Publié le 7 juin 2015 à 23h00 - Dernière mise à jour le 1 décembre 2022 à 16h54
Dans mon dernier article, j’appelais à faire de la politique autrement pour redonner espoir aux français et à ouvrir la vie politique à la société civile afin que les citoyens puissent apporter leur regard, leur expertise et contribuer de cette manière à l’action collective. C’est ainsi que l’on peut considérer mon audition par la Commission d’enquête parlementaire sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, présidée par Eric Ciotti, dont le rapport présenté par Patrick Mennucci vient d’être adopté à l’unanimité par l’Assemblée Nationale.
Un engagement citoyen
Je ne suis engagé en politique que depuis peu, poussé par la monté des extrêmes et la situation sécuritaire de plus en plus préoccupante. Ce n’est donc pas à ce titre, ni même à celui de mon activité professionnelle, la santé que j’ai été auditionné par une commission parlementaire traitant d’un sujet de sécurité nationale. Si j’ai été convoqué, c’est au titre de la société civile, et plus particulièrement sur le volet prévention. En effet, je milite de longue date à Marseille pour le dialogue interculturel. C’est cette expérience associative qui m’a fait prendre conscience des insuffisances de notre système, des dérives possibles dont pouvaient tirer profit des personnes mal intentionnées, et de tenter de mettre en place des actions pour en prévenir les effets. Le terreau fertile sur lequel se développe le djihadisme est le problème identitaire. Nombre de français quel que soit l’origine sont étrangers à eux-mêmes, en quête de repères. Cette forme «d’amnésie», source de fragilité, est la mère de tous les embrigadements. Ce fléau qui n’épargne aucune classe sociale s’inscrit dans une montée globale des extrêmes qui s’alimentent les uns les autres.
La liberté de pensée et de parole
Pour faire un diagnostic exact de la situation et apporter les remèdes appropriés, il faut pouvoir au préalable explorer toutes les pistes. C’est ainsi que cette commission d’enquête parlementaire s’est voulu ouverte et a auditionné, outre des membres des services de renseignement ou des juges anti-terroristes, des non professionnels du dossier djihadiste. Être issu de la société civile présente l’immense avantage de ne pas être entravé par un appareil ou un système qui limitent parfois l’analyse et l’action. C’est cette forme de liberté qui, dès 2012 m’a permis de publier un article qui anticipait malheureusement la situation actuelle. Et aux dires des membres de la Commission, c’est un des éléments qui a déterminé mon audition. Je ne peux que remercier les parlementaires d’avoir rendu cela possible et de m’avoir permis de présenter notre expérience associative marseillaise.
L’identité ne se décrète pas, elle se vit
On s’étonne souvent que le vivre ensemble est une valeur mieux partagée à Marseille qu’ailleurs en France. Pour le comprendre, il suffit de faire un bref retour sur l’histoire. La Cité Phocéenne est un «melting pot» qui s’est constitué au cours de ses 2600 ans d’existence à la suite de nombreuses vagues d’immigration. Des personnes qui avaient tout perdu et cherchant à prendre un nouveau départ ont décidé de rejoindre la communauté nationale en arrivant par le port de Marseille. Leur émancipation, ils l’ont acquise à la fois en s’appropriant de nouvelles valeurs mais également en préservant leurs racines. Ils ont essayé tout d’abord de se raccrocher à une appartenance libératoire, l’identité marseillaise, pour ensuite investir toutes les dimensions de l’identité française. Car l’identité ne se décrète pas, nous nous l’approprions d’abord par la proximité.
Le réseau associatif marseillais est le fruit de cette histoire. Il permet de tisser au quotidien le lien social évitant ainsi le repli communautariste, en travaillant là où l’État ne peut le faire et sur une très grande diversité de situations. C’est ainsi qu’est né le Collectif «Tous Enfants d’Abraham» constitué de centres culturels laïques où se côtoient des chrétiens d’Orient et d’Occident, des juifs et des musulmans. Il ne s’agit pas de dialogue interreligieux mais bien de dialogue interculturel. Nous avons ainsi mesuré tout ce qui pouvait nous rapprocher tout en ayant bien conscience de nos différences et de ce qui pouvait diviser. Nous avons travaillé ensemble sur des sujets très sensibles, comme Jérusalem qui a fait l’objet d’une exposition dont les panneaux ont été affichés dans toute la ville. Cela n’a été possible que dans le cadre neutre offert par la laïcité. Dans ce contexte, malgré des désaccords importants sur certains sujets, nous avons pu continuer à travailler ensemble. Cette expérience riche et qui donne de l’espoir pourrait être entreprise ailleurs.
