Tous les présidents d’EDF en ont rêvé; Jean-Bernard Levy l’a fait. L’activité «réacteurs» tombe dans le giron d’EDF : dans l’immédiat «les activités de conception, gestion de projets et commercialisation des réacteurs neufs d’EDF et d’Areva seront rapprochées dans une société dédiée» ; ensuite, et «sous réserve de la conclusion d’un accord de partenariat stratégique global avec Areva, EDF a vocation à devenir actionnaire majoritaire de la filiale commune Areva NP, qui rassemble les activités industrielles de construction de réacteurs, d’assemblage de combustible et de services à la base installée». C’est ce qu’indique le communiqué, publié le 3 juin par l’Élysée, à l’issue d’une réunion tenue par le Président de la République avec le Premier Ministre, les Ministres en charge de l’Énergie, de l’Économie, des Finances et des Affaires étrangères.
Notons au passage que l’on est passé d’un projet de «transformation» d’Areva, annoncé par l’entreprise en mars, à celui, plus vaste, de «refondation de la filière nucléaire française, portée par EDF et Areva», présenté par le gouvernement. C’est un sujet qui occupe les stratèges de la filière, présentée comme «essentielle à l’indépendance énergétique de notre pays, à la réussite de la transition énergétique et à la production d’énergie décarbonée», depuis longtemps et singulièrement depuis le rapport Rouvillois de 1989.
Dans cette filiale commune, «Areva conservera une participation stratégique avec un pacte d’actionnaires», mais des actionnaires étrangers pourraient également y entrer, d’autant plus que la prise de contrôle d’EDF les rassure. Les Chinois, par exemple, n’ont jamais fait mystère de leur préférence pour le savoir-faire et l’expérience d’EDF.
La justification de cette refondation : permettre «une politique d’exportation ambitieuse et le renouvellement futur du parc nucléaire français». Emmanuel Macron l’a dit au micro de France Info le 4 juin, «Il faut que le camp français travaille ensemble à l’international» rappelant que, Areva et EDF avaient «trop souvent, par le passé, joué l’une contre l’autre, aussi bien à l’international que sur notre propre sol».
Pour EDF, c’est l’aboutissement d’un long plaidoyer pour que l’exploitant, ultime responsable, en particulier en cas de problèmes, ait un contrôle étroit sur la conception et l’ingénierie des réacteurs. Ce qui d’ailleurs l’a conduit, de son côté, à créer une entité interne puissante d’ingénierie qui pouvait entretenir à l’occasion des relations musclées avec l’ingénierie de Framatome puis d’Areva NP après la fusion en 2001 de Framatome, Cogema et CEA-Industrie dans Areva. Dans certains cas, l’ambiguïté sur l’identité du constructeur est entretenue : par exemple pour l’EPR de Flamanville.
C’est ainsi qu’EDF a souvent exprimé des vues divergentes sur la conception de l’EPR, en le qualifiant de réacteur de «constructeur» méconnaissant les besoins de l’exploitant et prôné son «optimisation». Les deux groupes se sont engagés à travailler ensemble à la définition d’un EPR NM (NM pour nouveau modèle).
La nouvelle structuration de l’offre réacteurs, (l’électricité exploitant étant également le conception et le vendeur) constituera une «curiosité» internationale, le russe Rosatom mis à part. Créera-t-elle des difficultés pour les ambitions françaises à l’exportation? Jean Syrota, l’ancien patron de Cogema, dans une récente interview à L’Usine nouvelle, déclarait: «Dans les appels d’offres nucléaires, il y a une partie ingénierie, une partie génie civil, une partie équipements conventionnels, une partie équipements nucléaires… A ma connaissance, chacune de ces parties fait l’objet d’un appel d’offres et les exploitants nucléaires ne se présentent pas comme fournisseurs. Mais peut-être qu’à l’avenir, les pays nouveaux-entrants dans le nucléaire voudront du nucléaire clés en main et feront confiance à un exploitant nucléaire pour être leur maître d’œuvre».
Le devenir des activités «réacteurs de recherche et pour la propulsion navale nucléaire», conduites par Areva TA, n’est pas mentionné : elles pourraient rester à Areva qui a d’ailleurs récemment conclu un accord de financement des surcoûts du RJH avec le CEA. Car comme le dit le communiqué de l’Élysée «EDF et Areva finaliseront les principes de ce projet dans un délai d’un mois»; «l’État quant à lui recapitalisera Areva, en investisseur avisé, à la hauteur nécessaire». En dehors même des réacteurs, le périmètre final d’Areva reste encore flou, d’autant qu’un programme de cession de € 450 millions d’actifs doit être annoncé par Areva d’ici la fin juillet; cession déjà largement engagée dans le secteur des énergies renouvelables avec la création d’une filiale commune avec Gamesa pour l’éolien. Ce qui est sûr c’est que Areva va retrouver le cœur de métier de Cogema : soit peu ou prou le cycle du combustible amont et aval, avec des plus et des moins et avec pour principal client : EDF…
Il est clair que l’on n’en est encore qu’au plan des principes : la mise en œuvre de ce qui est décidé ne sera sûrement pas aisée; sans parler de ce qui ne l’est pas encore. EDF et Areva devront aussi conclure un partenariat stratégique: ce qui leur est demandé par les pouvoirs publics depuis le Conseil de politique nucléaire (CPN) du 21 février 2011 qui s’était prononcé sur le « rapport Roussely » lequel devait être conclu avant l’été (2011). Areva n’est peut-être plus en situation de freiner, d’autant que l’État a enfin accepté de recapitaliser l’entreprise: une demande adressée par Anne Lauvergeon dès 2004, dans d’autres circonstances, il est vrai. Elle ne sera que partiellement entendue avec l’arrivée du Koweit dans son capital à hauteur de 4,82%, en décembre 2010.
Aujourd’hui, il y a urgence: EDF pourrait apporter un peu plus de € 2 milliards pour le rachat d’Areva NP; les cessions € 450 millions, mais qui paiera pour les surcoûts de l’EPR finlandais, les dérives de Flamanville? On est encore loin des besoins évalués par certains à € 7 milliards. Enfin, outre le fait que les solutions sont à peine esquissées, lorsqu’on y verra un peu plus clair, la Commission européenne aura sûrement son mot à dire, au titre de la concurrence en France et dans l’Union européenne (UE) et au titre des aides d’État, au niveau de l’UE.
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