Elle incarne « Nannetta » dans « Falstaff » à l’Opéra de Marseille : Rencontre avec Sabine Devieilhe, la soprano française que tout le monde veut engager

Publié le 3 juin 2015 à  20h21 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  19h16

Elle est aussi discrète que talentueuse. Normande, elle est née à Ifs à proximité de Caen. A même pas 30 ans, elle illumine les scènes des opéras de toutes ses qualités. Sa voix et son jeu séduisent et impressionnent. Aujourd’hui, les plus grandes maisons, un peu partout dans le monde, veulent la faire signer.
En quatre ans, elle est devenue une étoile qui brille de plus en plus au firmament lyrique. A Marseille, où elle incarne «Nannetta» dans «Falstaff», la jeune femme nous a accordé une interview.

En quatre ans, Sabine Devieilhe est devenue l’une des sopranos les plus réclamées dans le monde de l’art lyrique. Jeunesse, simplicité, travail, écoute la caractérisent (Photo Marc Ribes-Erato)
En quatre ans, Sabine Devieilhe est devenue l’une des sopranos les plus réclamées dans le monde de l’art lyrique. Jeunesse, simplicité, travail, écoute la caractérisent (Photo Marc Ribes-Erato)

Destimed: En remontant le cours de votre jeune vie, où se situe le premier point de contact avec la musique?
Sabine Devieilhe:En fait, j’ai chanté avant de parler. Mes parents étaient mélomanes et écoutaient beaucoup de musique à la maison ; et pas que du classique… La première fois où un instrument est entré chez nous c’est lorsque ma grande sœur, qui était âgée de 5 ou 6 ans, s’est éprise du violon. Alors moi je me suis tournée vers le violoncelle.

Une petite fille veut être fée, princesse, soigner des animaux, mais chanteuse ou musicienne c’est plus rare, non?
Lorsque j’étais enfant, je n’ai jamais assimilé la musique à un métier. Je voulais être vendeuse de cadeaux… Et c’est peut-être ce que je suis vraiment aujourd’hui.

Quel a été le déclencheur du passage de la pratique instrumentale et chorale à la carrière de soliste?
Certainement le jour où Valérie Fayet, chef de chœur au conservatoire de Caen, m’a repérée et m’a conseillée de devenir soliste. Dans le chœur, j’appréciais le côté collectivité, ensemble, solidaire. Et lorsque je me suis retrouvée soliste sur une scène, j’ai aussi retrouvé un côté collectif, cette union de tous les artistes et corps de métiers qui font vivre l’opéra. Une chose est certaine : en me conseillant ainsi, Valérie Fayet représentait à mes yeux la confiance des professionnels à mon endroit.

Dans votre biographie, vous citez une dizaine de professeurs de chants. N’est-ce pas un peu trop?
Au regard de mon âge, la place des études est encore très importante; j’apprends encore mon métier. J’ai rencontré, en quelques années, beaucoup de gens et ce sont eux qui m’ont fait devenir chanteuse. Tous ont compté à leur façon et je tiens à ce qu’ils soient au rang de ceux qui ont été à mes côtés, même si aujourd’hui je travaille principalement avec Elene Golgevit.

Présentez-nous votre voix…
On s’est rencontré il y a longtemps et on a encore beaucoup de choses à apprendre l’une de l’autre. Comme moi elle a beaucoup évolué et elle continue de me surprendre. On prend soin l’une de l’autre; elle guide mes pas en pensant aux années à venir. C’est elle qui me permet, ou non, d’envisager certains rôles.

Entre la musique ancienne, les compositions contemporaines, en passant par le bel canto, c’est un grand écart vocal que vous pratiquez régulièrement. C’est une prise de risque, non?
Oui, bien sûr. C’est ce qui me plait dans le spectacle vivant, les gens dans la salle attendent de savoir si ça passe ou ça casse et nous, sur scène, il faut dépasser la technique vocale, pratiquer le lâcher prise pour faire du théâtre, prendre le rôle. Une chose est certaine, je me retrouve plus dans Lakmé ou Mélisande que dans la Reine de la Nuit. Mon but est de profiter des couleurs de mon instrument qui peut aller loin dans les aigus, mais aussi de consolider le medium.

Nannetta est un bon rôle pour ça, non?
Tout à fait. Il me donne l’occasion de bien travailler le medium. Puis le bel canto c’est une vraie école de chant. On ne peut pas être sur de mauvais rails lorsqu’on chante du bel canto.

