriste en architecture dans les années 20 avec ses tours Alpha, Beta et Gota dont une maquette est exposée. Il a été visionnaire aussi en arts plastiques et l’un des maîtres de l’abstraction et de la peinture contemporaine, inventeur notamment de la peinture monochrome. Mais son avant-garde ne plaira pas à Staline qui condamna son œuvre à l’oubli après l’avoir encensé sous Lénine comme l’un des plus dignes représentants de l’Union Soviétique naissante ou toutes les utopies étaient possibles.
«La prééminence de la science et l’avènement de son emprise dans les domaines de l’architecture, de l’industrie, de la technologie, de la machine, de la vitesse, de l’astronomie, au début du 20ème siècle, inspirent l’imaginaire des artistes et font émerger dans toute l’Europe et aux États-Unis une conception nouvelle de l’art qui se manifestera sous formes différentes selon les pays et les mouvements, prenant une dimension poétique, futuriste ou utopique», écrit Christine Poulain dans son introduction au catalogue de cette exposition. «Par voie d’anticipation, ils parviennent à développer une esthétique visionnaire reflétant des mondes parallèles et imaginant ce que pourrait être le futur ou ce qu’aurait pu être le présent », ajoute la directrice des musées de Marseille qui en est aussi le conservateur en chef et commissaire de cette exposition avec son adjoint Guillaume Theulière.
«Cet esprit visionnaire, qui rejoindra bientôt la réalité», est à l’origine des avant-gardes qui ont radicalement transformé la représentation artistique jusqu’à aujourd’hui»,conclut-elle dans son avant-propos qui nous donne la clé de cette exposition organisée par la ville de Marseille et la Réunion des musées nationaux.
Trois grandes périodes ont été retenues pour présenter ces œuvres ont précisé les commissaires d’exposition lors de la visite de presse à la veille de l’ouverture ce vendredi: «Metropolis», «la guerre des mondes» et «l’Odyssée de l’espace» en s’appuyant sur des œuvres majeures de fiction des 19e et 20e siècles.
« Metropolis » tout d’abord qui «montre comment les artistes ont pu être influencé au début du 20ème siècle par les progrès de l’industrie», souligne Christine Poulain. Une première partie construite autour du film datant de 1927 de Fritz Lang dont on retrouvera le héros futuriste sculpté par Rudolf Belling en 1923 dans la deuxième partie de l’exposition. On découvre aussi le «précisionnisme» donnant une vision «pure» d’architectures d’avant-garde de Charles Demuth (1933), Josepg Stella (1935-36), Charles Steller (1951) et Georgia O’Keeffee (1970) dans une période de plus de 50 ans, de l’entre-deux guerres à l’après deuxième guerre mondiale.
On peut aussi être confronté à une vision d’un monde déshumanisé et sans espoir de lendemains qui chantent comme les tableaux de Franz Radziwill de paysages désolés sur fond noir (1928), de Carl Grossberg (1925 et 1927) ou de Bernard Boutet de Monvel (1928 et 1930). Et puis au milieu de cette sinistrose ambiante propre à ces époques, le «modulateur espace lumière» de Laszlo Moholy-Nagy (1922-1930) apporte une note d’espoir avec une installation tournicotante de métal, bois, verre, et miroirs reflétant la lumière qui pourrait être une préfiguration d’un satellite…
La deuxième période, «la guerre des mondes» reprend le titre du livre de Hubert Georges Wells de 1898 à la fin du 19e «qui donne une vision prémonitoire des deux guerres mondiales et de la guerre froide», précise la commissaire de l’exposition. « Comment l’homme a-t-il pu devenir une marionnette, un mannequin, une machine guerrière »,ajoute-t-elle.
Les œuvres présentées sont très éclectiques et colorées, parfois même violentes, entre la vision «daliesque» de Victor Brauner et son homme robot surréaliste (1934) et les B52 larguant des tubes de rouge à lèvre en guise de bombes au napalm de Wolf Vostell (1968) en pleine guerre du Vietnam aux toiles de couleurs vives voire criardes annonçant le Pop Art de Bernard Rancillac avec «la conquête de la lune» (1966) et la «fiancée de l’espace» (1965) qui font une transition avec la dernière partie intitulée «l’Odyssée de l’espace».
C’est encore une référence à une œuvre majeure du cinéma et de la science-fiction pour cette troisième partie ou «comment les artistes ont pu appréhender le futur, l’espace et l’infini comme les poèmes étoilés de Miro», déclare Christine Poulain à l’issue de cette visite de presse. On y retrouve Icare d’Henri Matisse (1947) qui sert d’affiche à l’exposition, de magnifiques Miro dont «la danse des personnages et d’oiseaux sur ciel bleu, étincelles» (1968) du Max Ernst incontournable et du Mondrian dont Calder s’inspira pour ses mobiles, affirme Mme Poulain.
Cette exposition très riche en trois étapes se termine avec un bonus dans la Chapelle de la Vieille Charité autour de la bulle de miroirs souples gonflable de Bruno Peinado (2004-2005). On y découvre aussi, et c’est toujours une surprise, une très belle sculpture de Richard Baquié «recherche de la certitude» de 1989 encore d’actualité en 2015. Enfin une œuvre très originale créée spécialement pour cette exposition par «la fratrie» des deux frères, Karim et Luc Bachiche dit Le Quesnoy. Elle représente la cité radieuse du Fada dévastée par les changements climatiques et la mer en naufragée sur un rocher aérien comme dans un film d’animation japonais. «Une œuvre qui pourrait être reprise par le Mamo d’Ora Ito sur le toit du Corbu», a espéré à haute voix Guillaume Theulière qui semble voir dans cette œuvre le début d’une autre période futuriste plus apocalyptique encore dont se saisissent les artistes de la planète qui fut autrefois bleue comme une orange.
Antoine Lazerges
Centre de la Vieille Charité- Galeries du rez-de-chaussée et Chapelle – 2, rue de la Charité, 13002, Marseille Tél : 04.91.14.58.80/56 – Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h – Tarifs : plein 10€ / réduit 8€ – Plus d’infos: futurs.marseille.fr
En complément le FID, Festival International de Cinéma, organise la projection d’une sélection de films au cinéma « Le Miroir du Centre de la Vieille Charité » tous les samedis du 23 mai au 18 juillet 2015. Ce cycle de projection proposé par le FID Marseille s’intégrant à la thématique de l’exposition « Futurs. Matisse, Miro, Calder… ». Pour plus d’infos : fidmarseille.fr et futurs.marseille.fr FID Marseille: 04 95 04 44 90 ou welcome@fidmarseille.org