Vivre ensemble c’est se connaître soi-même et accepter l’Autre
Ce que nous expérimentons au quotidien, c’est que l’identité française, loin d’être monolithique, est plurielle. Malheureusement, lorsque l’on aborde le sujet sensible de l’identité nationale, nous avons une vision trop globalisante. Et force est de constater qu’aujourd’hui toute une frange de la population ne se retrouve plus dans le modèle qui nous est donné. Ces mêmes personnes sont des cibles potentielles pour les recruteurs du djihad mondial, soit à travers des filières organisées soit via la propagande djihadiste déversée sur internet qui insufflent une identité de substitution, pervertie et instrumentalisée à des fins politiques. Il est donc impératif d’explorer de nouvelles voies, préservant à la fois le socle de valeurs communes tout en prenant en compte la diversité de la France d’aujourd’hui. Car vivre ensemble suppose deux conditions : savoir qui l’on est et interagir avec l’Autre.
La prévention du djihadisme c’est aussi la pédagogie
C’est en partant de ces expériences et réflexions que j’ai conçu le projet d’«Instituts Des CultureS» relevant du volet prévention de la Commission d’enquête parlementaire. Ces structures, travaillant en étroite coopération avec le réseau associatif devraient voir le jour dans toutes les grandes villes.
Il s’agit de donner la possibilité aux Français de découvrir leurs origines, leurs racines tout en côtoyant l’Autre, réaliser ainsi ce qui constitue la France et l’accepter. Dans ce lieu, seraient organisées des expositions, des conférences sur les différentes cultures non pas prises dans la seule acception religieuse, comme c’est souvent le cas. Il faciliterait également l’apprentissage de certaines langues. Cela permettrait de répondre à ceux qui veulent étudier l’arabe par exemple qui se heurtent à des difficultés et des préjugés. Dans les filières classiques, il leur est proposé des cours d’arabe littéraire, bien éloigné du langage parlé de nos jours. En d’autres lieux, ils risqueraient de tomber sur des professeurs qui ne sont pas forcément animés des meilleures intentions, et d’étudier des textes djihadistes qui leur donneraient une image totalement pervertie de l’identité arabe ou de l’islam.
Ce dispositif décentralisé au niveau territorial, serait constitué d’un lieu de référence, impulsant une dynamique relayée sur le terrain par les associations, et dont l’action serait évaluée régulièrement. La vocation de ce type de structure est à la fois de diffuser des contenus mais également de recevoir de l’information en provenance du terrain. La mobilité des actions et des personnes, ainsi que le recours aux moyens modernes de communication, aux réseaux sociaux permettront un maillage territorial.
Outre le soutien financier via les subventions, les collectivités territoriales ont un rôle essentiel à jouer. Chacune en fonction de ses compétences, en matière d’éducation et d’apprentissage à la citoyenneté par exemple, devrait interagir avec ce dispositif et cela concernerait toutes les classes d’âge.
Pour réinvestir les territoires perdus de la République, il faut une volonté politique
A un parlementaire qui privilégiait le volet répressif au volet pédagogique, je répondis lors de l’audition qu’il fallait travailler sur la durée. Cette démarche de prévention n’est pas destinée aux personnes déjà radicalisées mais à ceux qui pourraient le devenir si nous ne faisons rien. Quand on s’occupe des jeunes et moins jeunes qu’on leur donne un contenu, on évite ainsi qu’ils tombent dans des situations qui deviendront vite inextricables. Devant un problème de société d’une telle ampleur, il est donc prioritaire de prendre le problème à la source plutôt que de n’en traiter que les effets.
Dans ce combat existentiel il est impératif d’utiliser tous les moyens à notre disposition, y compris le volet éducatif. Serait-il raisonnable lors d’un conflit de ne pas faire appel à l’un quelconque des corps d’armée, l’infanterie, l’artillerie, la marine, l’aviation, ou le renseignement ? Même si parmi les solutions adoptées, certaines, comme la pédagogie, ne produiront pas un effet immédiat, cela n’est pas une raison pour les rejeter. Car la lutte contre la barbarie est avant tout une question de volonté politique de n’exclure personne !
Vidéo: Commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes : audition de M. Hagay Sobol, membre du collectif Tous Enfants d’Abraham – mardi 5 mai 2015