Que vous apporte la pratique chorale, notamment avec Pygmalion?
Plusieurs choses. D’abord le travail d’écoute des autres qui est primordial, que ce soit sur scène en tant que soliste, mais aussi dans un chœur. Cette pratique permet de se positionner dans une harmonie. Puis c’est l’occasion de relativiser le statut de soliste. J’adore le chœur, je viens de là; cela permet de mieux comprendre la musique.

En 2013, la Victoire de la révélation lyrique de l’année a-t-elle changé votre vie?
Non, ça n’a pas changé ma vie ; ça a changé mon rapport au public. Être exposée par le biais de la télévision est un vrai pont vers ce public et cela m’a donné l’occasion de retrouver des personnes perdues de vue.

Et la grande Victoire de soliste lyrique de l’année en 2015?
C’est un grand honneur, mais professionnellement cela n’a pas changé grand chose.

En quatre ans, entre 2011 et 2015, vous êtes passée de l’ombre à la lumière. Comment vit-on cela lorsque l’on se situe entre la jeune fille et la jeune femme?
C’est grisant et étourdissant, parfois… Mais je reste toujours très timide. Puis cela peut ramener de façon brutale à la réalité. En pensant qu’en 2011 j’auditionnais pour des rôles que j’ai chantés l’an dernier, j’ai pris conscience de l’échelle temps qui est la nôtre. On signe des contrats pour dans quatre ou cinq ans; mais à ce moment là où en serons-nous avec notre voix. Pour l’heure j’ai la chance de faire un métier passion et lorsque les gens me disent que je les ai touchés, j’ai rempli mon contrat. J’essaye aussi de respecter cette règle : il faut toujours savoir pourquoi on est là, toujours être en phase avec son travail pour mériter ce qui nous arrive.

Comment envisagez-vous les années qui arrivent?
J’ai envie de les vivre pleinement, de conserver le côté ludique de mon métier. J’adore l’adrénaline de la scène, mettre un costume et devenir quelqu’un d’autre. J’essaye de ne garder que le meilleur sans occulter le fait que c’est fatiguant, qu’il faut voyager, qu’il y a du stress, des soucis. Mais, je ne veux pas que la prudence devienne une obsession. L’idéal est de mener vie professionnelle et vie personnelle de façon épanouie.

En parlant de vie personnelle j’ai lu que vous aviez refusé la proposition de votre maison de disque d’enregistrer avec votre compagnon Raphaël Pichon. C’est exact?
C’est faux puisqu’en novembre un enregistrement consacré à Mozart sort chez Erato avec Pygmalion et Raphaël Pichon. Mais, vous savez, je refuse totalement de parler de ma vie privée ; c’est une ligne de conduite immuable. Je préfère parler du travail…

Ce travail, au disque, c’est «Rameau : le grand Théâtre de l’Amour» chez Erato, «Köthener Trauermusik» de Bach et «Castor et Pollux», de Rameau, avec Pygmalion et Raphaël Pichon chez Harmonia Mundi. Quant à Sabine Devieilhe on la retrouve sur la scène de l’Opéra de Marseille pour «Falstaff» et à la télévision, sur Arte, samedi 6 juin à 20h50 pour une grande soirée consacrée à Rameau.

Propos recueillis par Michel EGEA


Sabine Devieilhe du tac au tac

-Bach ou Rameau ? Bach
-Baudelaire ou Alfred de Musset ? Baudelaire
-Vienne ou Milan ? Vienne
-La Manche ou la Méditerranée ? La Manche
-Delibes ou Debussy ? Debussy
-Ben Hur ou Kill Bill ? Kill Bill
-De Funes ou Gad Elmaleh ? Gad Elmaleh
-Tristan et Isolde ou Le Chevalier à la rose ? Le Chevalier à la rose
-Les Mille et une nuits ou La Chartreuse de Parme ? Les Mille et une nuits
-Maria Callas ou Renata Tebaldi ? La Tebaldi

Pratique
« Falstaff » de Giuseppe Verdi. Direction musicale : Lawrence Foster, mise en scène : Jean-Louis Grinda. Avec : Patrizia Ciofi, Sabine Devieilhe, Annunziata Vestri, Nadine Weissmann, Nicola Alaimo, Jean-François Lapointe, Paolo Fanale, Carl Ghazarossian, Rodolphe Briand et Patric Bolleire.
Représentations les 4, 6, 9 et 11 juin à 20 heures, le 14 juin à 14h30. Réservations : 04 91 55 11 10 – 04 91 55 20 43. Plus d’info : Opéra de Marseille.

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